dimanche 5 mai 2013

(suite) La fin des templiers par Rudy Cambier.



Nous pourrions nous représenter l'aventure des Centuries comme une sorte de diptyque qui accolerait un panneau obscur à un panneau lumineux. Le premier correspondrait aux 220 premières années – de 1330 à 1550 – pendant lesquelles l'œuvre reposa quasiment inconnue et certainement incomprise dans la bibliothèque abbatiale. Le second panneau pourrait symboliser le coup de fortune qui a commencé avec Nostredame au milieu du 16ème siècle. Trompé par la graphie, la syntaxe et le style du vieux poème, croyant avoir découvert des prophéties inconnues parce que le moine avait déguisé les faits du passé en conjuguant les verbes au futur, le médecin provençal profita des troubles du temps et de la guerre qui ravageait la Flandre et le Hainaut, s'empara de l'œuvre d'un inconnu, l'emporta au loin, s'en prétendit l'auteur, la publia sous son nom et, saisi par des concours de circonstances rares, se retrouva élevé sur le pavois des plus grands prophètes.

Compte tenu de la nature du personnage, rien que de normal dans ces indélicatesses. Voilà qui n'est pas facile à faire admettre par les lecteurs, et je ne parle pas ici des thuriféraires du mage qui n'ont pas d'arguments plus solides que l'injure, le sarcasme, la crédulité benoîte et le mensonge délibéré, mais des lecteurs de bonne foi.



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L'intrigue.




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Introït
avec quelques clins d'œil au théâtre du 18ème, de Regnard à Beaumarchais en passant par Marivaux, Nivelle de la Chaussée, et Diderot.

La pièce démarre par le double jeu des fausses amitiés.
Nous sommes en 1328, à Cambron, c'est l'été. Deux jeunes gens, Arsène et Julien, croisent deux jeunes filles, éliabel et Poupette. Arsène de Celles-Bas, traînant en remorque Julien d'Athensis, est un nobliau amoral et immoral, sorti en goguette et guettant la bergère à sauter. éliabel est une fière qui a fait des études. Poupette est une populaire du niveau intellectuel de l'apprentie coiffeuse qui croit ce que racontent les romans-photos, méprise son milieu d’origine et rêve au-dessus de sa classe.

Dès le départ, Arsène a décidé de s'envoyer éliabel. Il l'entreprend par les mensonges ordinaires, mais la fille a la nausée devant ce type avantageux et imbuvable : éliabel n'est pas du genre à se déculotter rien que pour le regard d'un œil qui se fait de velours.

Le mépris d'éliabel pour les avances d'Arsène enclenche une réaction en chaîne : les vils instincts contrariés font sauter le crépi des camaraderies de façade et la vérité des âmes lépreuses apparaît au jour. Arsène exprime son mépris pour Julien et Poupette laisse sortir sa bile. Envieuse de son amie, elle cherche l'occasion d'humilier éliabel et elle recourt au moyen dont usent les femmes quand elles sont dans ces dispositions : rafler le mâle dominant. Elle ne comprend pas que ce qu'elle croit être sa victoire n'est qu'une illusion de succès, le fruit véreux d'un dépit, du dépit d'Arsène de Celles-Bas. Arsène et Poupette s'en vont croquer la pomme dans les roseaux.

éliabel la fière et Julien le laissé pour compte doivent bien se parler : ils étaient quatre, les voilà deux, ça ne laisse pas le choix de l'interlocuteur. Petit à petit, par des détours bien à lui, l'amour s'installe, d'abord chez elle.
Femelle dominante, Éliabel a choisi le dominé au détriment du mâle dominant. Elle bouleverse donc l'Ordre Animal. C'est une conduite qui déstabilise toujours les sociétés, quelles qu'elles soient. Arsène de Celles-Bas se fera le catalyseur des réactions du milieu. Arsène ne disséquera pas son âme trouble en étalant des monologues-états d'âme : on suivra le bonhomme dans ses actions.

Arsène alerte le père de Julien, Albert d'Athensis. Celui-ci devine bien l'hypocrisie du soi-disant ami et l'envoie paître. Arsène se tourne alors vers la mère du jeune homme, Marie-Gertrude de Boudenghien. Chez ces deux-là, tout est artifice et faux-semblant, la méchanceté est le fond de leur caractère, ils ont l'instinct du mauvais. Ils se reconnaissent donc tout de suite et font alliance pour nuire. Leur plaisir sera total.

Marie-Gertrude asticote son mari jusqu'à ce qu'il se décide à mettre le holà à cette amourette qu'elle proclame ridicule. Albert d'Athensis s'attaque à un premier amour, à l'amour absolu. Sa tentative provoque évidemment la révolte de son fils, révolte contre le père qui est le premier pas de Julien dans l'âge adulte.

Quant au père d'éliabel, le Philosophe, il ne croit pas à un amour vrai dans le chef de Julien, et même si cela était, il doute de la bonne fin d'une union entre jeunes gens issus de milieux sociaux différents. Il se refuse pourtant à interdire et même, il conseille subrepticement les amoureux.

Les deux jeunes décident de faire leur vie ensemble. Être deux amoureux en quête d'une union possible malgré l'ukase social, c'est bel et bien, mais comment faire à Cambron en 1328 ? Se pointe le Trimard.

Première comédie.

Un personnage neutre est préférable pour faire la liaison entre le drame bourgeois (la partie que nous venons de narrer) et la comédie (la partie qui vient) : ce sera le Trimard.

Trimard présente éliabel et Julien au frère Sidoine qui lui-même les présente à l'abbé Yves : c'est tout. Nous sommes dans la farce. Et pourquoi pas ? De tous les genres comiques, c'est celui qui, philosophiquement, est le plus profond. Ménandre est bien moins intelligent qu'Aristophane. Et plus un auteur comique se pique d'être raffiné et délicat, plus sa pensée devient mince. Bref, la comédie n'a que faire des minois jaspinants, elle veut des gueules qui jettent des mots forts. Les mignardises susurrées par des bouches en cul de poule ne génèrent jamais le rire des yeux mais seulement des sourires convenus sur des lèvres froides. Pour être goûtées, les finesses doivent avoir une certaine épaisseur.

Première tragédie.

L'abbé n'a pas le temps d'en venir aux projets matrimoniaux et d'inviter les jeunes gens à entrer : il se rend compte qu'éliabel est malade et d'un geste il identifie la phtisie, ou plus exactement l'hémoptysie. La médecine du temps est impuissante devant ce mal toujours mortel, bien plus implacable encore que la peste.

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