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jeudi 8 novembre 2012
Blanche de Montfort et le chevalier au panache rouge.
Photo Même combat.
Blanche de Montfort et le chevalier au panache rouge
"Les légendes du Val d'Amblève"
par Marcellin La Garde
(1818 - 1889)
I
Parmi les poétiques débris du moyen âge qui jonchent encore le sol de la Belgique, rien ne surpasse en intérêt et en beauté pittoresque les ruines de l'ancien château d'Amblève. Situation admirable, aspect imposant, antiquité reculée, souvenirs de sièges, de combats et de drames intimes, apparitions fantastiques : elles ont tout ce qui peut frapper à la fois les regards et l'imagination.
Désigné dans la contrée sous le nom de « Château des quatre fils Aymon » et dans plusieurs chartes sous celui de Château-Neuf (Novum Castellum), Amblève, qui peut fort bien avoir été une redoute romaine faisant partie du vaste système de forteresses élevées contre les barbares d'au delà du Rhin, fut positivement une résidence carlovingienne. Il est même permis de croire qu'il donna lieu à la célèbre bataille qui se livra au pied de ses murs en 717, et dont un moine de l'ancienne abbaye de Malmedy a donné une curieuse version :
Les Neustriens, soumis aux Austrasiens, ayant résolu de profiter de la mort de Pépin de Herstal pour essayer de reconquérir leur indépendance, s'attachèrent Radbod, duc des Frisons; commandés par ce chef et par Rainfroy, leur maire du palais, ils allèrent assiéger Cologne, où se trouvait la régente Plectrude.
Mais Charles Martel, ou plutôt Martin (comme la chose semble aujourd'hui démontrée), les repoussa et les poursuivit, l'épée dans les reins, à travers la forêt des Ardennes. Ils vinrent camper sur les rives de l'Amblève, tout près de Château-Neuf. Charles, résolu à les attaquer dans cette situation, rencontra heureusement sur sa route une vieille femme qui lui témoigna son étonnement de le voir, dans un pays sauvage, se hasarder avec aussi peu de monde à la poursuite d'une armée considérable : elle lui dit qu'elle connaissait un moyen infaillible de mettre l'ennemi en déroute sans aucun danger pour lui et les siens. Le jeune chef l'ayant invitée à s'expliquer, elle lui conseilla d'ordonner aux soldats d'attacher des branches d'arbres à leurs casques et à la tête de leurs chevaux, de se couvrir eux-mêmes de feuillage et d'herbe, et de s'avancer ainsi lentement et sans bruit vers l'ennemi. Charles trouva l'avis excellent. Arrivé à proximité de l'endroit où Rainfroy et Radbod avaient planté leurs tentes, il employa une partie de la nuit à faire ses préparatifs d'après le plan qui lui avait été suggéré.
Au point du jour, les Neustriens et les Frisons virent, sur le versant de la montagne voisine, une forêt qui semblait s'avancer vers eux.
Pendant qu'ils s'interrogent avec trouble et inquiétude, la forêt continue à marcher, comme poussée par une puissance invisible. Enfin, un grand bruit retentit, les arbres se penchent, tombent et découvrent une foule de guerriers qui se précipitent dans le camp neustrien où nul ne s'attendait à cette brusque attaque. Vigoureusement chargées par la petite bande de Charles, les armées neustrienne et frisonne sont taillées en pièces.
Les noms de Rabot-rive et de Martin-rive, restés à deux endroits situés au bas de la montagne sur laquelle le château est assis, désignent les deux camps; des débris d'armes, une foule d'ossements qui y ont été découverts à différentes époques, ne laissent aucun doute sur le lieu où se livra cette mémorable bataille qui fut le prélude des victoires de Vincy et de Soissons, lesquelles donnèrent définitivement la suprématie à la France de l'Est sur celle de l'Ouest. Or, ne peut-on présumer avec vraisemblance que les Neustriens et les Frisons, quand Charles les attaqua, étaient occupés à faire le siège de la forteresse d'Amblève, qu'ils devaient avoir intérêt à posséder, et qui aurait été ainsi le pivot d'un grand événement historique ?
Quoi qu'il en soit, après la mort de Charles, des différends ayant éclaté entre ses successeurs, Pépin le Bref et Carloman d'un côté, et son fils naturel Griffon de l'autre, celui-ci, vaincu par ses frères, fut enfermé dit le chroniqueur Aimoin « in Novo Castello quod juxta Arduennam situm est ». Plus tard, en 862, Lothaire de Lorraine y signa le diplôme confirmant la donation faite, par l'empereur son frère, de la terre de Sprimont, aux moines de Stavelot, qui se trouvèrent ainsi posséder Amblève, chef-lieu de la dite terre.
Mais en 1085, l'abbé Rudolphe céda celle-ci, à titre d'engagerai et hormis les dîmes, au sire Mazon de Roanne, moyennant « un cheval et une charretée de vin, le tout d'une valeur de six marcs ». Ce fief étant venu à relever de la maison de Brabant, le château fut assiégé par les adversaires de Jean 1er pendant la guerre pour la succession du Limbourg; mais le Brabançon les força à la retraite à la suite d'un combat sanglant qui eut lieu dans la gorge de Nierbonchera, entre Aywaille et Florzé.
Un drame affreux, qui s'accomplit à Amblève à la fin du XIVe siècle, engagea le dernier des Roanne à renoncer au inonde, et Jeanne de Brabant fut, comme suzeraine, mise en possession du manoir tombé en déshérence; mais plus tard, cession en fut faite par Antoine de Bourgogne au sire de Montjardin, des mains duquel il passa, toujours par engagère, dans celles de la famille de Lamarck, qui le posséda jusqu'en 1587, où les habitants de Sprimont mirent la somme nécessaire à son rachat à la disposition de Philippe II, à condition de pouvoir le démolir. Et le géant de pierre, qui avait résisté à tant d'attaques, tomba misérablement sous la pioche de quelques centaines de manants !
