mardi 29 octobre 2013

Le maître de Flandre (suite)


LE MAÎTRE DE FLANDRE ( 7 ) - Texte de Rudy Cambier
7ème épisode du texte inédit de Rudy Cambier: A 9 kilomètres de l'Italie du 12ème siècle...

"... Au Moyen-Âge, même pour les grands lettrés, c'est bien plus vague et il en est ainsi partout en Europe. Quand un médiéval parle de la France, il n'entend pas du tout l'hexagone que nous connaissons et que Louis XIV disait être son "pré carré". La Lorraine, c'est l'Allemagne, l'Alsace est loin en Allemagne, la Bretagne n'est pas en France, ni le Languedoc, ni la Provence, ni la Savoie, ni la Franche-Comté, ni la plus grande part de l'Auvergne. La France, c'est l'Île-de-France et parfois quelques larges annexes. La Bourgogne, la Flandre, la Normandie, l'Artois, l'Anjou, le Tournaisis font-ils partie de la France ? Ça dépend de votre interlocuteur et du sujet de la conversation !

Même flou artistique pour l'Italie : quand, venant de Savoie ou de Provence, le voyageur médiéval passe les monts, sur les pentes méridionales il arrive d’abord en des terroirs où l’on ne parle pas l'italien mais des dialectes d'oc ou d'oïl, autrement dit des patois provençaux ou français. Et plus loin, dans les plaines, il ne trouve pas des Italiens, mais des Lombards et des Piémontais.

Le voyageur a-t-il emprunté la route de l'Autriche ? Sur l'autre versant on continue à parler l'allemand – on est même là dans le canton précis, dans le groupe de villages où, aux 6ème- 7ème siècles, naquit "la deuxième mutation consonantique" qui caractérise le Hochdeutsch, le haut-allemand qui a donné l'allemand standard pratiqué aujourd'hui. C'est à partir de là, d'un canton du versant sud des Alpes, que la mutation se répandit dans la Germanie méridionale. Puis le bourlingueur atteint la Vénétie ou d'autres républiques. En ce temps-là, quand on ne précise pas, l'Italie se réduit aux États pontificaux avec les principautés circonvoisines telles que la Toscane, la Campanie, Spolète et le duché de Bénévent. Ces vacillations résultent de ce que, au Moyen-Âge, les réalités politiques et géographiques ne coïncident jamais et qu'en outre, personne – quelques lettrés faisant exception –, personne n'a jamais vu une carte : dire à quelqu'un que l'Italie est une botte, c'est, à coup sûr, se faire passer pour un fou en pleine crise de delirium.

Tout comme un quidam allant de Brabant en Flandre passait l'Escaut sans quasiment savoir qu'il entrait dans le royaume de France ou que l'habitant de Pont-Saint-Esprit allant saluer ses voisins traversait le Rhône sans guère voir de changements parce qu'il entrait dans l'Empire Germanique, le pèlerin qui descendait le flanc sud des Alpes ne se sentait pas passer en Italie : la seule chose qu'il remarquait, c'est qu'il faisait plus chaud. Il arrivait que dans le monde de la haute politique on évoquât l'existence d'un royaume d'Italie. Rien de réel, une évanescence, un titre vide de pouvoir, une perle artificielle sur la couronne impériale, un mot qui consolait le roi d'Italie de n'être rien en Italie. Ce "royaume d'Italie" se référait à l'Ostrogoth Théodoric (Thiudareiks de son vrai nom ; 454 - 526) et à l'ancien royaume des Lombards plus ou moins donné au pape par Pépin le Bref, puis par Charlemagne, puis par Louis le Pieux. Ce qui n'empêcha pas chacun de ces derniers de faire couronner un de leur fils "roi d'Italie" : il est vrai que quand on donne tant de fois une même chose, c'est qu'on n'a pas vraiment donné la chose. L'histoire de ce royaume est au moins aussi embrouillée que l'histoire de la Belgique, ce qui est tout dire. De toutes manières, le Bénévent et Spolète étaient aux mains des Normands, et en Italie du Nord les seules puissances réelles étaient les cités. Ce royaume théorique enserrait les États Pontificaux de la manière que vous voyez sur la carte qui suit, de sorte que les possessions du Pape étaient comme un pâté en croûte dans sa croûte. C'est vivable tant que le four de la guerre n'est pas allumé.

Outre le fait que sa mère était par elle-même reine de Sicile et de Naples et reine d'Italie par son mari Henri VI, donc tout de même un brin plus vraie Italienne que Laetitia Ramolino , Frédéric II Hohenstaufen est né près d'Ancone à 9 (neuf) kilomètres des États pontificaux, de l'Italie du 12ème siècle. Difficile de faire mieux, et au jour d'aujourd'hui, pour un empereur quel qu'il soit excepté de la Rome Antique, ce record reste à battre !

Et pourquoi ce détaillet-là de l'histoire de ce royaume d'Italie-là vint-il à l'esprit de l'auteur des Centuries ? Le vrai, pas Nostradamus. Tout simplement parce qu'il a vécu ces événements. Nous verrons dans les livres qui suivront qu'avant d'être moine cistercien, cet homme trouva à s'employer dans l'armée de Charles d'Anjou (1227 – 1285), un frère de Saint-Louis. C'est à Charles d'Anjou que le pape français Urbain IV avait remis le royaume de Sicile et de Naples (par l'acte dit "dévolution du royaume") après l'avoir confisqué aux descendants de Frédéric II Hohenstaufen. À charge pour lui de le conquérir ! Nous en reparlerons.

Le décor historique étant sommairement planté et définies les limites de l'Italie, nous pouvons narrer l'histoire du "né près d'Italie"..."
( à suivre... )

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