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mardi 6 novembre 2012
L'Elfe de la Belle-Roche.
L'ELFE DE LA BELLE-ROCHE
Blanke Dame del Belle-Rotche
"Les légendes du Val d'Amblève"
Par Marcellin La Garde
(1818 - 1889)
I
Entre Aywaille et Douxflamme, où l'Amblève va se perdre dans l'Ourthe, on admire l'énorme masse pierreuse désignée à bon droit sous le nom de Belle-Roche car, avec la roche sur laquelle reposent les ruines du château dit des quatre fils Aymon, elle est incontestablement la plus remarquable de toutes celles qui surplombent la rivière depuis sa source jusqu'à son embouchure.
Mais la Belle-Roche n'est pas célèbre seulement par son aspect imposant : elle renferme, dit-on, dans son sein, deux choses de nature à agir puissamment sur l'esprit des habitants des campagnes : une dame blanche et un trésor. J'ajouterai que non loin de là se trouve le village de Fraiture, dont le nom rappelle aux amateurs d'étymologies deux divinités principales de l'Olympe germanique : Freya et Thor, qui auraient eu dans ces parages un autel digne des enfants d'Odin.
Il est peu de rochers et de ruines de quelque importance que, dans nos contrées, la croyance populaire n'ait peuplés d'êtres surnaturels. Ainsi la grotte de Remouchamps avait ses nûtons ou sottais, lutins tantôt serviables, tantôt malfaisants, suivant la conduite qu'on tenait envers eux; le château de Logne-sur-1'Ourthe a sa gatte d'or, laquelle n'est autre chose qu'une jeune fille noble, Berthe de Berloz qui, pour quelques atours, se laissa séduire par le duc Waleran de Luxembourg et qui, en punition de son orgueil, est condamnée depuis plus de six siècles à venir errer, à certaines époques, sous la forme d'une chèvre aux cornes d'or, sur les débris du château témoin de sa faute.
La Belle-Roche, elle, est habitée par une espèce de nymphe, de naïade, brillant d'une éternelle jeunesse, qui ne se montre qu'une fois l'an, quand le temps est beau, dans la nuit du premier mai; elle vient se baigner dans l'Amblève, vêtue d'une longue robe blanche, couronnée de fleurs de nénuphar, de renoncule et de myosotis.
Pourquoi cette mystérieuse beauté, cette Elfe, comme on l'appelle, vit-elle ainsi solitaire dans les entrailles de ce sombre rocher ? Comme Berthe de Berloz, expie-t-elle quelque faute ?
Son existence est bien constatée, on l'a aperçue souvent, on a entendu le son de sa voix, car elle murmure, en se baignant, un chant mélodieux; mais son histoire est racontée de différentes manières.
Il paraîtrait que la fille d'un seigneur dont le château dominait la Belle-Roche, éprise, comme Sapho, d'un jouvenceau qui la repoussait par excès de vertu, se serait, de désespoir, précipitée dans l'Amblève d'où elle n'aurait pu être retirée.
Quoi qu'il en soit de son origine et des motifs qui lui ont procuré cette triste immortalité, il est certain qu'elle est gardienne d'un trésor « qui surpasse les richesses de tous les rois et de tous les empereurs réunis » et que ce trésor appartiendra, avec sa main et son cœur, sans doute, au jeune homme de l'âge de vingt à vingt-et-un ans qui parviendra à toucher un des pans de sa robe pendant l'une de ses rares et nocturnes apparitions.
Seulement une condition est requise pour pouvoir l'approcher : le jeune homme doit être aussi vertueux, aussi pur qu'elle est belle.
Et voilà pourquoi l'elfe continue à habiter la Belle-Roche et à garder son trésor et sa virginité, malgré les nombreuses tentatives faites pour arriver jusqu'à elle et la surprendre, tentatives dont la plus connue, à cause de ses incidents et de ses conséquences, est celle que je vais raconter.
Un soir de la fin du mois d'avril, un cultivateur du hameau de Halleux, nommé Lambert Vivroux, était assis avec sa femme et son fils, robuste garçon de seize ans, sur le pas de sa porte, attirés tous trois par la douceur de la brise chargée de parfums printaniers et par la splendeur d'un ciel azuré scintillant d'étoiles.
Un voisin vint à passer : c'était Colas le vannier, vieillard courbé sous le poids des ans, respecté et aimé de tous. Il s'arrêta.
— Voilà un temps qui promet, père Colas, lui dit Lambert.
— Oui, répondit le vieillard, l'elfe se montrera après-demain, s'il continue, c'est certain.
— Tiens ! reprit Lambert en riant, sa première idée est pour l'elfe; moi qui parlais du temps par rapport aux semailles qui, depuis deux jours, poussent à vue d'œil.
— C'est que, dit la femme, notre vieux Colas n'a pas oublié que, il y a de cela plus d'une demi-centaine d'années, l'elfe lui avait aussi tourné la tête et qu'il l'a recherchée en risquant de se noyer; il peut donc bien en parler.
— Oui, Toinette, c'est vrai, je puis en parler, non pas comme vous le supposez, mais avec amour et reconnaissance.
— Comment! Mais j'ai entendu dire qu'elle ne s'était même pas montrée à vos yeux et que vous en aviez été si chagriné que vous aviez pensé à partir pour l'armée.
Je connais l'elfe parfaitement et il n'y a peut-être que moi au monde qui la connaisse. C'est une sainte et bonne fée, elle m'a fait beaucoup de bien; c'est à elle que je dois d'être arrivé à près de quatre-vingts ans avec une parfaite santé et d'avoir toujours été heureux sur cette terre. C'est à elle encore que je devrai, j'espère, une place auprès du Père Eternel. Mais ma vieille ménagère m'attend pour souper.
Bonsoir Lambert, bonsoir Toinette. Ah ! je ne dois pas oublier Jérôme.
— Jérôme, dit la mère, ne mérite pas votre bonsoir, père Colas; vous êtes trop bon pour lui... Il a les bras aussi mauvais que la tête, et paresseux, désobéissant et querelleur comme il est, nous craignons qu'il ne nous cause bien du chagrin. Figurez-vous qu'hier encore il a battu votre filleule, la petite à la mère Dizier, cette Georgette, si patiente avec lui, et qui l'aime tant.
Ah ! dit le vieillard, c'est malheureux, car il promet d'être beau garçon, et qui sait ? s'il voulait être brave, bien brave, là, il aurait peut-être la chance plus tard de capter l'elfe et ses millions.
Le vieillard s'éloigna, et Lambert et sa femme se regardèrent en souriant.
— Pauvre vieux, dit le mari, le corps est solide chez lui, mais l'esprit s'en va... As-tu entendu ce qu'il disait à propos de l'elfe ? Il la connait, elle l'a protégé, il lui doit tout... Quel radotage ! Du reste, quand on a vu passer tant d'eau que lui devant la Belle-Roche, il est bien permis de n'avoir plus la tête à soi...
— M. le chapelain de Fraiture dit que le père Colas est un puits de sagesse, interrompit Jérôme, dont le regard s'était animé aux dernières paroles que le vannier avaient prononcées.
— Ah ! Eh bien, alors, comme il t'a conseillé cent fois de devenir brave, tu es bien coupable de n'avoir pas changé. — Je changerai à partir d'aujourd'hui, reprit le jeune homme d'un air résolu.
— Songerait-il à l'elfe ? dit le paysan à voix basse à sa femme.
— Qu'est-ce que ça nous fait, si cette idée doit le rendre meilleur ?
— C'est vrai, et je me souviens que dans sa jeunesse, le fils à Thierry, qui est devenu contremaître* d'une des plus grandes fabriques de Verviers, était un franc vaurien et qu'il s'est corrigé dans l'espoir d'être agréé par l'elfe. Mon père m'a dit que Colas lui-même, quand il avait seize ou dix-sept ans, chagrinait beaucoup ses parents et qu'il a changé tout à coup. Si notre Jérôme pouvait en faire autant.
— Et puis, ajouta la femme, il a aussi la chance de réussir, après tout...
— Oui, mais il y a le tourbillon que forme là un gouffre très profond : on prétend qu'il faut absolument y passer, et c'est dangereux.
— Bah ! Jérôme nage déjà comme un poisson, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. Moi, je vois dans tout cela beaucoup de profit pour nous, que Jérôme réussisse ou non. Va, il y a plus de malice que tu ne penses dans ce que vient de débiter Colas.
Le père, la mère et le fils se couchèrent ce soir-là en rêvant de l'elfe et de ses millions.
II
A partir de ce moment, une transformation complète s'opéra chez Jérôme. Les paroles de Colas avaient produit leur effet sur lui. Après que le chapelain de Fraiture lui eût expliqué que la vertu consiste à aimer, à pratiquer le bien, à détester, à fuir le mal, il s'efforça de suivre toujours cette loi si simple, et il se montra bientôt le modèle des jeunes gens de la commune.
Notre jeune homme avait partagé ses jeux d'enfant avec cette petite voisine du nom de Georgette Dizier, et qui maintenant s'épanouissait dans toutes les grâces de ses vingt ans.
