mardi 20 novembre 2012

Traditions et légende de Belgique (5 à suivre).

A Courtrai on promène une géante : « Mevrow van Amazonie; » à Ath « Mme et M. Goujas » ou Goliath; à Bruxelles « Ommegan » et sa famille. A Hasselt l'ancien géant, « Lange Man, » a reparu en 1835 à l'occasion du jubilé; il était sur un char attelé de 4 chevaux, et assista à une distribution générale de soupe qui se fit en mémoire d'une disette, dont les habitants avaient été frappés en 1638. A Rupelmonde il y avait autrefois un édifice dit « Reuzenhuys » ou « Pronkhuys, » destiné à mettre à couvert les géants, chameaux, dragons qui figuraient dans la grande procession [58]. Les villes de Lille, Douai, Cassel, Hazebrouck et Dunkerque au nord de la France ont également leurs géants communaux; ceux de Cassel et de Hazebrouck paraissent chaque année, le mardi gras [59]. Le carnaval belge n'offre plus aujourd'hui que très-peu de particularités. On y voit des masques qui depuis le matin jusqu'au soir circulent par bandes plus ou moins nombreuses dans les rues, s'annonçant de loin par le son du cornet ou de la corne de bœuf; mais leur nombre va diminuant d'une année à l'autre. Et puis, les mascarades n'ont plus en Belgique ce caractère de gaieté et d'esprit sarcastique qu'il leur faut. C'est à peine si à Anvers on se lance encore les uns aux autres des croquignoles. Dans les grandes villes on arrange presque chaque année des cavalcades, représentant soit un fait historique, soit une mise en scène de quelque question politique ou sociale, et qui pendant le carnaval font quelques fois le « tour » ou « toer; » mais on le fait plutôt dans le dessein de profiter pour faire une quête pour les pauvres, de la grande affluence de curieux attirés par ce spectacle que par amour pour les folles gaîtés du carnaval. Il existe même en plusieurs villes des sociétés particulières n'ayant d'autre but que celui-là, telles que la « chambre des jeunes gens » ou « Jongmans kamer » à Hasselt, la « clique infernale » à Diest, les « royalistes » ou « konigsgezinden » à Anvers. C'est peut-être une spécialité du carnaval belge que de ne pas se passer sans utilité pour les indigents. Car les collectes que font les différentes sociétés, surtout celles de chant, pendant les jours de carnaval, en allant le soir, où tous les bals, les cafés et les estaminets regorgent de monde, d'un lieu public à l'autre, chanter et quêter, produisent chaque année des sommes assez considérables. Mais, à l'exception des bals masqués, donnés aux Variétés à Anvers, qui à bon droit jouissent d'une grande renommée, les divertissements du carnaval dans les villes belges ne se distinguent en rien de ceux qui ont lieu en toute autre ville catholique à la même époque. A la campagne les enfants vont les trois derniers jours du carnaval, de maison en maison chanter et quêter en accompagnant leur chanson de la musique peu harmonieuse, mais très-populaire du « rommelpot. » Cet instrument se compose d'un pot de terre ou de faïence, surmonté d'une peau de vessie tendue, au milieu de laquelle est introduit un tuyau de paille ou de jonc. Pour faire résonner le rommelpot, on mouille les doigts et le pouce, et on les promène le long du tuyau en le frottant, ce qui rend un son ronflant. Les peintres flamands ont souvent représenté des scènes où figure cet instrument, qui en Flandre et dans les environs de Bailleul en France est aussi bien connu qu'au nord de l'Allemagne [60]. A Maeseyck et dans les environs de cette ville les enfants chantent avec accompagnement du rommelpot la chanson suivante dont nous devons la communication à l'extrême obligeance de Mme Schoolmeester à Maeseyck: Vastenoavend die