Scène 6
***
Éliabel et Julien entrent côté cour et côté jardin. Scène muette au choix du metteur, puis Julien en riant aux éclats
Julien
Qu’est-ce que je me suis fait sonner les cloches par ma mère ! Menaces, supplications, reproches, chantage, cris et pleurs, vraies colères et fausses tendresses, toute la panoplie y est passée.
Éliabel
Nous aurions dû nous cacher.
Julien
Comme si ç’avait pu changer quoi que ce soit ! Et chez toi, ils ont dit quelque chose ?
Éliabel
Non. Le gros semblant de rien. Ma mère, ça l’arrange : quand on parle de moi on oublie ses écarts, et mon père, lui, il m’aime bien.
Julien
Tu crois qu’il sait quelque chose ?
Éliabel
Bien entendu.
Julien
Et il n’a rien dit ?
Éliabel
Si, mais sans avoir l'air d'y toucher.
Julien
Qu’est-ce qu’il a dit ?
Éliabel riant
Mot pour mot : "Ah ! À propos, Éliabel, si par le plus grand des hasards il arrivait que tu le croises à nouveau, tu diras à ce garçon de se méfier : il n'y a rien de plus faux que les Celles-Bas. Tout le clan est de cette farine-là".
Voilà, je t'ai fait la commission.
Julien
Je commence seulement à comprendre qu'Arsène n'est pas quelqu'un de bien. Et ton amie qui m’a traité comme elle l’a fait ! J’avais tellement honte.
Éliabel
Oublie ça. Les filles vulgaires méprisent toujours les garçons bien.
Ah, tu es un drôle de coco. Sais-tu que tu ne m'as jamais demandé si je voulais t'épouser ?
Julien
Non ? Ah ! Mais je croyais que tuuu …
Éliabel
Tu ne m'as jamais offert, je ne dis même pas un bijou, non, tu n'as pas d'argent et je m'en fiche, mais tu ne m'as jamais offert le moindre colifichet.
Julien
Tu vois à quel point je suis sot.
Éliabel
Tu es surtout tellement innocent que tu ne sais même pas qu'on utilise des leurres. Tout ce que j'ai reçu, c'est, de temps en temps, une fleur des champs.
Julien penaud
Ben oui …
Éliabel
Ce que j'en conclus, c'est que tu ne vois rien de ce qui est superficiel. Tu es tellement candide que tu donnes tout ce que tu as sans même te rendre compte que tu le donnes. Tu ne possèdes rien d'autre que toi-même et tu ne prends rien à personne sauf, de loin en loin, une petite fleur qui t'a ému.
Julien
Ben oui …
Éliabel
Tu as même oublié de me demander si je t'aimais.
Julien
Mais je croyais que tuuu …
Éliabel
Et tu n'as même pas songé à me dire que tu m'aimais.
Julien
Mais j’ai cru que tu le savais.
Éliabel
Tu ne m'as jamais murmuré les mots tendres.
Julien
On dirait bien que tu ne veux plus m'épouser.
Éliabel riant
Mais siiii, je vais t'épouser ! Si je ne le faisais pas par amour, je le ferais par devoir.
Julien
Qu'est-ce que tu racontes ? Par devoir !
Éliabel riant toujours
Ouiiii, par devoir chrétien ! Parce que tu es bien trop bon pour qu'une femme ordinaire puisse t'aimer. N'importe laquelle te fera porter des cornes. Et c'est pour t'éviter tous ces malheurs que moi, je veux être ton épouse. Tu vois, pour faire une bonne action …
Julien
Ah ! Tu es en train de te moquer de moi. C'est pas gentil.
Éliabel
Mais si c'est gentil. Il n'y a pas de fiel dans le ton que j'emploie. Ce n'est pas de la moquerie, c'est de la tendresse. Il ne faut jamais se laisser arrêter par l'écorce des mots, il faut écouter ce qui est dit derrière le paravent des mots. Vois-tu, chacun a sa manière de parler d'amour : la tienne est de parler d'amour sans employer de mots. La seule chose qui compte, c'est que tu me prouves ton amour.