Un jour la mère Dizier, qui avait du bien, dit au père Vivroux, en présence des deux jeunes gens :
— Encore trois ou quatre ans, voisin, et ça formera un couple parfait, car Jérôme est si vaillant à l'ouvrage et si pieux que je lui donnerais ma Georgette, les yeux fermés. Bien sûr qu'il la rendrait heureuse.
Jérôme remarqua que le visage de la jeune fille se teintait d'une pudique rougeur, que son cœur bondissait sous son casaquin bleu en même temps qu'un sourire de joie errait sur ses lèvres.
Dès lors, il parut fuir Georgette; il évitait de la rencontrer et quand il ne le pouvait pas, il passait outre sans lui adresser autre chose qu'un froid bonjour. Cette froideur chagrinait beaucoup la pauvre Georgette, qui perdit les belles couleurs rosés qui contribuaient tant à la rendre avenante.
Enfin, le jour arriva où Jérôme atteignit ses vingt ans: c'était au commencement d'avril, un mois à peine avant la grande épreuve. Quatre années venaient de s'écouler et le jeune homme n'avait dévié en rien de la ligne de conduite qu'il s'était tracée. Il interrogea sa conscience et trouva que l'elfe devait être bien exigeante si elle ne se laissait pas approcher par lui, car il lui semblait certain qu'il remplissait toutes les conditions exigées.
On était le 28 avril. Comme Jérôme ramenait à l'étable les bœufs de son père, le rencontra Colas qui avait conduit paître sa vache le long des chemins. Ils firent route ensemble.
Le jeune homme entretint naturellement le vieillard de ses projets concernant l'elfe. Pendant qu'ils devisaient, Georgette vint à passer. Le vannier parut pensif et demeura silencieux.
— Qu'avez-vous donc ? lui demanda Jérôme.
— Je pense, répondit Colas, que voilà une belle et bonne jeune fille, qu'elle mettra le pain sur la planche à celui qui l'épousera, et que si Dieu m'avait accordé un fils, j'aurais été heureux de les unir.
Ces paroles semblèrent contrarier Jérôme, qui dit à Colas avec un accent de mauvaise humeur :
— Pour moi, il n'existe ni belle, ni bonne, ni riche fille, et je n'aime pas qu'on parle de pareilles choses; ceux qui sont dans la confidence de mes projets devraient donc se garder de me tenter ainsi.
— Tu as l'air fâché, garçon, reprit le vieillard en le regardant fixement; sais-tu que la colère est une mauvaise note auprès de l'elfe ?
Jérôme se radoucit aussitôt pour expier la faute qu'il croyait avoir commise.
Le lendemain, notre jeune homme se leva avant l'aube pour aller bêcher un champ. Il était décidé à passer ce jour-là dans l'isolement pour bien se recueillir, pour se détacher de toute pensée terrestre, et il avait emporté avec lui de quoi dîner afin de ne pas être obligé de revenir à la maison paternelle.
Qu'on juge de sa contrariété quand il vit les vaches de la mère de Georgette pénétrer dans un pré tout voisin du champ où il travaillait, car il ne douta pas que la jeune fille ne les accompagnât comme d'habitude.
Georgette, en effet, parut et vint s'asseoir non loin de lui, sur un petit monticule, qui lui faisait une espèce de piédestal.
Le soleil venait de paraître à l'horizon et donnait en plein sur le gracieux visage de la jeune paysanne, qu'il illuminait de sa radieuse clarté.
Jérôme en fut frappé et, intérieurement, il dut s'avouer que Georgette était bien belle... Mais cet aveu, il se le reprocha comme une faute et chercha, dans son esprit, un prétexte pour se retirer.
Tout à coup, Georgette lui dit :
— Voilà une superbe matinée, Jérôme. C'est une grande gaieté dans le ciel et sur la terre. Il fait bon vivre par un temps semblable.
— Oui, répondit sèchement le jeune cultivateur. Et il continua son travail sans lever les yeux.
— Quand je parle de gaieté, ce n'est pas pour moi... Silence de Jérôme.
— Non, il ne peut y avoir de gaieté dans mon cœur 'quand je vois... quand je vois...
— Quoi ? dit Jérôme presque malgré lui.
— Que vous êtes envers moi depuis quelque temps d'une froideur...
Le gars comprit que la conversation prenait un tour embarrassant pour lui...
— Je suis envers vous ce que j'ai toujours été, Georgette ; je vous dis bonjour et bonsoir, je vous parle comme je parle à tout le monde... Mais je m'aperçois que ma bêche ne me donnera pas raison de ce dur morceau de terre et qu'il me faudra ma houe. Je vais la chercher. Au revoir, Georgette.
Georgette attendit impatiemment le retour de Jérôme pour continuer l'explication qu'elle avait fort à cœur.
Les heures s'écoulèrent et il ne reparut pas.
Comme elle s'en revenait à midi pour dîner, elle le vit qui travaillait dans un autre champ.
Deux larmes mouillèrent ses yeux.
— Il a voulu me fuir, pensa-t-elle. Il n'a plus que de l'aversion pour moi.
Sur sa route, elle rencontra son parrain, Colas le vannier qui, la voyant pleurer, l'interrogea avec intérêt. Elle lui raconta naïvement tout.
— Prends patience, ma fille, lui dit-il. Avant un an d'ici, tu auras Jérôme et jamais femme ne sera plus aimée, ni plus heureuse que toi.
Colas se rendit près du champ où était Jérôme. Celui-ci lui dit, en allant au-devant de lui :
— Je suis triste. Ma conscience me reproche deux choses : j'ai fait de la peine à Georgette et j'ai menti pour avoir l'occasion de ne pas me trouver avec elle. Ce n'est pas chrétien, n'est-ce pas ? Qu'en pensez-vous, père Colas ? Cela ne peut-il pas me faire tort pour cette nuit ?
— Tu veux donc décidément courir la chance, mon garçon ? demanda Colas, sans répondre à la question qui lui était adressée. C'est bien; mais prends garde au tourbillon... Voilà tout ce que j'ai à te dire, en te souhaitant bonne réussite.
Et il s'éloigna rapidement.
III
La nuit ne démentit pas les promisses de la journée. A un soleil radieux succéda une lune, dont l'éclat n'était terni par aucun nuage.
Aussi, après le souper, les habitants de Halleux vinrent-ils la plupart sur le seuil de leur porte, et la conversation s'engagea de voisins à voisins.
On parla de l'elfe, dont l'apparition annuelle approchait, et à ce sujet, on parla également un peu de Jérôme car, quoique Colas le vannier eût été discret, on avait conçu de vagues soupçons en remarquant combien le fils à Vivroux était devenu rigide dans ses mœurs et dans ses paroles.
Il était traditionnel de dire de tout jeune homme qui se distinguait par sa bonne conduite : « II a l'elfe en tête ».
Depuis le matin, Jérôme n'avait voulu voir ni son père, pi sa mère, de peur qu'à l'instant décisif l'idée du danger que pouvait lui faire courir le tourbillon ne les engageât à le retenir malgré lui. Il était assis sous un arbre, sur la hauteur à l'opposite de la Belle-Roche, et son œil semblait vouloir sonder le lieu qui recelait l'être mystérieux, arbitre de son sort.
Il resta plongé dans une vague rêverie jusqu'à ce que toute lumière fut éteinte dans l'horizon que ses regards embrassaient.
Alors il se dit que le moment approchait; il descendit la côte, traversa la vallée et arriva dans une aunaie qui longeait l'Amblève, et qu'il parcourut en rampant jusqu’à la rive où il se blottit de manière à tout voir sans être aperçu.
Son cœur battait à lui rompre la poitrine. L'elfe se montrerait-elle ? Puis, n'y avait-il pas là, près de lui, peut-être un ou plusieurs concurrents des villages voisins ?
A part le bruit que faisait l'Amblève, rien ne troublait le majestueux silence de la nuit. Tout à coup, sur l'autre rive, une forme blanche se dessina sur le fond sombre du rocher; elle semblait vouloir se cacher dans les anfractuosités creusées par la rivière.
— C'est elle ! murmura Jérôme. Oh ! je l'aurai...
Et plein d'une fiévreuse ardeur, il se laissa glisser dans l'Amblève et se mit à nager vers le bord opposé, en s'efforçant de ne pas faire de bruit pour ne point effaroucher l'elfe.
Le rocher projetait sur les eaux une ombre gigantesque, de sorte que sa base, où Jérôme croyait avoir vu la nymphe, était plongé dans la nuit; et quoique le jeune homme ne se trouvât pas loin du but, il ne distinguait encore que d'une manière confuse la forme qui lui était apparue.
Soudain, il se sentit violemment entraîné et il ne douta pas qu'il ne fût au-dessus du gouffre profond, qui formait là un tourbillon dangereux.
La résistance qu'il opposa au courant eut en un instant épuisé ses forces, et il disparut sous les eaux.
Dans ce danger suprême, le pauvre Jérôme conserva cependant assez de présence d'esprit pour faire un effort, afin de sortir du cercle infernal où il se trouvait.