Depuis l'année 1400 jusqu'à l'époque de sa destruction, le château d'Amblève ne fut jamais habité par ses possesseurs, qui se bornèrent à y mettre des soudards en garnison; et le terrible Sanglier des Ardennes lui-même, après y être resté quelques jours pendant sa lutte avec l'évêque Jean de Horn et Maximilien d'Autriche, déclara qu'il préférait avoir à combattre à lui seul toute une bande de malandrins plutôt que de passer une nuit de plus dans ce maudit castel.
Que s'y passait-il donc de si effrayant, alors qu'il était debout ? Et aujourd'hui encore, qu'il n'offre plus que des pans de murs croulants et des souterrains effondrés, que s'y passe-t-il pendant certaine nuit d'automne pour que, à cette date, on craigne tant d'en approcher ?
Le récit qu'on va lire donnera la clef de ce sombre mystère.
II
Dans une salle du château de Montfort-sur-1'Ourthe, un soir de la fin d'octobre de l'année 1399, trois personnes étaient assises sous le vaste manteau d'une cheminée où pétillaient de gros rameaux de chêne : un vieillard, une jeune fille et un page de seize à dix-sept ans.
Le vieillard était le châtelain, sire Hugues de Montfort. Les nombreuses cicatrices qui sillonnaient son crâne chauve, le tronçon de bras qui s'agitait à son épaule et qu'il masquait dans la manche d'un vaste pourpoint, le trophée de lances et de glaives brisés appendus à son foyer, prouvaient qu'il avait parcouru avec honneur la carrière des armes.
Il gardait un silence austère et paraissait écouter avec attention une lecture que lui faisait le page, dans un manuscrit sur parchemin aux enluminures brillantes. Quand la lecture fut terminée, le vieillard passa la main sur son front et fit entendre un long bâillement. La jeune fille, encore sous l'émotion que les événements narrés dans la chronique avaient fait naître en elle, posa sur une table l'écharpe qu'elle brodait et s'écria :
— Oui, ce fut une vengeance bien terrible, mais elle fut juste !...
Sire Hugues la regarda d'un air sévère.
— La vengeance n'est jamais juste, Blanche, lui dit-il. Toutes les méchancetés, toutes les trahisons dont nous sommes souvent victimes, nous devons les prendre comme venant de la main de Dieu, qui veut éprouver notre résignation et nous accorder, dans l'autre monde, la récompense des maux que nous souffrons dans celui-ci. Je vous vois toujours sourire aux idées de vengeance, Blanche. Chaque fois que Bernard nous lit une des chroniques écrites par Mandulphe, l'ancien ménestrel, je vous vois trépigner et bondir lorsqu'il est dit qu'une demoiselle, éprise d'un fol amour, se venge d'une rivale ou d'un amant infidèle, ou qu'un châtelain tue sa dame dans les bras d'un ravisseur. Bernard, continua-t-il en s'adressant au page, je vous défends de lire désormais à la veillée le livre de Mandulphe : les aventures qui y sont racontées sont dangereuses pour les jeunes têtes. Lisez-nous plutôt le Miroir des Nobles de Hesbaie, que j'ai reçu en don du brave chevalier de Hemricourt.
Le page échangea avec la jeune fille un regard d'intelligence et serra précieusement le manuscrit dans son sein.
— Bernard, ajouta Hugues en se levant, prête-moi ton épaule pour regagner ma chambre, je me sens fatigué et j'ai envie de me coucher, quoique la soirée soit à peine au milieu de son cours.
Au moment où Bernard exécutait cet ordre, le vieillard aperçut sur la table l'écharpe que brodait Blanche.
— Ma fille, pour qui est cette écharpe que depuis si longtemps tu embellis de fleurs d'azur et d'or ? Blanche rougit et ne répondit pas.
— Oh ! je le sais, va, reprit Hugues; mais brûle cette écharpe et laisse ton amour s'éteindre, car Dieu sait si celui auquel tu l'as destinée reviendra jamais vers toi.
— Quoi ! s'écria Blanche en pâlissant, auriez-vous appris que quelque malheur était advenu à Raoul ?
— Non, répondit le vieillard, rien de fâcheux n'est sans doute arrivé au sire de Renastienne ; seulement, comme voilà quinze grands jours qu'il ne nous a fait visite, et que nous sommes même absolument sans nouvelles de lui, cette absence permettrait de supposer... qu'il t'a oubliée... Mais je suis peu expert aux choses d'amour. Viens, Bernard.
Et il sortit de la salle, appuyé sur le bras du page.
Dès que son père se fut éloigné, Blanche se leva et alla s'accouder sur l'appui d'une fenêtre d'où l'on apercevait le château de Renastienne, situé en face de Montfort. C'est par cette fenêtre qu'elle voyait venir Raoul, qu'elle le voyait descendre la colline, traverser l'Ourthe et aborder avec sa nacelle au pied du rocher gigantesque servant de base au manoir. Mais ce soir-là, comme les précédents, le chemin qui conduisait à Renastienne était désert, aucune nacelle ne fendait les flots, et l'heure à laquelle venait d'ordinaire Raoul était passée.
La châtelaine de Montfort demeura ainsi longtemps immobile, absorbée dans ses pensées. Elle prit son mouchoir et sembla essuyer une larme. Tout -à coup elle sentit une douce main se poser sur son épaule et, se retournant avec précipitation, son regard voilé de pleurs aperçut la gracieuse figure de Bernard.
— Oh ! Bernard, dit-elle, mon ami chéri, tu fais bien de me consoler. Toujours quand je souffre, tes paroles enfantines et naïves me sont si douces à entendre; j'aime tant à te voir enfant, heureux, calme et sans que ton cœur entre pour rien dans tes émotions. Oh ! va, je regrette bien les jours où j'étais enfant comme toi, et à l'abri des passions qui déchirent et torturent l'âme.
Le page la regarda et sourit avec dédain et ironie.
— Eh ! qui vous dit donc, noble damoiselle, que mon cœur est calme ? Qui vous dit que, sous l'enveloppe d'un enfant, Dieu n'a pas mis un cœur d'homme, qui gémit en silence, et que les passions aussi déchirent et torturent ?
Blanche regarda avec étonnement son page qu'elle entendait ainsi parler pour la première fois. Un tremblement convulsif agitait le jeune homme; son regard, d'ordinaire si pur, si doux, jetait un reflet étrange.
