mardi 20 novembre 2012

Traditions et légendes de Belgique (9 à suivre).

* * 23 février. (Prunus armeniaca.) Saint Pierre Damien, évêque: sainte Léonore; saint Antigone. Le premier dimanche du carême qui commence la semaine appelée « gansche vastenweek, » semaine de carême entière, est en Belgique le jour de carnaval par excellence. C'est pourquoi les flamands le nomment « de groote vastenavond, » le grand carnaval ou « gokkernyenzondag, » dimanche des folies. Toutes les troupes de masques et toutes les cavalcades, qui dans les grandes villes ont parcouru les rues le lundi ou mardi gras, font encore une fois le tour de la ville, toutes les salles de bal sont rouvertes, toutes les réjouissances du carnaval se répètent ce jour-là. Dans le pays wallon ce dimanche n'est pas seulement le dernier jour du carnaval, mais aussi le jour où l'on allume partout des feux de joie, comme au nord de la France et en beaucoup de contrées de l'Allemagne. C'est le « jour du grand feu, » bien que ce nom, selon les localités, se rattache tantôt au premier, tantôt au second dimanche du carême. Dans les Ardennes on dit que le jour du grand feu il faut voir sept feux, si le village doit être garanti de l'incendie. C'est pourquoi huit à quinze jours d'avance les enfants vont de ferme en ferme pour quêter de la paille et d'autres matériaux combustibles. Le jour venu, on coupe encore des broussailles, surtout du genièvre et du genêt, et le soir de grands bûchers brûlent sur toutes les hauteurs. Si la Meuse a assez fortement gelé, on aime à allumer aussi des feux sur la glace. Les jeunes gens et les enfants dansent en chantant autour de ces feux et sautent à la fin à travers les charbons, soit pour procurer la fertilité de la terre soit pour faire de bons mariages dans l'année. A Liége le jour du grand feu donne encore lieu à une autre particularité. Les enfants mariés invitent ce jour les parents à dîner et en retour, le dimanche d'après, ce sont les parents qui donnent à dîner à leurs enfants. Mais tandis que les enfants servent un dîner préparé à leur guise, les parents ne donnent que du pain, des légumes et de la bière, et point de vin, point de gâteaux. A Huy, où le jour du grand feu est le deuxième dimanche du carême, le même usage s'est maintenu. Les enfants invitent les parents qui, à ce qu'on dit, « vont manger le pain des enfants » et invitent, à leur tour, à Laetare les enfants, qui « vont manger alors le pain de leur père et de leur mère. » Dans les villages situés sur la Meuse entre Huy et Liége on dit qu'il faut manger, le jour du grand feu, sept espèces de pain. C'est pourquoi on va visiter tous ses amis et toutes ses connaissances en mangeant à chaque visite un morceau de pain. Dans les pays à fromage, on invite ses parents et ses amis, et on les régale avec différentes sortes de fromage. Ces usages nous expliquent les noms de « Kaeszondag, » dimanche de fromage, et de « Broodzondag, » dimanche de pain, qui désignent le dimanche Invocavit ou Quadragésime, et se rattachent peut-être à l'Évangile de ce jour, qui nous enseigne comment le démon tenta le Seigneur [83]. Au Marché, hameau près de Spa, qui tire son nom du privilége accordé au bourg de Theux par Erard de La Marck, qui y établit un marché public, les habitants brûlèrent le jour des grands feux, l'image de « Saint-Pân. » Le saint, dont le nom en liégeois veut dire « sans pain, » était un des patrons de la chapelle qui s'élevait autrefois sur la place du marché, mais son nom ayant paru aux habitants du lieu une injure faite à leur opulence, ils expulsèrent saint Pân de leur église, et conservèrent pour unique patron saint-Nicolas [84]. Dans la partie flamande de la Belgique, les feux du premier dimanche du carême ne s'allument plus que dans quelques localités. A Maeseyck et dans beaucoup de villages du pays de Limbourg, durant la soirée de ce jour, les enfants parcourent les rues en tenant des torches ou des bâtons enveloppés de paille qu'ils ont allumés, et font ensuite dans les champs de petits feux de paille autour desquels ils dansent. En Brabant, une coutume analogue à celle-ci existait encore, il y a cinquante ans. Des femmes et des hommes masqués en femmes, se rendaient aux champs avec des flambeaux allumés, et y dansaient en chantant diverses chansons burlesques. C'était une espèce de farce de carnaval qui, disait-on, avait pour but de chasser le « méchant semeur » (d'après la belle parabole de l'Évangile de ce jour) [85]. A Grammont, le grand carnaval est la principale fête; la kermesse même n'est que secondaire. Vers midi la foule, accourue dès le matin, se porte au marché, d'où part une musique bruyante. Les tireurs, l'arc on l'arbalète à la main, se rangent autour de leur bannière, qui flotte au-dessus de leurs tètes. Enfin on l'élève et le peuple s'achemine vers la vieille montagne ou « Oudenberg » où est bâtie la chapelle de la Vierge. Le magistrat , le bourgmestre en tête, suit, ainsi que le clergé, le cortége des tireurs. On s'agenouille, le prêtre entonne la litanie de Lorette, le peuple répond en chœur : Ora pro nobis! Puis la cérémonie religieuse terminée, le clergé et les fonctionnaires de la ville se rangent en demi cercle devant la chapelle. Le héraut de la ville ou l'appariteur du conseil s'approche pour offrir à