Il y parvint, mais sa tête frappa contre un angle de rocher et il s'évanouit en poussant un cri arraché par la douleur et la surprise à la vue de l'elfe qui se précipitait vers lui...
Jérôme revint peu à peu à lui; il eut ainsi la sensation de douces pressions sur son visage qui le ranimèrent de plus en plus.
Il put ouvrir les yeux, mais il lui parut qu'il était environné d'épaisses ténèbres. Il porta la main à la figure et en arracha un mouchoir qui lui interceptait la vue.
Il se trouvait couché sur l'herbe d'une oseraie. Il n'y avait personne à ses côtés, mais il entendit un léger bruit de pas et les arbustes s'agitèrent comme au souffle des vents.
Il se leva péniblement et tâcha de se souvenir, mais il ne put réunir ses esprits. Tout à coup, il entendit une voix s'écrier :
— Jérôme ! Jérôme ! Où es-tu ?
Il reconnut la voix de son père qui, peu d'instants après, se précipitait vers lui et le serrait en pleurant dans ses bras.
Vivroux fit part à son fils des mortelles inquiétudes que lui et sa femme avaient éprouvées pendant cette nuit et il l'interrogea sur ce qui avait eu lieu.
Qu'on juge de sa stupeur : le malheureux le regardait d'un air égaré, sans articuler un seul mot.
Il s'achemina silencieusement vers Halleux avec Jérôme, qui se laissait conduire machinalement.
Le lendemain, le jeune homme fut frappé d'une fièvre violente, accompagnée d'un délire continuel. Il ne cessait de parler de l'elfe, qui non seulement, disait-il, s'était montrée à lui, mais qu'il l'avait touchée et dont il avait même reçu des soins.
En disant cela, il montrait un mouchoir blanc qu'on n'avait pu lui enlever et répétait sans cesse :
— Elle est à moi ! Elle est à moi !
Il resta quinze jours dans cette situation; après quoi, il redevint plus calme et put raconter, d'une manière précise, ce qui lui était arrivé jusqu'au moment où il avait perdu connaissance.
Que s'était-il passé alors ?
Il ne doutait pas que ce ne fût l'elfe qui l'eût sauvé, qui l'eût soigné et n'eût disparu, dès son retour à la vie, après avoir eu la précaution de lui bander les yeux pour l'empêcher de la voir et de suivre ses traces.
Son père et sa mère ajoutaient une foi entière à ce récit, car le mouchoir en attestait la réalité. Et c'était un mouchoir en fine batiste,, garni d'une petite dentelle, un objet de luxe, par conséquent.
Quelles suites aurait l'aventure ?
Voilà ce que se demandaient, à chaque instant, Lambert et sa femme. Car ce qu'on racontait de l'existence de l'elfe était bien vrai, il n'y avait plus de doute à cet égard; et comme leur fils l'avait vue et touchée, toutes les espérances de Jérôme ne devaient-elles pas se réaliser ?
Cependant les semaines s'écoulaient sans que l'elfe donnât de ses nouvelles et les graves gens commencèrent à désespérer. Dans l'entretemps, Jérôme revenait à la santé et il se sentit un jour assez fort pour risquer une petite promenade.
Il se dirigea vers la prairie où, d'ordinaire, Georgette faisait paître ses bestiaux, car il ne craignait plus de la rencontrer maintenant. Au contraire, il lui semblait qu'il serait bien aise de la revoir.
Les vaches y étaient, en effet, mais c'était une autre que Georgette qui les gardait.
Il s'approcha de la fille.
— Tiens, dit-il, pourquoi la mère Dizier a-t-elle besoin d'une herdière à présent ? Est-ce que Georgette veut faire la demoiselle, afin d'épouser quelque faraud des environs ?
— Vous ignorez donc que Georgette est malade depuis longtemps ?
— Malade ? Je n'en ai absolument rien appris.
— C'est ainsi, pourtant, et la chose la plus singulière c'est qu'elle a eu ça en même temps que vous, et que sa tête a été aussi troublée. On a compris tout de suite d'où le mal provenait, du reste.
— Et d'où ça venait-il donc ?
— De ce qu'elle vous a trop dans le cœur, grand fier que vous êtes ! C'est ça qui la ronge, voilà tout. Jérôme se sentit une commotion au cœur.
— Le cas n'est pas dangereux, au moins? demanda-t-il.
— Ma foi, reprit la vachère, allez-y voir. Et elle se mit à courir après une folle génisse qui avait fait invasion dans le pré voisin.
IV
Le fils de Vivroux se rendit près de Colas qui, tout âgé qu'il était, tressait encore l'osier pour en faire des vans. Il reprocha au vieillard de lui avoir laissé ignorer la maladie de Georgette.
— Suis mon raisonnement, dit Colas, et tu comprendras cela tout de suite. Ou bien tu tiens à Georgette, ou bien tu n'y tiens pas, c'est clair, je pense ? Si tu y tiens, je ne devais pas te parler d'elle pendant ta maladie; si tu n'y tiens pas, je ne vois pas pourquoi je t'en aurais parlé.
— Mais, reprit Jérôme, Georgette est une voisine, une amie d'enfance, et elle ne peut m'être tout à fait... indifférente.
Colas ne répondit pas; il semblait tout entier à sa besogne.
Jérôme, lui paraissait impatient d'avoir une réponse.
— Voyons donc, père Colas, parlez-moi un peu d'elle, vous, son parrain. Comment va-t-elle, à présent ?
— Mais pas bien, pas bien... Ah ! ça, fils, toujours sans nouvelles de l'elfe, donc !... Sais-tu que nous voilà au 8 juin ?
— Pourtant, répondit tristement le jeune homme, je suis -sûr de tout ce que je vous ai raconté, père Colas. Et le mouchoir blanc doit vous prouver, d'ailleurs, que c'est l'exacte vérité. Mais tout en venant vers vous, j'ai fait une réflexion. Ce qu'on rapporte touchant la délivrance de l'elfe et ses trésors, ne pourrait-il pas être un faux bruit ? Moi, je commence à le croire... Mais Vous disiez que Georgette ne va pas bien ?
— Tiens, tu as là, mon garçon, par rapport à l'elfe, une idée qui prouve que tu n'es pas sot. Elle me frappe, ton idée; car enfin, il y a dans tous les pays tant de dames blanches qui, depuis que le monde est monde, se promènent à certaines époques, au claire de lune, sans qu'on parle de les délivrer et sans qu'on prétende qu'elles veillent sur des trésors; pourquoi la nôtre ne serait-elle pas de cette espèce-là ?
— Enfin, comme vous le disiez l'autre jour, Colas, qui vivra verra... répliqua Jérôme. Pourvu qu'elle vive au moins, la pauvre Georgette, car d'après vous, son cas est grave.
— Il y a moyen de t'en assurer. Je vais aller la voir. Si tu veux m'accompagner, il ne tient qu'à toi.
La figure de Jérôme exprima un vif sentiment de satisfaction.
— Etes-vous sûr, Colas, qu'elle nie recevra bien ? Car j'ai de grands torts envers elle... Je n'ai pas toujours été aussi poli que je l'aurais dû, quand elle me parlait.
— Elle est si bonne qu'elle aura tout oublié.
— Pour de vrai ?
— J'en suis sûr, car elle m'a souvent demandé de tes nouvelles d'une façon pleine d'amitié.
Quand Colas et Jérôme entrèrent chez la mère Dizier, celle-ci était dans la pièce qui précédait la chambre à coucher. Elle parut heureuse de voir le jeune Vivroux.
— Ah ! voilà un brave garçon qui n'oublie pas ses voisins.
— Je serais venu plus tôt, dit Jérôme, si j'avais connu la maladie de Georgette. Comment cela lui est-il donc arrivé ?
— C'est un froid, probablement, dit. la mère Dizier. La petite sotte a été curieuse la nuit du premier mai...
Colas, placé derrière le jeune homme, fit un signe énergique à la veuve Dizier qui, toute stupéfaite, s'arrêta court.
— Entrons, dit-il en entraînant son compagnon dans la seconde pièce.
Georgette occupait le grand fauteuil de cuir à clous dorés, dans lequel son père avait rendu l'âme peu d'années auparavant. La pauvre fille avait l'air bien souffrant. Aussi Jérôme, en la voyant, se sentit-il fort ému, et son premier mouvement fut-il de lui prendre silencieusement la main.
La malade le regarda avec une surprise mêlée d'une joie que trahissait toute l'expression de sa physionomie.
— Quoi ! Jérôme, c'est vous... Vous qui venez visiter votre... ancienne amie ?
— Oui, Georgette, c'est moi, répondit le jeune homme d'une voix étouffée. Deux larmes coulèrent le long des joues amaigries de Georgette. A cette vue Jérôme s'attendrit.
— Oh ! pardon, pardon, s'écria-t-il, toute ma vie, toute ma vie pour vous, Georgette.
L'ivresse du bonheur se peignit sur les traits de la malade qui sembla soudainement transfigurée et prenant un mouchoir blanc qui était à sa portée, elle essuya les larmes qui perlaient à ses paupières.
Jérôme saisit le mouchoir qu'il regarda avidement.