— Eh quoi ! mon gentil page, dit Blanche en sou riant, te serais-tu épris d'amour pour quelqu'une de mes chambrières ? Confie-moi cela, enfant, et je te rendrai heureux en te fiançant à celle que tu aimes.
— Une chambrière ! Oh non !... s'écria Bernard.
Et il s'avança vers Blanche, saisit sa main et voulut courber le genou.
Mais il s'arrêta court. Dans le silence du soir, on entendait le bruit des pas d'un cheval qui galopait avec rapidité sur le pavé de l'avenue.
Le coursier s'arrêta à l'entrée du pont-levis, qui fut levé aussitôt, et Blanche, regardant à travers une fenêtre s'ouvrant sur la cour, vit avec joie briller l'armure du sire de Renastienne qui, peu d'instants après, fut introduit dans la salle. Le page voulut sortir et lança à Raoul un regard plein de haine; mais Blanche lui ayant fait signe de demeurer, un éclair de bonheur brilla sur ses traits et il se plaça dans un coin où il se mit à jouer avec une levrette.
Le sire de Renastienne s'avança vers Blanche qui le salua froidement. Après avoir échangé quelques mots, ils s'assirent près du foyer. Blanche se plaça du côté opposé à Raoul et il se fit entre eux un long silence que ce dernier interrompit enfin en disant :
— Blanche, je m'aperçois que vous êtes mécontente de moi. Mais il n'a pas dépendu de ma volonté d'agir autrement à votre égard. Voyez, d'ailleurs...
Et entrouvrant son pourpoint, il montra sur sa poitrine une blessure qui commençait à se cicatriser. La jeune fille poussa un cri d'effroi, et ses traits perdirent l'expression de froideur et d'indifférence simulée qu'ils avaient prise jusque là.
— Ah! Raoul, dit-elle, pourquoi toujours ainsi mettre votre vie en péril ? Malheur vous adviendra certainement un jour.
— Ce n'est point en combattant pour mon bon plaisir que cela m'est advenu, répondit le chevalier. Les Liégeois sont en guerre avec leur évêque, Jean de Bavière, et j'avais cru que je ne serais pas de trop parmi eux; mais un larron d'archer, au moment où je m'y attendais le moins, m'a porté avec une force telle le coup dont vous voyez la trace, que ma cuirasse a été outrepassée. Il allait m'achever lorsque le vaillant Humbert de Roanne, sire d'Amblève, qui était à mes côtés, lui asséna un coup si violent sur le casque que la cervelle du soudart vint souiller mon armure. Voyant que j'étais blessé, le comte m'a donné les soins les plus touchants, et lorsque enfin Jean de Bavière a été obligé de pactiser avec les Liégeois vainqueurs, il a voulu que j'allasse passer quelques jours à son bon château d'Amblève; j'y suis depuis avant-hier, et c'est de là que je viens à la hâte vous présenter mes hommages, car Humbert est un hôte qui ne laisse guère de loisir à ses invités. Mais il se fait tard, et l'obscurité est grande ce soir. Je vais vous souhaiter une bonne nuit et des songes riants.
— A demain, sans doute ? dit Blanche d'un air interrogateur.
— Demain... non, répondit le chevalier avec embarras, Humbert désire que je joue un rôle dans une pièce qu'il a montée.
— Quelle pièce ? Un mystère, une sotie ?
— Non. Vous saurez cela... Le sire d'Amblève a des desseins cachés... Les lois de l'hospitalité et de la reconnaissance veulent que je lui obéisse aveuglément. Il s'agit de l'aider à déjouer adroitement certain plan qui ne lui sourit pas... «
— Soit, je vous laisse vos secrets. Mais quand nous reviendrez-vous ?
— Ma foi, je ne puis le dire... Bientôt, j'espère.
— Dites un jour ou l'autre, reprit Blanche, cruellement blessée de ces réponses évasives.
Le chevalier resta silencieux, rajusta son armure, passa la main sur le tranchant de sa bonne dague pour sentir si rien ne l'avait émoussé et, après s'être incliné profondément devant la damoiselle, il gagna la cour du manoir, remonta sur son coursier et reprit le chemin qui devait le conduire vers Amblève.
Blanche, dès que Raoul de Renastienne se fut éloigné, demeura consternée. Il ne lui avait pas parlé de son amour comme autrefois; pas un mot de tendresse n'était sorti de sa bouche, il était resté froid et indifférent et n'avait fait que deviser de ses combats et du sire d'Amblève; puis ses dernières paroles, comment les interpréter ? Elle répéta plusieurs fois avec désespoir :
— Il n'a plus d'amour pour moi! Il a donné son cœur à une autre et peut-être sa visite avait-elle pour objet de me préparer à cette révélation !
Comme elle allait se retirer, Bernard s'avança vers elle et lui dit :
— Noble damoiselle, voici un parchemin que je trouve à la place où le sire Raoul s'est assis.
Blanche prit le parchemin et y aperçut les armes des seigneurs d'Amblève : deux lions sur fond de sable. Alors une curiosité invincible la poussa à ouvrir ce billet et à prendre connaissance de ce qu'il contenait. Elle l'ouvrit donc et lut ces mots :
« Sire chevalier, ma fille a fait la promesse qu'elle n'accorderait sa main qu'à celui qui se serait distingué par sa vaillance et la force de ses armes. Donc si vous l'aimez d'amour vrai, venez au tournoi que je donne pour célébrer l'anniversaire de sa naissance, le 29 du présent mois d'octobre, et où doivent combattre tous les nobles chevaliers de nos contrées qui recherchent Mathilde en mariage, et si vous parvenez à les vaincre, elle sera à vous. »
Au bas se trouvait une date, vieille de quinze jours déjà, et cette signature : « Humbert d'Amblève ».
Blanche alors comprit tout.