chacun d'entre eux un verre de vin. Le peuple rit aux éclats. Tous les yeux sont fixés sur le curé, qui doit donner le signal pour boire. Le curé hésite; dans son verre nage un petit poisson qu'il doit avaler, selon une ancienne coutume, en même temps que le vin. Ce n'est pas là chose facile; enfin il réussit à vider son verre d'un trait, et tous les buveurs suivent son exemple. Le peuple pousse des cris d'allégresse, la musique recommence, de grands paniers remplis de gâteaux appelés « mastellen » et de harengs sont apportés, le curé a le privilège d'y puiser le premier. Il jette au peuple, ce qu'il a pris, les magistrats en font autant, tous les gâteaux et harengs y passent, le peuple se précipite pour se les arracher, chacun veut emporter quelque morceau, attaché à son chapeau. Enfin le bourgmestre donne le signal du retour et le drapeau marche en tête suivi par la musique, les tireurs, les magistrats et le clergé. Le peuple ferme la marche en chantant; de retour à la ville les jeunes gens vont à la danse. Pour terminer la fête on allume, à l'entrée de la nuit, sur la vieille montagne un grand tonneau goudronné attaché à un haut pieu et plus de cent feux allumés sur toutes les hauteurs des environs répondent à ce signal. Quant à l'origine de cette coutume bizarre, qui s'appelle « tonneken-brand », et dont on trouve la première mention dans les comptes de la ville de l'année 1398 (qui font partie des « Archives du royaume » à Bruxelles), les opinions sont partagées. Les uns prétendent que la fête se célèbre en mémoire d'une heureuse délivrance d'un long siège; les autres n'y voient qu'une allusion à l'Évangile où Jésus rassasie cinq mille hommes [86]. A Ypres on nomme ce jour « borrelle-sondagh, » parce que jadis les enfants, des torches ou « borrelle » en main, parcouraient les rues en criant « borrelle, borrelle, steeckt het vier in de helle, » flambeau, flambeau, allumez le feu dans l'enfer. On dit qu'ils voulaient ainsi représenter les Juifs qui, avec des torches, allèrent chercher le Seigneur au jardin des oliviers; de même en s'asseyant tranquillement avec leurs flambeaux allumés, devant les portes, ils semblent éclairer le Christ dans sa marche vers la prison. Le nom de « borrelle sondagh » nous rappelle celui de « dimanche des bourres, » par lequel on désigne dans le département des Ardennes le même jour, qui ailleurs, se nomme « dimanche des brandons » ou « des bordes. » Toutes ces dénominations tirent leur origine des torches ou des feux qu'on allume ce jour. Des analogies que l'on trouve entre les usages de cette fête existant en France et ceux qui règnent en Belgique, il résulte sinon la preuves du moins la présomption très-fondée, que le nom de « behourdich-zondag » ou « behourdic-zondag » qui, dans les documents du Hainaut et de Namur, aussi bien que dans les documents flamands du moyen-âge, désigne souvent soit le premier, soit le deuxième dimanche du carême, n'a pas d'autre signification. [87] Il est vrai que le mot provençal de « behourdiz » (behordeis, bohordeis, bouhordeis, » en bas-latin « behordium, ») signifie, dans le principe, combat, course de lances ou de bâtons, et que les Provençaux ont donné au premier dimanche du carême le nom de « jour du bouhourdis, bouhourdüch, ou bourdich » à cause de la coutume qu'ils avaient autrefois de joûter au bâton ou à la lance [88], usage que nous retrouvons en Belgique dans les joutes ou tournois qui avaient lieu au même jour à Malines et à Lille [89]. Mais aussi bien qu'à Lyon les rameaux verts, auxquels on attache des gâteaux et des oublies, le premier dimanche du carême, S'appellent à présent « brandons, » les - « bouhours » ou bâtons pour s'entreheurter (« bouhourder, behourder ») ont pris à Valenciennes une autre acception, et désignent maintenant les torches de filasse trempées dans du goudron, que les enfants y allumaient il y a peu d'années le soir du premier dimanche du carême. Cet usage est parfaitement analogue à celui qui existe encore au même jour dans le pays de Limbourg et il est possible qu'il ait valu au premier dimanche du carême le nom de « behourdich zondag. » A Bruges, où chaque dimanche du carême se signale par une espèce de fête ou de « kermesse, » qui a lieu dans l'un ou l'autre des quartiers de la ville, le premier dimanche du carême s'appelle « dullis » ou « sottiskermis » Cette fête, qui est suivie des kermesses appelées « beggynekermis, potteriekermis et sint Salvatorkermis, » est la plus fréquentée la plus joyeuse et la plus bruyante de toutes, ce qui lui a donné son nom de « kermesse des sots ou des fous. » Quant à l'origine des feux qui s'allument le premier dimanche du carême, on a presque la certitude, qu'ils sont les vestiges d'une ancienne fête païenne en l'honneur de Thor ou Donar. A l'entrée du printemps, on implorait la bénédiction de ce Dieu du printemps pour garantir les champs et les semailles de tout malheur. C'est pourquoi les campagnards limbourgeois n'ont pas tout-à-fait tort lorsqu'ils affirment que ces feux s'allument pour l'ouverture des travaux champêtres. Le premier et le deuxième dimanche du carême, on fait en Belgique une collecte à toutes les messes et à tous les offices pour l'Université catholique de Louvain.

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