Il prit ensuite celui qu'il portait dans son sein depuis le premier mai, et les examina tous deux avec attention.
Ils étaient absolument semblables.
— Tiens, s'écria la mère Dizier, voilà que Jérôme a le mouchoir que tu me disais avoir perdu, Georgette.
Georgette se cacha la figure dans ses deux mains, tandis que Colas prit à part le fils de Vivroux et lui parla quelque temps à voix basse.
Quand l'entretien fut fini, Jérôme s'avança résolument vers la veuve :
— Mère Dizier, dit-il, vous avez prononcé, il y a quatre ans, certaines paroles que je viens vous rappeler. Je suis sûr que mon père et ma mère seront heureux de me voir épouser Georgette, si donc vous me croyez encore digne de votre fille et si elle-même a un peu d'amitié pour moi, je vous la demande en mariage.
Pour toute réponse, la mère Dizier prit la main du jeune homme et la plaça dans celle de sa fille...
Six semaines après, Jérôme et Georgette devinrent époux.
— Eh bien ! Jérôme, dit Colas au repas de noces, tu vois que j'avais raison de prétendre jadis que l'elfe est une créature bienfaisante. Tu as obtenu tout ce qui t'avait été promis si tu t'habituais à pratiquer la vertu :
une belle et bonne femme, digne de toi, vrai trésor, qui te donnera ce que les millions ne procurent pas; vous aurez, j'espère, de beaux enfants que vous élèverez dans la crainte de Dieu, vous vous aimerez, vous posséderez la paix du cœur, vous serez heureux...
Ah! ces histoires du vieux temps auxquelles les uns croient aveuglément et dont les autres se raillent, renferment presque toujours un sens caché, une salutaire leçon. Telle est, selon moi, mes amis, l'histoire de l’Elfe de la Belle-Roche ; telles sont la plupart, de celles qui se racontent aux veillées, dans notre cher Val de l'Amblève.
La bataille des Eperons d'Or.
WILLEM VAN BONEM ET LA BATAILLE DES EPERONS D'OR
ou
La fin annoncée de l'Ordre du Temple ?
Willem van Bonem, ou Guillaume de Bonem, s'inscrit dans la légende - ou tout simplement l'histoire - de l'Ordre du Temple avec un panache certain, mais, contrairement à son "frère" Gérard de Villers, souvent cité dans l'histoire du Temple en Belgique, il reste encore relativement méconnu...
Son nom a donné lieu à de nombreuses interprétations orthographiques, à travers le temps et les auteurs divers : Boenem, Boonem, Boneem, Bonheem, Bornem, Bornhem... Je me rallierai à la graphie la plus courante, Bonem, que l'on retrouve à Damme, au nord-est de Bruges, où se trouvait, au XIIIème siècle, une seigneurie indépendante appartenant aux Bonem, incluse dans le Franc de Bruges, et dont il subsiste encore de nos jours la Ferme Bonem, au n° 1 de la Bonemstraat (les terres de cette seigneurie furent vendues en 1297 à Baudouin de Dudzele; après être repassé en 1725 aux mains de Ferdinand-Philippe, baron de Boonem d'Everencourt, entre autres tractations, ce bien est actuellement propriété privée).
Le chevalier Guillaume de Bonem, échevin du Franc de Bruges, capitaine du Zwin, seigneur d'Oostkerke, appartint donc à l'Ordre du Temple, et participa, entouré de ses troupes templières, à la Bataille des Eperons d'Or, en 1302, sous la bannière au Lion, bataille qui se termina par la cuisante défaite du roi de France Philippe le Bel face aux rebelles du comté de Flandre.
Un bref "recadrage historique" serait sans doute utile :
L'Ordre du Temple, créé le 23 janvier 1120 par un chevalier champenois, Hugues de Payns, ainsi que par le chevalier flamand Geoffroy (ou Godefroy) de Saint-Omer, et confirmé le 13 janvier 1129 au concile de Troyes, a pour vocation première de protéger les routes de pèlerinage vers Jérusalem et d'assurer le transport des reliques chrétiennes. La perte de la Terre Sainte obligera les moines-chevaliers de l'Ordre du Temple à se replier sur leurs bases occidentales, qu'ils ont d'ailleurs fortement développées dès la création de l'Ordre, en France et dans les pays avoisinants, mais notamment dans le comté de Flandre.
J'ai évoqué une "vocation première", mais il faut constater que très vite les Templiers, animés d'un esprit de justice et d'équité peu courant à ces époques, en assument une seconde : le bien du peuple, face à une féodalité oppressante, face à des "seigneurs" nés tels par chance et qui, sortant trop souvent de leur rôle naturel de protecteurs, deviennent les tyrans que l'on sait. Ainsi, les terres templières deviennent quasiment des lieux de refuge, pour une population autrefois servile, qu'ils libèreront; ils créent des associations d'artisans, libres, qui bâtiront des églises et cathédrales grandioses, car ils sont au service de Dieu et de la Chrétienté (les Templiers obéissent à la Règle rédigée pour eux par Bernard de Clairvaux, qui deviendra en quelque sorte leur "mentor spirituel"); ils animeront le commerce, grâce à des ressources financières importantes, et par un système bancaire fort en avance sur son temps.
En 1307, le roi de France Philippe IV, dit Philippe le Bel, par exemplaire félonie et avec la relative complicité du pape Clément V (ou plutôt par sa "molle résistance" aux actes du roi de France... A noter aussi que, selon le Parchemin de Chinon de 1308, il semblerait bien que le pape ait "absous les Templiers de tous péchés"...), Philippe le Bel donc met un terme à l'aventure templière. Le procès des Templiers, leurs aveux souvent arrachés sous la torture, les accusations d'infamies soutenues par une propagande préalable orchestrée par Philippe le Bel, la mort sur le bûcher du dernier grand maître de l'Ordre, Jacques de Molay, tout cela hante encore l'imaginaire de beaucoup de nos contemporains.
Philippe le Bel
Gisant de marbre - Abbaye de Saint-Denis
Ce qui est moins clair de nos jours, c'est le "pourquoi" de cette élimination de l'Ordre du Temple.
On a dit, pour les défendre ou pour les charger - car aujourd'hui encore comme depuis des siècles, des historiens s'opposent sur le sens à donner à l'histoire du Temple -, que les Templiers étaient des hérétiques; qu'ils adoraient des divinités païennes, voire le diable en personne; qu'ils pratiquaient une sorte d'alchimie sorcière afin de remplir leurs coffres d'or; qu'ils étaient homosexuels; etc. Ou que leur destruction aurait constitué pour Philippe le Bel une opportunité de rétablir ses propres finances, fort délabrées, en prenant possession des biens du Temple. Ou encore qu'ils constituaient "un état dans l'état", devenu dangereux à la fois pour le pouvoir du roi de France et celui des seigneurs féodaux...
Dire que les Templiers ont été toujours et partout irréprochables serait la manifestation d'une certaine naïveté. Mais entre la légende et les acccusations, où se déterminer ?
Pour ma part, je n'entrerai pas ici dans ce long débat, qui a déjà été mené souvent avec plus ou moins de bonheur par de nombreux historiens. Je m'arrêterai à un évènement précis, qui semble démontrer qu'à la fin de sa vie, l'Ordre du Temple répondait toujours aux "critères de qualité" voulus par Hugues de Payns, Geoffroy de Saint-Omer et Bernard de Clairvaux.
Il s'agit de la bataille des Eperons d'Or...
Cet évènement, d'autre part, pourrait fort bien expliquer - au-delà de toutes les littératures plus ou moins fantastiques que l'on a commises à ce sujet - la profonde animosité de Philippe le Bel à l'encontre des Templiers, qui s'assouvira en 1307 par la destruction de l'Ordre. Parce que, par cet évènement, les Templiers entrent en conflit armé avec Philippe le Bel !
Les historiens belges ont généralement reconnu une très positive influence templière dans les anciens duché de Brabant, comté de Flandre, et autre Pays de Liège, etc.
Cet extrait d’un article de A. Perreau intitulé « Recherches sur les Templiers belges », paru dans les « Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique » (Tome onzième - 1852), nous donne un aperçu de cette reconnaissance :
"Les Templiers en Belgique se rendirent dignes du reste de l'intérêt que leur témoignèrent les souverains de ce pays par le concours actif qu'ils prêtèrent en toutes circonstances à la défense de la patrie. C'est surtout lors de la guerre acharnée que le roi de France, Philippe-le-Bel, fit aux Flamands dans les premières années du XIVe siècle, que leur patriotisme parut au grand jour. Les historiens de la Flandre n'ont pas oublié de signaler dans leurs écrits la brillante conduite du Templier Guillaume de Bornem, dont la coopération fut si utile aux princes flamands et à Guillaume de Juliers pour organiser l'armée flamande et chasser de la Flandre les troupes françaises qui jusqu'alors n'avaient rencontré aucune résistance sérieuse."
Cet extrait nous signale l'impact templier en Belgique, et surtout, annonce mon propos : cette fameuse bataille des Eperons d'Or.