Mathilde était la fille unique et chérie du sire d'Amblève; comme la châtelaine de Montfort, elle était surtout renommée dans le pays par l'esprit bizarre qu'elle avait puisé dans les poésies des trouvères et dans les romans de la chevalerie dont elle faisait sa lecture favorite. Raoul, en la voyant, avait été captivé par ses charmes; il avait oublié pour elle les serments qui le liaient à Blanche; le lendemain, il allait combattre aux joutes pour obtenir sa main, et sa présence à Montfort, ce soir-là, jointe au langage mystérieux dont il s'était servi, avait peut-être un double but : en cas de succès, elle préparait une rupture; en cas de défaite, elle ouvrait les voies à un raccommodement.
— S'il allait être vainqueur ! pensa Blanche avec angoisse. Oh ! mon Dieu; et pas un adversaire pour lutter contre lui avec chance de succès, aucune valeur à opposer à la sienne, aucun bras pour faire plier son bras!
Elle versa des larmes de rage; sa poitrine s'oppressa, un feu sombre jaillit de ses yeux noirs, des paroles de vengeance tombèrent de ses lèvres.
De terribles passions se livraient en elle un furieux combat, car c'était une nature ardente que la sienne. Tout à coup, elle se frappa le front, une idée subite parut s'y faire jour.
— Raoul ! Raoul ! s'écria-t-elle, chevalier indigne de mon amour, lâche et félon, tu ne seras pas vainqueur! Mathilde ne sera point à toi! Dieu ne viendra point en aide à pareille trahison!...
— Non ! dit avec énergie une voix derrière elle. Elle se retourna vivement.
— Encore vous, Bernard, encore vous, dit-elle avec humeur. J'ai besoin d'être seule, laissez-moi; allez vous reposer, je vous en prie.
Le page laissa tomber sur elle un regard triste et résigné et, le cœur gonflé de larmes, il regagna sa chambre dans la tourelle en murmurant ces mots :
— Si elle voulait, pourtant !
III
Raoul ne tarda pas à se féliciter d'avoir eu la précaution de revêtir son armure et de se munir de sa meilleure dague; à peine eut-il fait une lieue de marche qu'un bruit, dont il ne put se rendre compte de la nature, se fit entendre derrière lui. Il se retourna et ne vit rien; la nuit était devenue de plus en plus sombre... Le même bruit se répéta longtemps encore, mais le chevalier crut que c'étaient les arbres de la route qui s'entreheurtaient au souffle du vent d'automne, ou des partisans du prince fuyant secrètement Liège, ou une troupe de bohémiens maraudeurs marchant de nuit pour mieux se livrer à leurs déprédations. Il fit doubler le pas de son cheval qui jusque là avait marché très lentement; enfin il parvint près d'Amblève et déjà il voyait poindre dans la nuit le donjon du château.
Il s'arrêta un instant à l'endroit où des préparatifs, avaient été faits pour le tournoi du lendemain.
— C'est donc ici, pensa-t-il, que va se décider ma destinée, que je devrai déployer une valeur surhumaine, vaincre tous mes rivaux ou perdre à jamais celle sans laquelle mon bonheur est désormais impossible en ce monde.
Il était encore livré à ces pensées lorsqu'il lui sembla que le bruit qu'il n'avait cessé d'entendre devenait plus distinct.
Il se retourna de nouveau : la lune venait de sortir des nuages qui l'entouraient, et il vit enfin un cavalier armé de toutes pièces et dont le casque était ombragé d'un panache couleur de feu. Raoul, croyant qu'il en voulait à sa vie, l'attendit en se raidissant sur ses arçons; mais le personnage inconnu fit prendre le galop à son cheval et passa outre, en levant sa lance en signe de défi et en la dirigeant vers le champ du tournoi. Le sire de Renastienne voulut suivre son provocateur, mais celui-ci avait une grande avance sur lui et finit par se perdre dans l'éloignement. Tout en songeant à cette rencontre, Raoul arriva devant la porte du château d'Humbert.
Le cavalier au panache rouge, lui, s'arrêta dans un pré au bord de l'Amblève, sauta en bas de son coursier, le laissa paître, se coucha au pied d'un arbre et s'enveloppa dans son manteau en attendant le jour.
Un tournoi, à une époque où ces sortes de jeux étaient devenus rares dans le pays de Liège, un tournoi dont une riche héritière, renommée par sa beauté et son savoir, recherchée par de nombreux soupirants, avait voulu elle-même être le prix, c'était, on le conçoit, un événement capital dont toute la noblesse s'entretenait.
Les uns accusaient Mathilde de présomption et son père de faiblesse pour avoir consenti à une chose qui n'était plus dans les usages; les autres, au contraire, trouvaient qu'il était louable d'en revenir aux nobles et aventureuses traditions de la vraie chevalerie.
Toujours est-il qu'au jour fixé, un grand nombre de jeunes chevaliers arrivèrent de toutes parts, suivis de pages et d'écuyers, armés de pied en cap, la lance haute, l'estoc à la ceinture et portant les couleurs de Mathilde alliées à leurs couleurs.
Parmi eux se trouvait celui qui, la veille, avait chevauché derrière Raoul. La visière de son casque était baissée et cachait entièrement ses traits; il ne portait sur son écu ni devise ni armoiries; le mystère dont cet inconnu s'entourait, et que les règles du tournoi autorisaient, ajoutait un vif intérêt à la fête.
Les champions se rendirent sur le terrain où les joutes allaient avoir lieu et où avait été établie une arène vaste, entourée de loges et de gradins destinés à recevoir les spectateurs, et que surmontaient des banderoles et des écussons.
Peu après, Mathilde arriva, étincelante de parure et de beauté, accompagnée d'une suite nombreuse de damoiselles.
Le sire de Renastienne marchait à côté d'elle, lui parlant bas et souriant. Lorsqu'elle fut au pied de l'estrade, préparée peur 1er dames et pour la famille d'Humbert, Raoul ôta son gantelet et l'aida à monter. Elle lui octroya, en récompense, la grâce Je prendre un baiser sur sa main blanche et couverte de pierreries fines; puis il alla se mêler aux combattants.
On remarqua que, pendant ce temps, une agitation extraordinaire se manifestait chez le chevalier au casque empanaché; sa cuirasse semblait trembler, sa main étreignait avec force la garde de son épée et il tourmentait de ses éperons les flancs de sa monture.