komt aen, Looit die meisjes vreug opstaen Zy keiken hier, zy keiken daer, Zy keiken romme dromme Moeder staet me mutske wel, Me lief zal dezen oavend kome. Kumt ze dezen oavend neet, Dan komt ze den hielen vastenoavend neet. Dan trouw ig met noaber Jensche. Noaber Jensche zal op de dromme sloan. De gek zal lierre danse. Hoarrtte, dievelanskette, Woa zulle we die auw wiever opzette. Op ein auw kokepan. Dit joar eine schilling, Het anger joar eine penning. Vrouw en meister blieft gezond. Zet die leyer an die wan, Sniet het spek drie elle lang Loat het metske zenke Doer die vette schenke. Loat het metske valle Doer die vette halle. Hei! vrouw eine gooye vastenoavendsbroog. Jg heb zoe lang met de rommelspot geloupe, Ig heb ge gelsch om brood te koupe. Rommelspotterie, rommelspotterie, Geuf mig ein oirtsche dan goan ig verbie [61]. Dans les environs de Turnhout on accompagne une autre chanson du rommelpot. La voici telle que M. le docteur Renier Snieders a eu l'obligeance de me l'envoyer : Vastenavond, goede gebuer, Ik heb nog geenen man. Ik heb nog een klein hoentjen, Dat moet er t'avond, aen. Als ik myn hoentjen braden wil, Dan is myn panneken vuil. Als ik myn panneken schuren wil, Dan tintelt mynen duim. Dan loop ik naer de geburen, En laet myn panneken schuren, Dan loop ik naer de pannen, En laet myn panneken dansen. Vastenavond die komt aen, Klinken op de bussen; Hier eenen stoel en daer eenen stoel, Op uwen stoel een kussen; Meisjen, houdt uw kinnebak toe, Of ik sla er een pannekoek tusschen. Dans les villages du pays de Limbourg, vers la frontière de la Prusse, les enfants munis d'un grand et d'un petit panier vont de porte en porte chanter la chanson très-ancienne: Een kluitjen en een koolken, Een vonkelhoutjen, een! Hier woont ook nog'ne ryke man, Die ons nog iet geven kan, Geeft ons iet en laet ons gaen, Laet ons niet zoo lang hier staen, Wy moeten nog zoo wyd gaen. La paysanne donne un « kluitjen, » espèce de briquette formée de terre grasse ou d'argile et de houille, ou bien une bûche et quelques œufs, afin de ne pas entendre les compliments très-peu flatteurs que les chanteurs adressent infailliblement à tous ceux qui les renvoient les mains vides. La quête faite, la troupe joyeuse se rend à la chaumière d'une pauvre veuve ou d'une autre femme indigente et lui donne le grand panier rempli de matières combustibles suffisant souvent pour le chauffage de quelques jours, à condition que le soir du mardi gras elle fasse, avec les comestibles que contient le petit panier, du « koekebak, » des crêpes, ou des « pannekoeken, » des omelettes, pour toute la compagnie. Car la bonne chère est la condition essentielle du mardi gras. Comme les Provençaux ont sanctifié ce jour de bombance sous le nom de « saint Grévaz, » les Flamands, surtout ceux du nord de la France, l'ont personnifié sous le nom de « saint Pansart » ou « Panchard, » en représentant ce saint de leur fabrique avec une a panse » énorme, fruit de ses nombreux succès dans l'art des gourmands, qui lui valut son nom et son origine [62]. D'une manière toute analogue les Wallons ont créé « saint Charalampe. » C'est surtout de « koekebak, » de pannekoeken et de gaufres que l'on fait, ce jour-là, une consommation énorme. « Zy heeft het zoo druk, als de pan te vastelavond » dit-on en flamand, en parlant d'une personne qui travaille beaucoup, surtout dans la cuisine. En beaucoup d'endroits on mangeait autrefois dans les familles une grande tarte appelée « vastenavondstaert, » tarte du carnaval, qui à l'instar du gâteau des rois contenait une fève. Celui à qui échéait la fève, devenait roi [63].

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