Chez les historiens français, on la nomme "Bataille de Courtrai". Et chez les Flamands, elle est connue sous le nom de "Guldensporenslag". Elle a lieu le 11 juillet 1302.
Vers cette époque, le comté de Flandre (c'est-à-dire la Flandre française, de Lille à Dunkerque, soit l'actuelle moitié nord-ouest du département du Nord; les actuelles provinces belges de Flandre orientale et occidentale; une partie de l'actuelle province belge du Hainaut avec Tournai et Mouscron; le sud de l'actuelle Zélande hollandaise avec Aardenburg, Sluis et Hulst), fief du roi de France, s'est fortement développé et enrichi, pour deux raisons : 1° le 4 octobre 1134, un raz-de-marée ouvre une large brèche dans la terre de Flandre, qui fait tout à coup de Bruges un port maritime, lequel devient rapidement l'un des ports commerciaux les plus importants du monde d'alors, ainsi que son avant-port à Damme (la mer est redescendue depuis, et il ne reste plus de cette brèche que le Zwin, charmant endroit entre Knokke et Cadzand)... et 2° le commerce très prospère de la laine avec l'Angleterre.
Ces riches Flamands sont pour Philippe le Bel une opportunité. Ses caisses sont vides. Il veut les remplir avec l'or flamand. Il impose donc des taxes écrasantes. Les Flamands refusent. Philippe le Bel lance ses armées sur la Flandre, armées qui, portant haut des "balais", symbole de leur détermination, "nettoient", c'est-à-dire ravagent le pays. Mais la résistance flamande s'organise. En mai 1302, les Brugeois, commandés par l'un des chefs de cette résistance, Jan Breydel, s'emparent de la garnison française stationnée au château de Male; Guillaume de Bonem participe à l'assaut de la place forte. Quelques jours plus tard, une autre réaction flamande, fort cruelle hélas, purge la ville de Bruges d'une majorité de ses résidents français : cet épisode sera nommé "les matines brugeoises".
Fou de rage, Philippe le Bel lève l'une des armées les plus considérables de ce temps. Pour mater ces Flamands qui veulent préserver leurs libertés et leur or, il réunit la fine fleur de la chevalerie française, les "tanks" de l'époque, sept mille hommes bardés de fer. Il fait appel à des mercenaires provençaux, navarrais, espagnols, lombards, qui grossissent les rangs des hommes de troupe et sergents d'armes français. Bref, il constitue une "force de frappe" de près de cinquante mille hommes.
Face à eux... peu de chose. Les milices flamandes, de Bruges, de Gand, et de toutes les régions de Flandre que l'on réunit alors, ne feront pas le poids. C'est alors qu'interviennent les Templiers. Ils décident de prendre fait et cause pour les Flamands, face au roi de France. Sous le commandement de Guillaume de Bonem, ils organisent en hâte la petite armée flamande. Ils élaborent une stratégie, imaginent de reprendre la tactique d'Hannibal à la bataille de Cannes en 216 avant notre ère (laisser volontairement enfoncer le centre des forces pour, après la ruée désordonnée de l'ennemi, les prendre en tenailles avec les ailes gauche et droite), et, dit-on, procurent à la troupe une arme qui aurait été apportée d'Orient par les Templiers, le "goedendag" : une boule de bois hérissée de pointes de fer, reliée à un bâton de bois par une chaîne, arme d'une efficacité redoutable.
Une autre figure légendaire mais aussi historique de Flandre, Willem van Saeftinghe, moine de l'abbaye de Ter Doest près de Lissewege, "fignole" le dispositif : sur la trajectoire de la "ruée au centre" que l'on espère de l'ennemi, on aura creusé des fossés, recouverts ensuite de branchages. Les chevaliers français n'y verront que du feu, et se feront prendre au piège.
Très vite, la rébellion flamande fait tache d'huile. Par jeux d'alliance et parce qu'elles aussi sont soumises aux exactions françaises, d'autres régions de la Belgique d'alors se mobilisent. Les maigres troupes flamandes sont ainsi renforcées par des contingents de Zélande, du Hainaut, du Namurois, du duché de Brabant, du Pays de Liège. Il paraîtrait même - mais cela reste incertain - que des troupes anglaises aient traversé la Manche pour porter secours aux insurgés flamands. Dans cette armée hétéroclite, on voit des nobles, des bourgeois, des paysans, des manants, tout un peuple...
En définitive, les rebelles flamands et leurs alliés réunissent quelque vingt mille hommes.
Le 11 juillet 1302, la bataille s'engage, dans la plaine de Groeninghe, près de Courtrai, aux abords de la Lys.
Chez les Français, il n'y a nulle inquiétude. Sous le commandement de Robert II d'Artois et de Raoul de Nesle, l'armée du roi de France est sûre de son fait.
Armoiries de Robert II d'Artois
Mais c'est compter sans cette association particulière de l'esprit templier et du courage flamand : bien qu'on l'eût prévenu qu'il valait mieux contourner l'armée flamande et la prendre à revers, Robert d'Artois décide... de foncer dans le piège tendu par les coalisés belges. Il attaque le centre du dispositif adverse, n'y voyant qu'une troupe de manants peu armés... illusion qu'Hannibal, à la bataille de Cannes, avait déjà réussi à imposer aux légions romaines de Varron et de Paul Emile .
Les chevaliers français, en armure et superbement entraînés au combat, après avoir cru refouler les manants flamands - qui se repliaient volontairement, comme le firent les mercenaires gaulois d'Hannibal, et non pas pris de panique comme l'ont écrit plusieurs historiens ! -, les chevaliers français donc, en une "poussée victorieuse" qui vire vite au désordre, s'embourbent dans les fossés marécageux qu'ils n'avaient point vus... Et là, les ailes gauche et droite de l'armée flamande, commandées par Guy de Namur et Guillaume de Juliers, se rabattent sur eux, les prennent en tenailles, et les massacrent. La chevalerie française est anéantie dans le bloed meersch, le "marais sanglant".
La Bataille des Eperons d'Or
Gravure flamande du XIVème siècle
Guillaume de Bonem et ses Templiers sont de la partie, leur bannière unie à la bannière au lion des Flamands. On les surnomme "les Chevaliers du Cygne". Ils sont constitués de trois groupes : templiers noirs, templiers gris et templiers blancs, selon leur grade dans l'Ordre. Au milieu d'eux se trouve Willem van Saeftinghe.
La bannière au lion
D'or, au lion de sable, armé et lampassé de gueules
Quelques temps avant la bataille, Philippe le Bel avait demandé aux Templiers français de se joindre à ses troupes... Ils refuseront, arguant qu'il leur était impensable de se battre contre leurs frères belges. Nouvel affront au pouvoir du roi.
La légende, ou l'histoire, affirme que Robert d'Artois fut tué par Willem van Saeftinghe, qui par ailleurs aurait tué quarante chevaliers français à lui seul. Que cela soit vrai ou faux, il n'en demeure pas moins que cette légende, ou vérité historique, reflète fort bien la réalité du moment : les rebelles flamands et leurs alliés firent un carnage total. Il n'y eut point de quartier.
Statue de Willem van Saeftinghe à Lissewege
(Photo Charles Saint-André)
Après la bataille, les Flamands arrachèrent des bottes françaises leurs éperons, près de sept cents. Ceux-ci, en or paraît-il, furent exposés dans l'église de Notre-Dame à Courtrai. Quelques années plus tard - et les Templiers n'étaient plus là pour leur venir en aide -, les milices flamandes subirent de graves revers, et la France récupéra ses "éperons d'or", qu'elle transféra dans une église à Dijon.
En 1313, Philippe le Bel, dit "le roi de fer", après les avoir supprimés, s'octroya les richesses monétaires des Templiers et transféra leurs commanderies à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (appelé plus tard Ordre de Malte). Il mourut l'année suivante, suite, dit-on, à la malédiction que lui lança Jacques de Molay du haut de son bûcher, sur l'Ile aux Juifs à Paris... légende sans doute, mais le "roi de fer" ne survécut donc pas à ses adversaires.
On ne sait trop ce qu'il advint de Guillaume de Bonem. On sait cependant que ses descendants continuèrent en plusieurs occasions d'occuper des charges communales à Bruges.
Les Templiers de Belgique ne furent pas grandement inquiétés après la dissolution de leur ordre, contrairement à leurs frères français.
La majorité d'entre eux néanmoins prirent la fuite, et rejoignirent principalement leurs commanderies du Portugal, où, sous la protection du roi Dom Dinis, ils changèrent de nom et devinrent l'Ordre des Chevaliers du Christ, ou Ordre du Christ.
Croix de l'Ordre du Christ
D'autres choisirent l'Ecosse comme terre d'exil. Ils y seront protégés par Robert Ier d'Ecosse (Robert the Bruce) qui, excommunié, n'avait plus à répondre aux ordres de saisie des biens templiers promulgués par Rome. Une tradition, toujours controversée, affirme que les Templiers ont aidé Robert Ier à gagner la bataille de Bannockburn en juillet 1314, victoire qui assura l'indépendance de l'Ecosse jusqu'en 1707. En récompense de leurs services, Robert Ier aurait constitué ou reconstitué en leur faveur l'Ordre de Saint-André du Chardon, dont les Templiers formeront le noyau. Cet Ordre du Chardon se serait alors installé à Aberdeen puis à Kilwinning... où fut, historiquement cette fois, créée la première loge maçonnique d'Ecosse, vers 1599... ce qui a incité bon nombre d'auteurs à imaginer (?) une filiation entre l'Ordre du Temple et la Franc-Maçonnerie. Vraie ou fausse, c'est cette tradition qu'utilisa en partie Dan Brown dans son très romancé "Da Vinci Code".