Enfin, un héraut d'armes s'avança et, suivant la coutume, déclara d'une voix vibrante le tournoi ouvert et invita tout preux chevalier, guidé par l'amour et la gloire, à prendre part à la lutte. Il annonça ensuite que noble et haute damoiselle Mathilde de Roanne et d'Amblève accorderait sa main au plus vaillant des jouteurs, à celui dont le bras et le cœur auraient triomphé de tous. Puis les fanfares résonnèrent et la barrière s'ouvrit.
Deux chevaliers entrèrent d'abord en lice, les sires de Renastienne et de Louveignez. Le premier portait son blason de gueules à l'aigle d'argent, le second portait le sien losange d'argent et d'azur. Une haine ardente les animait l'un contre l'autre : le sire de Louveignez aimait de longue date la jeune comtesse d'Amblève, et il considérait Raoul, dont la valeur s'était maintes fois signalée, comme le seul obstacle qui s'opposait à ce qu'elle lui appartint.
Aussi, dans les coups qu'ils se portèrent, s'éloignèrent-ils plus d'une fois de la courtoisie imposée dans les joutes de ce genre. Même adresse et même vigueur se développaient de chaque côté, et l'issue fut longtemps douteuse. Enfin, le sire de Louveignez sentit ses forces décliner et un vigoureux coup de lance que lui appliqua son adversaire le désarçonna tout à fait; la rage dans le cœur, il fut forcé de rendre les armes et de reconnaître sa défaite.
C'était l'antagoniste que Raoul redoutait le plus. Aussi, le sire de Renastienne eut-il ensuite facilement raison de ceux qui s'avisèrent de répondre à son défi. La joie la plus vive rayonna dans son regard. Tous ses adversaires étaient vaincus; ses armes s'étaient couvertes de gloire. Mathilde allait être à lui !
Raoul s'abandonnait aux illusions les plus riantes, lorsqu'il se trouva en face du chevalier qui avait trouvé bon de ne pas se faire connaître, comme du reste il en avait le droit d'après les règles établies. En effet, lui seul n'avait point pris part au tournoi et l'heureux jouteur pâlit sous son heaume. Le défi que ce chevalier lui avait porté au sein de la nuit, le mystère inexplicable dont il s'entourait remplirent son âme d'une terreur superstitieuse et un pressentiment funeste vint l'assaillir; il frémit en pensant que le bonheur qu'il avait rêvé, qu'il avait cru tenir, pouvait lui échapper...
Il se mit en défense et s'arma d'une main mal assurée. Son adversaire avait une façon toute particulière de combattre, mais ses coups tombaient juste et frappaient rudement... Déjà, depuis longtemps, ils étaient en lutte, un grand nombre de lances avaient été rompues, et Raoul, à plusieurs reprises, avait failli perdre les arçons.
La fureur, le désespoir s'emparèrent alors de lui et il ne mit plus de mesure, dans ses coups; il frappait, frappait comme s'il se fût agi de défendre sa vie. Déjà quelques chevaliers se proposaient de lui faire des remontrances, déjà les juges du tournoi voulaient s'interposer entre les deux champions, déjà les femmes se sentaient prises d'un intérêt pour l'inconnu qui paraissait si frêle sous son armure et qui pourtant luttait avec tant de vaillance, quoique épuisé et haletant, lorsque celui-ci poussa un faible cri et tomba sur le sol, en abattant toutefois le casque de son adversaire et en lui faisant au front une légère blessure.
Alors un hourra s'éleva, les fanfares résonnèrent de nouveau et les chevaliers s'empressèrent à l'envi de louanger Raoul, de le reconnaître pour le plus brave entre tous.
Pendant ce temps, le vaincu s'étant relevé, marcha droit à Mathilde.
— Damoiselle, lui dit-il à demi-voix et d'un accent qui trahissait une profonde émotion, soyez heureuse ! Je vous aimais d'amour vrai, je viens de vous en donner la preuve. Adieu, je ne dois donc vous revoir jamais... Et cependant, si vous aviez quelque pitié pour moi, si, d'un autre côté, vous étiez curieuse de connaître un secret d'où dépend votre bonheur en ce monde et peut-être votre salut dans l'autre, je serai entre onze heures et minuit dans l'allée des hêtres qui conduit à Martin-Rive.
Lorsqu'il eut prononcé ces mots, il s'éloigna avec rapidité par des chemins entourés de haies, s'enfonça dans les bois, et en un instant eut disparu aux regards stupéfaits des spectateurs, parmi lesquels cet incident avait jeté naturellement un grand trouble.
Cependant, Humbert conduisit le sire de Renastienne près de sa fille et dit à celle-ci :
— Mathilde, voilà votre époux, et il est digne de ce titre, car il a conquis glorieusement le droit de le porter.
Raoul offrit la main à sa fiancée et ils gagnèrent le château où un splendide banquet attendait les invités.
IV
On conçoit que, pendant le festin, il fut généralement question de l'étrange adversaire que le sire de Renastienne avait eu à combattre en dernier lieu.
D'où venait-il ? Qui était-il ? Pourquoi avait-il voulu rester inconnu? Que s'était-il passé entre lui et Mathilde dans le court entretien qu'ils avaient eu ensemble ? C'était là des questions que chacun se faisait et auxquelles répondaient une foule de conjectures différentes.
Tout à coup, le sire de Louveignez, qui était resté morne et sombre et jetait sur le vainqueur des regards annonçant qu'il était loin de s'être résigné à son sort, adressa à voix basse à un de ses voisins un mot qui aussitôt circula à la ronde, prononcé mystérieusement. Deux ou trois des chevaliers sourirent d'un air d'incrédulité, mais un tressaillement visible se manifesta chez tous les autres.
Le Burdinal ! Tel était le mot qu'avait prononcé le sire de Louveignez. Que signifiait donc ce mot qui avait produit un effet si magique ?