Julien
C'est impossible. Comment prouver que je t'aime ? Nul ne peut prouver la sincérité d'un sentiment !
Éliabel
Pourtant en amour, la preuve est facile à faire.
Julien
Ah, oui !
Éliabel
La preuve de l'amour, c'est la fidélité. Là où la fidélité n'est pas, il n'y a pas d'amour, et là où elle n'est plus, c'est comme s'il n'y avait jamais eu d'amour. L'amour est vivant ou il n'est pas. Il est sans fin ou il n'est pas. Imagine-t-on passer un contrat de bail d'amour : Monsieur je vous aimerai 3 ans, 6 ans, 9 ans, avec un préavis de 6 mois.
Julien
Finalement, l'amour, je ne sais même pas ce que c'est.
Éliabel
Mais il n'est pas interdit d'essayer d'en dire quelque chose, pour ajouter le plaisir des mots aux battements du cœur.
Julien
Je ne saurai jamais. Je suis un balourd.
Éliabel
Essaye d'abord, tu te jugeras après.
Julien
L’amour, grosse hésitation… c'est le printemps.
Puis on accélère progressivement
Éliabel
Oui !
Julien
L'amour …c'est une aurore.
Éliabel
Oui !
Julien
L’amour … c'est un baiser.
Éliabel
L’amour… c’est rire à deux en regardant le ciel.
Julien
L'amour … c'est mordre à deux dans un rayon de miel.
Éliabel
L'amour … c'est une main qui donne un cruchon d'eau.
Julien
L'amour… c'est une soie qui glisse sur la peau.
Éliabel
L'amour … c'est un zéphyr dans la touffeur du soir.
Julien
Et c'est mon cœur qui bat en entendant ta voix.
Éliabel
Julien, tu dis des mots … des mots si beaux
Julien qui commence à fredonner
Parce que je sens frémir ton cœur,
Parce que j’entends chanter ton âme
Éliabel parlé
Mon âme ? Que dit-elle ?
Julien chanté
Moi, je suis là, me dit-elle,
Pour que tes vieilles détresses
Pleurent au chaud de ma tendresse.
Je serai là, me dit-elle,
Pour dans la nuit de tes drames
Être ta porteuse de flamme …
Éliabel
Tu dis des mots si beaux !
Julien chanté
Moi, je suis là me dit-elle
Pour t'aimer sans réticences
Au-delà des apparences
Et bien au-delà des mots.
Éliabel chanté
Au-delà de l’espérance
Et bien au-delà des mots.
Car, jumelle de ton âme,
Je serai simplement ta femme.
Julien parlé
Je sens ton cœur chanter
J'entends frémir ton corps.
Éliabel parlé
Julien, prends-moi dans tes bras.
Il la tient dans ses bras, elle pose sa tête sur sa poitrine mais ils ne s’embrassent pas. Puis Éliabel se recule un peu, ils se tiennent, elle lui prenant la taille, Julien la tenant aux épaules :
Éliabel
Julien, écoute ce que je vais te dire, et j’aimerais que tu me dises la même chose.
Julien
Oui.
Éliabel
Parce que tu m’as aimée au premier regard, je te prends toi tout seul pour moi toute seule et pour toute ma vie, et même la mort ne nous séparera pas car de nous deux le mort vivra comme avant dans le cœur du vivant.
Julien
Parce que tu m’as aimé au premier regard, je te prends toi toute seule pour moi tout seul et pour toute ma vie, et même la mort ne nous séparera pas car de nous deux le mort vivra comme avant dans le cœur du vivant.
Ils s’étreignent longuement puis se séparent
Éliabel
À demain.
Julien
À demain.
Éliabel s’en va et Julien la regarde partir.
(à suivre).
° ° ° ° °