En Flandre, les Templiers n'ont pas été oubliés. Plusieurs communes de la région de Slijpe, où se trouvait l'une des commanderies templières les plus importantes de Flandre, ont gardé la croix du Temple dans leur blason (voir à ce sujet mon article "Les armoiries templières de quelques communes de Flandre").
Les Templiers continuent, de nos jours, comme depuis toujours d'ailleurs, à embraser les imaginations. Divers mouvements néo-templiers se sont formés. L'un des plus connus est sans doute, au XVIIIème siècle, la Stricte Observance Templière, système de hauts-grades souché sur la Franc-Maçonnerie des grades bleus en Allemagne. Jean-Baptiste Willermoz, un franc-maçon lyonnais, rallia la S.O.T. aux loges créées par Martinès de Pasqually en France, et créa ainsi le Rite Ecossais Rectifié - l'un des nombreux rites maçonniques actuels -, qui perpétue l'esprit de l'Ordre du Temple (l'un des grades les plus élevés de ce rite est le "Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte", ou CBCS, manière quelque peu détournée de dire "Chevalier du Temple").
Logo d'une loge maçonnique française
travaillant au Rite Ecossais Rectifié
(R.°. L.°. Kreisteiz à l'Orient de Lorient)
Logo du Grand Prieuré de Nouvelle France,
obédience maçonnique canadienne
travaillant au Rite Ecossais Rectifié
On connait aussi "l'ordre du temple" de Fabré-Pelaprat, au début du XIXème siècle, séquence relativement bizarre des avatars templiers. Actuellement, de nombreuses confréries se réclament de l'esprit templier : leurs actes relèvent parfois d'un certain folklore, mais il n'y a sans doute pas lieu de douter de la force de leurs convictions. Il existe aussi toujours des escrocs en cape blanche à croix rouge, dont il convient évidemment de se méfier.
L'esprit templier perdurera donc... si deus lo vult.
Charles Saint-André
Bannière templière
Le Beaucéant
La Belgique mystérieuse.
GERMAIN LE COUVREUR.
Sous le grand portail de la cathédrale d'Anvers, à la partie ouest de la tour et non loin du tombeau de Quintin Metsys le célèbre forgeron Anversois, l'on remarque une pierre bleue, d'environ trois pieds de longueur. Le passant ne l’apercevrait peut-être pas, si elle ne se distinguait des autres pierres du parvis par quelque chose d'étrange et de particulier. Mille petits morceaux de cuivre y sont incrustés sans ordre, et lorsque le soleil darde ses derniers rayons à l'horizon des Flandres, ils scintillent d'un vif éclat.
Ce monument excita de tout temps la curiosité des voyageurs, les archéologues invoquèrent tous les dialectes et tous les caractères d'écriture pour y découvrir un reste d'inscription, leurs recherches restèrent toujours infructueuses, et jamais ils ne purent parvenir à trouver une lettre dans ce dédale de points de cuivre.
Et pourtant cette pierre n'est pas vide de sens. Pour le vieux citoyen qui, le front courbé vers la tombe, y jette en passant un regard, pour la jeune Anversoise qui, livrée à ses pensées d'amour, l'effleure légèrement, elle dit plus que ces magnifiques monuments en marbre sur lesquels s'étale en lettres d'or, le deuil fastueux des grands.
Voici l'événement qui s'y rattache.
Le 22. Octobre 1526 fut un jour de fête pour la moitié de l'Europe et surtout pour la Flandre dont un des enfants venait d'être appelé au trône des Césars. C'était le jour du couronnement de Charles-Quint. Anvers était alors, après Londres et Venise, la ville la plus riche du monde. Aussi se distingua-t-elle de toutes les villes flamandes par la magnificence qu'elle apporta à la célébration de ce grand jour. Des arcs-de-triomphe s'élevaient dans les rues; des guirlandes de fleurs ornaient les maisons, du sable fin recouvrait le pavé, et l'on voyait s'élever de distance en distance des boissons de plantes rares et odoriférantes; on eût cru voir des oasis au milieu des plaines sablonneuses de l'Arabie.
Le matin une procession solennelle eût lieu; le clergé revêtu de ses habits les plus somptueux et précédé de bannières portait les reliquaires les plus riches et les plus beaux ostensoirs. Le magistrat, le peuple, les corporations et les confréries portant des flambeaux de diverses couleurs et revêtus richement, fermaient la marche.
Ce devoir sacré accompli, on put se livrer sans regret à la joie; des rassemblements se formèrent dans les rues et sur les places publiques. D'immenses tonnes de vin et d'hydromel étaient placées vis-à-vis de l'hôtel de ville et des maisons de corporations. Cent mille ouvriers chantaient des hymnes d'allégresse et criaient: Vive notre marquis! Vive l'empereur Charles!
Cependant tous les habitants de l'opulente cité commerçante n'étaient pas heureux au milieu de ces réjouissances. Dans une petite chambre dont les fenêtres donnaient sur la rue de Zuriek, étaient assis deux hommes; leurs vêtements prouvaient que sans appartenir à la classe des riches bourgeois, ils jouissaient pourtant d'une certaine aisance que procure le travail. Le plus jeune de ces hommes, paraissait avoir vingt ans, il était fort et vigoureux; ses traits alors altérés par la tristesse, joignaient à une beauté mâle, l'expression d'un caractère ferme et décidé. L'autre, vieillard encore vert et robuste cherchait à faire paraître sur son visage et dans ses paroles l'expression d'un espoir que son coeur ne ressentait pas. „En vérité, disait-il, mon fils, je ne te reconnais plus, qu'as-tu fait de ton courage et de ta résignation? notre position a été plus critique qu'elle ne l'est aujourd' hui et cependant je ne t'ai jamais vu aussi abattu qu'en ce moment. Aurais-je eu tort de te regarder comme un homme courageux qui considère sans trembler le malheur en face?" — „Je me sens homme à ne me laisser abattre par aucune infortune, — mais voir Françoise unie à un homme que je hais! .... Cependant . . . s'écria le jeune homme en serrant les poings....
„Mais, interrompit le vieillard, la chose n'est pas décidée, ta crainte est peut-être dépourvue de fondement."
„Non, non mon père! J'ai perdu tout espoir, maître Rulofs me l'a encore répété hier, il donnera sa fille au doyen Bruggemans, si dans un mois je ne suis pas maître couvreur et tu sais qu'il tient à sa parole." — „Qui sait, Germain, un heureux événement nous fournira peut-être l'argent nécessaire pour te procurer cette place."
„Jamais mon père, jamais nous ne parviendrons à une telle somme, parents et amis me l'ont refusée, trois ans ne nous suffiraient pas pour la gagner et maître Rulofs ne me donne qu'un mois de délai."
„Mais Françoise suppliera son père de t'accorder du temps, et certes elle y réussira." — „Oui mon père, elle fera son possible, mais j'ai la certitude que ses prières ne seront pas exaucées. Aujourd'hui à midi, un dernier effort devait être tenté, et déjà elle serait accourue si elle avait une bonne nouvelle à nous apprendre."
A peine eut-il dit ces mots que l'on frappa légèrement à la porte. Le père alla ouvrir et l'espoir parut briller dans les yeux du jeune homme, car il ne doutait pas que ce ne fût la charmante Françoise qui venait lui annoncer son bonheur. Une belle jeune fille entra dans la chambre, son visage fleuri et ses beaux yeux bleus lui donnaient l'aspect d'un ange descendu sur la terre, seulement une légère rougeur autour de ses yeux trahissait des larmes récemment répandues. Les plis de sa mantille laissaient deviner une taille svelte et élancée. C'était bien la jeune fille que Germain attendait, mais elle semblait porter plutôt un message de tristesse qu'une nouvelle de bonheur. A peine eût-elle mis le pied dans la place, que Germain courut à sa rencontre et lui dit: Parle, Françoise, tes larmes ont-elles fléchi le coeur de ton père? — J'ai perdu toute espérance, répondit la jeune fille en jetant sur le jeune homme un regard désespéré. Ses larmes coulaient lentement, Germain sanglotait, et le vieillard souffrait trop lui-même pour pouvoir prononcer une parole de consolation.
Le jeune homme rompit le premier le silence, sa poitrine était oppressée, ses paroles ressemblaient à des sanglots.
Plus d'espoir! Françoise, l'ai-je bien entendu!
Hélas oui, ce n'est que trop vrai, mon père me laisse maîtresse du choix, ou de recevoir le doyen Bruggemans pour époux ou de prendre le voile au couvent des Ursulines.