Depuis des siècles régnait, dans la Hesbaye, l'Ardenne et le Condroz, la tradition que voici : les anciens racontaient que jadis, quand presque chaque semaine était signalée par un tournoi, il arrivait souvent qu'un personnage à la sombre armure, portant quelque signe bizarre et tenant baissée la visière de son heaume, semblait sortir de terre au moment où le vainqueur allait recevoir le prix de sa valeur et engageait avec lui une lutte acharnée dont le mystérieux combattant ne sortait jamais sans avoir renversé et même blessé son adversaire. Il disparaissait ensuite comme il était venu, et plus tard, on acquérait toujours la preuve que son intervention avait eu pour but d'empêcher une injustice ou de punir une félonie; car on finissait par découvrir que celui qu'il était venu combattre avait violé quelque grande loi divine ou humaine, et était indigne des faveurs de la fortune. Aussi l'apparition du Burdinal, qui semblait personnifier le génie de la pure chevalerie, était-elle grandement redoutée et ceux qui se mêlaient aux joutes avaient-ils bien soin de n'y paraître qu'après un sérieux examen de conscience.
Or, les convives d'Humbert n'ignoraient pas que Raoul avait été admis au foyer de Hugues de Montfort, son voisin, père d'une jeune fille en âge d'être courtisée...
Le Burdinal n'avait-il pas voulu donner un avertissement au chevalier, peut-être infidèle à sa parole, et la marque que celui-ci avait reçue au front n'avait-elle pas sa signification ? Voilà ce qu'insinua adroitement le sire de Louveignez et cette opinion fut bientôt celle de presque tous les assistants.
Cependant, Mathilde paraissait rêveuse et laissait sans réponse et sans sourire les doux propos de Raoul. Ce jeune homme qui avait si vaillamment combattu pour l'amour d'elle, qui s'entourait de tant de mystère, qui lui avait parlé d'une révélation importante, occupait toutes ses pensées... Elle se demanda si elle devait se rendre au lieu qu'il lui avait indiqué. Elle hésita longtemps; mais cédant à une attraction puissante, qu'aucune considération ne put vaincre, elle se décida à hasarder une démarche qu'elle s'ingénia à trouver d'ailleurs innocente et nécessaire, et de plus conforme à ce qu'avaient fait, en pareil cas, beaucoup de damoiselles dont elle avait lu les aventures.
Dix heures sonnèrent et Mathilde annonça qu'elle allait se retirer; alors le sire d'Amblève se leva et, s'adressant à son chapelain, placé à côté de lui :
— Mon révérend père, dit-il d'une voix solennelle, demain vous unirez ma fille au sire Raoul de Renastienne, et vous terminerez la cérémonie nuptiale par une messe en l'honneur de Notre-Dame pour qu'elle répande ses bénédictions sur les jeunes époux.
Quelques instants après, Mathilde et les damoiselles quittaient la salle du banquet.
La fille d'Humbert se sépara de ses compagnes et entra dans sa chambre à coucher, où elle se mit à rêver en attendant le moment du rendez-vous.
— C'est donc demain, pensa-t-elle, qu'un lien éternel va m'attacher à Raoul. Plaise à Dieu que je ne doive jamais maudire l'instant où un bizarre caprice ne m'a plus laissée libre de choisir celui qui doit partager ma destinée !
En ce moment, la grosse cloche de la tour du moutier d'Aywaille bourdonna onze fois... Mathilde se leva avec précipitation et s'affubla d'une mante noire.
— Voilà l'heure! dit-elle. Je vais donc le voir. Oh! mon Dieu, quelle agitation j'éprouve!... Mais je le connaîtrai sans doute; je saurai quel est ce secret, d'où dépend mon avenir ici-bas et dans l'autre vie, m'a-t-il assuré.
Elle ouvrit une porte secrète, descendit de nombreuses marches et se trouva dans le jardin du château, disposé en terrasse. Elle s'avança vers la rivière et vit une ombre se mouvoir parmi les arbres de l'allée. Son cœur battait à lui rompre la poitrine, de son front coulait une sueur froide, et il lui paraissait que le sang manquait à ses artères. Elle allait rebrousser chemin lorsqu'à quelques pas d'elle, on s'écria sur le ton de la joie :
— Ah ! noble damoiselle, vous voilà donc !
La châtelaine d'Amblève se trouvait en présence du chevalier au panache couleur de feu, vêtu exactement comme il l'était le matin du même jour.
A ce moment un nuage passa sur la lune et en intercepta entièrement la lumière; l'obscurité devint complète et l'inconnu, qui ne devait plus craindre qu'on aperçut ses traits, leva la visière de son heaume pour pouvoir sans doute respirer et parler plus à l'aise. Il prit la main de Mathilde, de plus en plus émue, et lui dit d'une voix dont le timbre harmonieux avait quelque chose de strident :
— Oh ! je ne m'étais donc pas trompé en espérant dans la bonté de votre âme ! Soyez bénie, vous qui n'avez pas voulu laisser en proie au désespoir un homme qui ne respire qu'amour pour vous.
— Messire, interrompit Mathilde, vous m'avez conjurée de venir ici parce que vous aviez un secret important à me confier... C'est ce motif seul qui m'a déterminée à répondre à votre désir : parlez-moi donc, de grâce, de l'objet pour lequel, uniquement je me trouve en ce lieu.
— Cette première entrevue que j'ai avec vous, continua le chevalier, sera en même temps la dernière, car si demain vous appartenez corps et âme au sire de Renastienne, moi j'appartiendrai à la tombe... Oui, ajouta-t-il après une pause, cette nuit même je quitterai la terre car vous seule, Mathilde, m'attachiez à l'existence... Depuis longtemps je suis vos pas, sous toutes les formes; depuis longtemps vous êtes tout pour moi, le songe de mes nuits, la pensée qui m'attend au réveil, qui me poursuit pendant toute la durée du jour...
— Sire chevalier, dit Mathilde, entraînée comme malgré elle sur cette pente, pour que je croie aux sentiments que vous m'exprimez, dites-moi, de grâce, qui vous êtes et en quel lieu vous m'avez vue, car parmi les jeunes nobles du pays, je n'en sait aucun qui ait votre tournure. Il a été beaucoup parlé de vous aujourd'hui, et nul ne vous connaît.