Le jeune homme sembla attendre avec anxiété, ce qu'elle allait décider, toutes ses pensées, étaient résumées dans le regard qu'il jeta sur elle.
Françoise le comprit et dit: J'ai préféré le cloître.
S'il en est ainsi, dit aussitôt le père tout espoir n'est pas perdu, vous avez deux années de noviciat, et pendant ce temps, nous pouvons nous procurer la somme nécessaire à l'achat d'une maîtrise.
Toute faible qu'était cette lueur d'espérance, les amants s'y abandonnèrent avec confiance, et leurs coeurs battaient, comme si leurs voeux étaient déjà comblés. Semblables à ces naufragés, qui, après avoir longtemps erré sur une mer houleuse, aperçoivent enfin une terre fût-elle même à cent lieues de leur pays, ils levaient aux ciel des yeux reconnaissants. Se sentant presqu' heureux ils se jetèrent dans les bras du vieillard qui avait également repris du calme, quoiqu'il sût, que l'espoir qu'il venait de réveiller dans le coeur des amants, n'était que très-faible et très-incertain. Ils s'abandonnèrent de plus en plus à leurs beaux rêves, et leur imagination vive et enflammée, leur montra un avenir resplendissant. Cependant dès que Françoise eut quitté son ami, celui-ci se voyant seul, retomba dans sa sombre mélancolie.
La fête se prolongeait toujours à l'intérieur, des troupes joyeuses parcouraient les rues en chantant, sans se douter que tous ces accents d'allégresse étaient autant de dards pour le coeur de l'infortuné rêveur. Plus il cherchait à vaincre son désespoir, moins il pouvait s'en rendre maître, et déjà la nuit avait étendu son voile noir sur la ville de Druon Antigon, et mille lampes répandaient leurs flots de lumières dans les rues, lorsqu'il songea à sortir pour se distraire. A peine eut-il fait quelques pas dans la rue, que les flots de la foule le repoussèrent en arrière, en jetant des cris d'effroi. L’ennemi, qui les menaçait, faisait trembler les plus intrépides: c'était l'ouragan d'automne. Il annonce son approche par un léger souffle, semblable à la brise du soir qui caresse mollement les blanches épaules des jeunes filles. Un petit nuage rougeâtre, présage certain d'une tempête, flottait dans les airs. Ce nuage grandissait et prenait une couleur de sang, le vent soufflait avec plus de violence. Les innombrables chaloupes pavoisées qui couvraient le fleuve lésaient tous leurs efforts pour gagner le port. Cependant avant qu'elles l'eussent atteint, l'ouragan s'était déjà fait sentir dans toute son impétuosité. Il hurlait, sifflait comme un choeur de démons qui entonne un chant de damnés. Ceux qui n'ont jamais été témoins d'une tempête sur la mer du nord, ceux qui ne connaissent point la puissance destructrice de l'aquilon qui maintes fois a jeté la terreur sur notre fleuve, ne peuvent se faire une idée de la tempête qui fondit sur Anvers, le 22 Octobre, 1520.
Les eaux de l'Escaut grossies par l'ouragan, se soulevaient avec fracas en vagues écumantes. Le nuage avait pris une couleur plus sombre, des éclairs le sillonnaient et de violents coups de tonnerre se laissaient entendre de temps à autre, enfin la nuée creva au dessus de la ville. Les eaux du fleuve sortirent de leur lit, et en peu de temps une grande partie de la ville fut envahie par l'élément. La cathédrale située dans la partie basse de la ville, était submergée. A la rade, les mâts craquaient et les vaisseaux se brisaient et disparaissaient dans les ondes. Dans la ville, chaque toit de maison ressemblait à un torrent, dont les eaux se précipitaient avec un bruit horrible dans la rue. Toutes traces de réjouissance furent bientôt effacées par cet ouragan nocturne. Les bourgeois tremblants priaient, et grand nombre d'entr'eux, crurent voir dans le fleuve, l'emblème de ce que devait être un jour leur nouvel empereur.
, Germain, forcé par l'ouragan de rentrer chez lui, se retira dans un coin de la chambre, et retomba dans une rêverie dont le bruit des vents, ni les exclamations de son père ne purent le tirer.
Quelques jours après cette orageuse fête de nuit les rues d'Anvers étaient redevenues sèches et praticables. L'infatigable activité des bourgeois avait repoussé les flots dans leur domaine et le soleil eut bientôt pompé le reste d'humidité qu'il y avait encore dans les rues et dans les places publiques. Néanmoins, la populeuse cité n'eut pus aussi vite repris son air habituel de gaieté. A l'exception du port qu'animait un mouvement continuel, et de quelques rues ou des charpentiers et des maçons réparaient les ravages de l'inondation, Anvers était plongé dans la tristesse. Le peu de bourgeois qui parcouraient les rues, levaient les yeux vers la tour de la cathédrale, afin de jeter en passant un regard attristé sur la croix en fer, qui avait eu fortement à souffrir de l'ouragan. Dans ce temps de foi profonde et de véritable patriotisme, chaque ville avait son édifice qu'elle chérissait comme son bijou et estimait comme la couronne de perle qui pare le front d'une jeune fiancée. Ainsi Bruxelles avait son jardin des princes et ses palais, Gand, son beffroi surmonté du dragon grec conquis par les croisés, Louvain se glorifiait de son université et de son charmant hôtel de ville gothique orné de tourelles mauresques, Bruges avait sa maison communal bâtie en 1377 par le comte Louis de Male, et la halle sur l'eau, sous l'arche de laquelle les vaisseaux déposaient leur cargaison à sec. Anvers admirait sa magnifique tour achevée depuis deux ans par Adam Appelmans, architecte colonais. C'était sans contredit le monument gothique, le plus beau et le plus gigantesque de l'Europe. Aussi les Anversois le montraient-ils aux étrangers, avec une sorte d'orgueil satisfait. Lorsqu'ils virent que l'ouragan avait recourbé la croix en fer qui surmontait la tour, leur chagrin fut d'autant plus grand, qu'ils regardaient toute réparation, comme une chose à peu - près impossible. D'abord il fallait faire rougir la croix et l'homme assez hardi pour aller sur le créneau étroit de la tour, risquait sa vie. Les matelots les plus intrépides, qui le jour même de l'ouragan, restèrent suspendus en chantant au haut des mâts se sentaient inondés d'une sueur froide à la seule idée de s'élever à une telle hauteur. Aussi, malgré l'amour que les Anversois portaient à leur ville natale et malgré les promesses que proposèrent les magistrats à celui qui aurait assez de courage pour aller redresser la croix, personne ne se présenta pour mériter la récompense. Les bourgeois, étaient assemblés sur la place de l'église et regardaient d'un air morne le haut de la tour, lorsque quatre hérauts d'armes parcoururent la ville, pour publier encore la prière et la promesse des magistrats. Il embouchèrent trois fois les trompettes auxquelles étaient suspendues les armes de la ville, et le roi d'armes s'étant découvert, parla ainsi:
Le bourgmestre et les échevins font savoir aux habitants de la riche ville d'Anvers, que le magistrat accorde une récompense de 500 florins à celui qui redressera la croix surmontant la tour de Notre Dame, la dite croix ayant été fortement recourbée par l'ouragan le jour du couronnement de notre marquis et prince, Charles comte de Flandre duc de Brabant, roi d'Espagne et de Bohème, empereur d'Autriche, possesseur du nouveau monde.
Tout le monde gardait un morne silence. On répéta la proclamation. Tout-à-coup un jeune homme fendit la foule. Ses traits avaient un air de noblesse et l'on pouvait lire dans ses yeux, l'intrépidité et la résolution. Il s'avança d'un pas assuré vers le héraut, et lui dit: Qu'on me conduise devant le magistrat! Une demi-heure après le héraut reparut sur la place et dit: Les bourgmestre et échevins fait savoir aux habitants de la riche ville d'Anvers, que notre fidèle bourgeois Germain le couvreur, à promis au magistrat, de redresser la croix de Notre Dame, et il est décidé à commencer demain au douzième coup de midi. Ils prient les bourgeois en général et en particulier, de ne pas troubler Germain par conseils, conjurations ou sortilèges, mais de lui prêter toute l'aide et l'assistance dont il a besoin dans cette occasion.
Le bruit, que Germain avait promis au magistrat de redresser la croix de Notre Dame, se répandit rapidement dans la ville d'Anvers et réveilla la curiosité de la plupart des bourgeois qui se rassemblèrent en troupe dans les rues, et longtemps avant midi, i'affluence était déjà très-grande sur la place de l'église. Des flots d'une autre espèce semblaient avoir remplacé ceux de fleuve qui quelques jours auparavant envahissaient la place. Un mugissement sourd semblable au bruit de l'océan, s'élevait du milieu de cette foule dont la surface formée de tètes d'hommes, faisait des ondulations semblables aux vagues de la mer. On faisait toutes sortes de commentaires sur les causes qui avaient pu pousser Germain à cet acte de courage, mais tout le monde ignorait la véritable raison: l'amour de Germain pour Françoise.