— Eh ! que vous importe de savoir qui je suis, que vous importe de voir mon visage puisque nous ne devons plus nous rencontrer en ce monde ? Ah ! si l'autel ne voyait pas demain votre hyménée, je me montrerais à découvert, je prouverais à la face de tous que je n'avais d'autre désir que de vous consacrer ma vie. Et il sembla essuyer une larme. Mathilde, attendrie, garda un silence rêveur.
— La nuit s'avance, dit-elle enfin, je dois quitter ce lieu où peut-être je n'aurais jamais dû venir... Mais j'ai une prière à vous adresser, messire : éloignez les sinistres pensées qui vous assiègent; supportez la vie, oubliez-moi, continuez à déployer votre valeur dans les champs clos, et quelque jeune damoiselle, m'effaçant en beauté, en savoir et en noblesse, vous rendra le bonheur que ma vue vous a ravi, dites-vous.
— Du bonheur pour moi sur la terre! répliqua amèrement le mystérieux chevalier, quand je vous saurai la compagne de Raoul, d'un lâche et d'un félon qui vous trahira, qui vous délaissera tôt ou tard...
— Ne parlez pas ainsi de celui qui va devenir mon époux ! dit Mathilde en se redressant fièrement. Vous le calomniez, c'est un brave et loyal chevalier, qui m'aime et qui saura toujours respecter ses devoirs.
— Il t'aime! s'écria l'inconnu d'une voix frémissante, il t'aime!... Mais tu ne connais donc rien de son caractère, de sa vie passée?... Ecoute : il y avait une jeune fille, comme toi belle, tendre et de haut lignage; il lui avait aussi juré tendresse et fidélité pour la vie... Il n'y a pas un mois qu'il était encore près d'elle, presque chaque soir, devisant d'amour et faisant des projets d'avenir... Et pourtant il a recherché ta main et il va devenir ton époux.
— C'est là, sans doute, reprit Mathilde, le secret que vous aviez à me révéler ?... Mais quel est le nom de celle à qui Raoul aurait déjà engagé sa foi ?
— Blanche de Montfort !
— Oh ! dit la jeune fille rassurée et souriant d'un air incrédule, ce bruit était déjà venu jusqu'à moi, et aujourd'hui à table, j'en ai parlé à Raoul; il m'a dit que les visites qu'il faisait au vieux Hugues étaient simplement des visites de bon voisinage et que c'était calomnie de prétendre qu'elles visaient Blanche, qu'il a qualifiée de tête folle.
— L'infâme! murmura l'inconnu, les serments les plus solennels le lient à celle envers laquelle il joint la calomnie à la trahison.
— Et quelles preuves, continua Mathilde, avez-vous de la vérité de votre langage ?
— Des preuves ! Jure-moi par ta mère, dont les cendres reposent non loin d'ici, que si je t'en fournis d'évidentes, tu refuseras de donner ta main au sire de Renastienne.
Mathilde réfléchit un instant et prononça résolument ces paroles : — Non, rien au monde ne me fera manquer à la promesse solennelle que j'ai faite de donner ma main, pour prix d'un tournoi auquel sont venus, pleins de confiance, tant de nobles et vaillants chevaliers. Le cœur humain est d'ailleurs un profond abîme... Blanche est plus belle, plus riche que moi : pourquoi donc Raoul l'aurait-il abandonnée s'il ne m'eût aimée d'amour vrai?
A ces derniers mots, l'étrange personnage qui se trouvait devant elle fut pris d'un accès de rage effrayant, qui se traduisit par une exclamation farouche. En ce moment, une éclaircie se fit entre deux nuages, et laissa voir à Mathilde terrifiée, sous la visière levée de son interlocuteur, un visage pâle comme celui d'un fantôme et deux yeux qui semblaient jeter des étincelles.
La damoiselle, au comble de l'épouvante, poussa un cri et recula en se voilant la face, sous la puissance de ce regard qui la fascinait. Quand ses esprits lui revinrent, elle se trouvait seule.
V
Le lendemain matin, Raoul et Mathilde étaient agenouillés, pour recevoir la bénédiction nuptiale, devant l'autel de la chapelle du château d'Amblève, où se pressait une foule brillante et nombreuse. La fiancée était pâle, agitée et distraite; et quant au sire de Renastienne, il semblait être mal à l'aise. Au point du jour, alors qu'il était encore au lit, plongé dans cet état qui n'est ni la veille ni le sommeil, il avait cru voir la figure de Blanche de Montfort penchée vers lui, et cette rapide vision avait éveillé dans son âme des remords et de sinistres appréhensions.
Ce fut d'une voix mal assurée qu'il répondit aux questions du chapelain et, au moment où il prononçait le serment qui le liait pour toujours à Mathilde, la pierre sépulcrale sur laquelle ils étaient agenouillés parut trembler, et toute la chapelle retentit d'un bruit sourd. Raoul regarda avec anxiété sa femme, qui tomba à demi-évanouie dans ses bras, en même temps que lui-même avait peine à se soutenir.
L'apparition du matin, jointe à ce bruit lugubre, sorti d'une tombe, lui semblait un double avertissement du Ciel. Mais quelle fut sa stupeur lorsqu'il entendit ceux qui l'entouraient prononcer le nom de Burdinal qui dans la disposition d'esprit où il se trouvait, fut pour lui une terrible révélation et acheva de troubler sa raison chancelante.
Toutefois, l'effet que cet événement inexplicable avait produit sur les invités se dissipa peu à peu, au milieu des réjouissances de tous genres qui signalèrent la journée.
Les nouveaux époux seuls continuaient à paraître profondément abattus.
Pourtant, vers le soir, les nuages qui couvraient le front de Raoul semblèrent s'évanouir sous l'influence des nombreuses libations auxquelles il s'était livré, pour s'étourdir sans doute. Pendant le souper, il parla avec amour à Mathilde, toujours distraite, et les varlets avaient peine à remplir sa coupe à mesure qu'il la vidait.
Les vapeurs du vin agissant de plus en plus sur lui, il fit peu attention à la disparition de Mathilde, qui se rendit sur une terrasse pour rafraîchir, à l'air du soir, son front qui brûlait.