Cependant la demeure de Germain présentait l'aspect le plus triste. Le jeune homme, le vieillard et la jeune fille y étaient réunis, agités par les sentiments les plus divers. La résolution et l'exaltation rayonnaient dans les yeux brillants et sur les traits affectueux du jeune homme, et cependant ses sourcils froncés trahissaient encore l'anxiété et l'espoir. Cependant lorsqu'on le vit sur le sommet de la tour, on ne douta plus de la réussite de l'entreprise, et un cri de joie s'échappa de toutes les poitrines. Le vieillard et la jeune fille furent les seuls dont la poitrine resta oppressée et sans respiration, et les yeux fixes et vitreux, ils ne perdaient pas un mouvement du jeune homme, car ils sentaient bien que le plus grand danger n'était pas encore passé; leur âme semblait attachée au moindre de ses mouvements.
Germain ayant attiré ses outils à lui était suspendu solidement à l'une des branches de la croix, il ressemblait à ces grands aigles qui souvent par les froids de l'hiver passent au dessus de nos contrées. Son oeil plongea alors dans la place et mesura sans trembler, le monstrueux abîme qui l'en séparait. Son courage s'était accru avec la certitude qu'il avait acquise de la possibilité de son entreprise, chose étrange, des rêves délicieux s'emparèrent de lui en ce moment. L'avenir d'une union bénie par son vieux père lui apparut dans le lointain, et l'image de la mort qui étendait déjà son bras vers lui, avait disparu. Quelques secondes après s'éleva du pied de la croix un nuage de fumée qui entoura le jeune homme et lui donna l'aspect d'un esprit aérien. La croix commença à rougir, et Germain soulevant le lourd marteau le laissa retomber à coups redoublés. On aurait pu le comparer à un habitant du sombre empire qui livrait un combat acharné à l'emblème de la rédemption. Cependant après chaque coup de marteau la croix reprenait de plus en plus sa position naturelle et la joie de la foule éclatait de plus en plus. Le couvreur entendit ces cris d'allégresse qui s'élévaient vers lui comme un bruit de vagues; hélas! il ignorait que chaque coup de marteau retentissait dans le coeur de son père et de sa bien-aimée. Le bruit du marteau qui l'étourdissait était perdu pour la foule qui croyait voir l'esprit de Quintin Melsys le grand forgeron qui était revenu sur la terre, pour laisser à sa ville natale un ouvrage colossal de plus. Enfin le marteau retomba pour la dernière fois, un cri de victoire partit de la place, la croix avait repris sa position ordinaire et rien ne manquait désormais à la magnifique flèche. Le vieillard et la jeune fille se regardaient avec une joie inexprimable, des larmes coulaient de leurs yeux, un cri d'allégresse sortit de leur poitrine, et enivrés d'enthousiasme, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Le peuple reconnaissant le père et l'amante de Germain, les souleva au dessus des têtes et les porta en triomphe autour de la place. Entretemps le couvreur avait jeté les yeux sur le peuple, dans l'espoir de découvrir son père et Françoise parmi toutes ces têtes.
Tout-à-coup il les aperçut, ce fut son malheur. Son pied heurta le brasier et glissa sur les charbons ardents. Il tomba du haut de la tour, et rebondit sur les pierres angulaires; la corde, qu'il avait autour du corps et qui était attachée à une des arrêtes, le retint un moment suspendu au dessus de l'abîme.
Ce fut une alternative cruelle pour tout le monde. On se précipita sur l'escalier pour voler au secours de Germain, mais avant que les plus agiles enfants d'Anvers eussent atteint le premier étage, la corde fut consumée et Germain tomba en heurtant avec force les dentelures, les pointes, les rosaces et les têtes de monstre de la tour. A chaque nouveau choc, son corps recevait de nouvelles meurtrissures jusqu'à ce qu'enfin après des souffrances atroces, il vint tomber, en tournoyant comme un aigle blessé, sur le pavé de la place, ou sa tête se brisa en mille pièces. Lorsque l'on voulut relever son cadavre, on s'aperçut que deux autres cadavres le tenaient embrassé. C'était un vieillard et une jeune fille. On les laissa réunis dans une tombe creusée à l'endroit même et l'on y plaça une pierre bleue avec autant de pointes en cuivre que l'on put retrouver de morceaux du corps de Germain.
Tel est l'événement dont cette prière rappelle le souvenir au vieillard recourbé vers la tombe et à la jeune fille livrée à ses rêves d'amour.
Jésus son enfance et son adolescence.
Susanne Tadic-Bialucha.
Son enfance et de l'adolescence
Ma vie de l'enfant Jésus a été marquée par la pauvreté. Il était aussi un symbole pour l'humanité, car le Seigneur a dit: «.. Quand les pauvres et les nécessiteux Suis-je trouver en particulier l'anathème haut placés et les plus riches sont à moi" Dieu est humble dans sa grandeur. Il a prouvé que dans le vêtement de Jésus sur terre. Lui, Dieu en moi, dans un pays p
auvre, garçon souvent minée par la pauvreté et le dénuement peu terrestre ...
Beaucoup, beaucoup de questions ont été posées par le garçon, sa mère, Marie de Jésus. Jésus-Christ lui-même a révélé, a ajouté: "Marie, je ne pouvais pas répondre à toutes les questions, mais elle a dit:« Mon fils, beaucoup de gens vivent dans la servitude de leur incrédulité. Qui, dans le cœur n'est pas libre, a aussi peu de sympathie pour les animaux. Le Seigneur qui habite dans votre cœur, vous pouvez aussi donner une meilleure information que j'ai, son humble serviteur
Au nom du Seigneur et de Sa volonté, l'enfant Jésus a été soulevée. L'éducation était très simple. Joseph, un esprit élevé de la maison, y compris Marie, étaient tous les deux habillés dans le corps d'un pauvre homme ... Ils ont vécu parmi les pauvres. Langue DO était simple, donc aussi leur réputation ...
Jésus a dit: rien n'a été épargné. Il a dû apprendre à vivre et, comme tout autre être humain. Alors que j'avais vu depuis l'enfance mes faiblesses humaines et apprendre à les surmonter, car j'étais un symbole pour l'humanité. Mon âme a été formé par l'Esprit du Père ...
Aucun des disciples, je lui ai demandé de venir avec moi avant dans sa famille n'était pas tout ordonné pour le mieux. Tout le monde est allé volontairement avec le Nazaréen, car ils voyaient à travers mon altruisme et par mes discours que j'étais un homme juste des gens ... avec une foi profonde, si bien que je pouvais faire après la volonté de mon Père Tout ce que nous avions besoin pour nos vies et celles des familles, nous avons développé ...
Oh reconnaître, avant la victoire sur les ténèbres de la bataille. Chaque âme individuelle doit désormais lutter avec moi pour la victoire de la vie intérieure ... Je vous a précédé, afin que je puisse vous suivre à travers la puissance de Christ est Dieu en vous. Donc suivi l'ordre des commandements! Pour ce qu'il fait au plus petit de mes frères, vous avez fait pour moi. Cette vérité est établie en vous, afin que vous rentrez chez vous et vous pouvez être ressuscité ...
A chaque jour suffit sa peine.
La France pittoresque
Expression : À chaque jour suffit sa peine
Ce proverbe s’adresse aux gens qui se préoccupent un peu trop des événements à venir et qui font, en cela, le contraire des indifférents. Effectivement, la vie serait intolérable si, en supportant les peines journalières, on y joignait l’appréhension des peines du lendemain. Voici ce que dit à ce sujet l’auteur latin Sénèque...
lundi 5 novembre 2012
Savez-vous où à grandi George Sand ?
Cathy Inigo Mont
Nohant est plus qu'une maison dans laquelle George Sand a longtemps vécu : il s'agit de sa maison de famille. C'est la grand-mère de George Sand, Mme Dupin de Francueil, qui a acheté en 1793 ce petit château. Elle y fit des modifications en attachant une importance particulière au vaste parc qui entoure la demeure et ses dépendances. La jeune George Sand, de son vrai nom Aurore Dupin, y passa son enfance et son adolescence. A l'âge adulte, elle resta profondément liée à sa terre et revint y vivre fréquemment si bien qu'elle devint pour les villageois la "bonne dame de Nohant". Elle y tint d'ailleurs salon en y invitant ses amis artistes comme Liszt, Balzac, Chopin et Flaubert. Delacroix y installa même son atelier durant un temps.
D'où vient le mot "binette" ?
Véronique Lascorz
D'où vient le mot "binette" ?
On ne sait presque rien de ce Monsieur Binet avant son arrivée comme coiffeur à la Cour. Ses créations capillaires et artistiques furent très vite remarquées lorsqu'il réalisé pour Louis XIV une perruque qu'il portera en février 1662 pouri interpréter le rôle de Phoebus lors d'une fête aux Tuileries. Puis le Roi et ses courtisans mirent à la mode les énormes perruques bouclées et abondantes que Binet fabriquait : bientôt on porta la binette, ce qui donnait une drôle de figure, une drôle de binette. La mode disparut mais le terme se fixa en 1791 avant de passer à l'argot où un dictionnaire le recense en 1848.
Source : Des mots qui ont une histoire de Gilles Henry
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