Elle y était à peine qu'elle vit passer devant elle, comme une ombre rapide, le chevalier au panache rouge. Il lui avait fait un geste qui pouvait se traduire à la fois par une pensée de désespoir ou par une énergique menace.
La jeune femme, au comble de l'émotion, se hâta de rentrer dans la salle où son état n'échappa pas à l'œil de son père. Le vieillard l'interrogea, mais pour toute réponse elle prétendit éprouver un grand accablement et annonça qu'elle allait prendre du repos.
Elle s'opposa à ce qu'on arrachât Raoul à ses compagnons et elle gagna la couche nuptiale, accompagnée de-deux de ses suivantes qui se retirèrent dès qu'elle fut couchée.
A peine Mathilde était-elle au lit que la porte de ea chambre s'ouvrit brusquement...
A la vue de l'apparition inattendue qui s'offrit à ses regards, elle se leva sur son séant et s'écria, pâle d'effroi:
— Lui, toujours lui !
Et, impassible comme le destin, il leva sa visière et montra une figure qui ne pouvait appartenir à un homme; puis son casque se détacha et une longue chevelure noire roula à flots sur ses épaules puis, comme par enchantement, le reste de son armure tomba et laissa voir un riche costume de femme.
Une belle jeune fille apparut aux yeux de Mathilde qui, en présence de cette transformation, croyait être sous l'influence d'un cauchemar.
— Tu t'étonnes, Mathilde, et tu crois rêver, n'est-ce pas? dit-elle enfin avec un ricanement et l'œil en feu. Tu ne peux croire que le chevalier qui a si bien combattu au tournoi pour te disputer à Raoul, qui, sous les hêtres de Martin-Rive, t'a si bien parlé de son amoureux désespoir pour te faire renoncer à ton mariage, tu ne peux croire que ce chevalier soit une femme, soit Blanche de Montfort... Pourtant, tu as dû lire, dans les histoires que tu aimes comme moi, dit-on, beaucoup d'aventures pareilles, et tu sais comment elles se sont terminées.
Et ce disant, elle lira de son sein un poignard.
— Oh! mon Dieu, dit Mathilde à demi-morte et en joignant les mains. Grâce, grâce au nom de votre vieux père !
— Mon père, dis-tu! Mon père qui ne m'a pas trouvée hier à son réveil, qui me cherche, qui me pleure... Ah! tu me fais rougir aux angoisses qu'il éprouve à cause de toi.
Et Blanche, folle, rugissante, se rua sur sa rivale et la frappa au cœur en disant :
— C'est ici que j'ai voulu t'avoir pour mourir, toi qui m'as ravi mon amour, afin que ton lit d'hymen devint ta couche funèbre... Et à lui, maintenant...
A cet instant, Raoul entra, le front radieux, le sourire du bonheur sur les lèvres.
Il s'approcha du lit, se pencha vers sa jeune femme et lui adressa de tendres paroles. Mais comme elle lui semblait pâle et immobile, il regarda avec plus d'attention et, à la faible lueur de la lampe qui éclairait la pièce, il la vit nageant dans une mare de sang.
En proie à un sentiment d'horreur, il se précipita vers la porte et poussa un cri qui retentit lugubrement dans les profondeurs de l'escalier.
Mais au même moment, il se sentit frappé par derrière et tomba sur le sol. De son regard mourant, il put voir Blanche, la figure affreusement crispée, l'éclair de la rage dans les yeux, penchée sur lui et tenant encore à la main son arme ensanglantée.
Cependant, l'appel de Raoul avait été entendu. La chambre fut aussitôt envahie par une foule de personnes : elles virent une forme humaine s'élancer par une fenêtre ouverte, rouler le long du rocher à pic et tomber dans l'Amblève, dont les eaux bouillonnèrent longtemps... Puis leurs pieds heurtèrent des pièces d'armure éparses sur le plancher.
— Le chevalier au panache rouge ! s'écria-t-on de toutes parts.
Depuis lors, on raconta que le château d'Amblève était souvent parcouru, la nuit, par une femme aux vêtements ensanglantés, au regard farouche, tenant à la main un poignard et traînant derrière elle deux cadavres attachés aux pans de sa robe. Et aujourd'hui encore, dans la croyance populaire, la même apparition a lieu. L'avant-veille de la Toussaint, les taillis qui recouvrent les ruines s'agitent et se courbent bruyamment devant la marche désordonnée du fantôme de Blanche de Montfort qui, après s'être promenée avec l'horrible fardeau qu'elle est condamnée à traîner une fois par an en expiation de ses crimes, s'élance du haut du rocher dans l'Amblève, au moment où s'annoncent à l'horizon les premières lueurs du matin.
Roman de la Rose.
Marco Spínola Barreto
Roman de la Rose (Romanzo della Rosa)
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Roman de la Rose (Romanzo della Rosa)
[Ms.Harley 4425 - © The British Library - Bruges, 1490 ca.]
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Prince Vailant, chevalier de la table ronde.
Photo Antonio De Pleguezuelos.
Prince Vaillant n'est pas un personnage des légendes médievales puisque c'est le héros d'une bande dessinée du canadien Harold Foster parue à partir de 1937 aux Etats Unis. Cette série, malgré son académisme et son classicisme, devient l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de l'histoire de la bande dessinée.
Prince Vailant (Valliant ou Vaillant dans certaines traductions) est le fils du roi exilé de Thulé. Il reçoit l'enseignement de sire Gawain ce qui lui permet de devenir un des chevaliers de la table ronde.
La série conte tous les exploits de ce courageux chevalier. Contrairement à beaucoup d'autres séries, le temps a une prise sur le héros. Il est très jeune au début. il prend de l'âge au fil des épisodes. Il se marie. Il a des enfants qui l'accompagnent dans ses exploits.
Comme le signale Pierre Couperie dans la présentation du premier tome de la réédition aux éditions Serg, l'auteur, Harold Foster, a imaginé de nombreuses années de la série bien avant de la réaliser. Par exemple, en 1937, la sorcière Horrit prédit des événements qui se réaliseront en 1942. Toute la série est construite avec une logique très rigoureuse.
Dans les premiers mois, la série a été publiée sous forme de strips hebdomadaires. Elle est devenue une (grande) planche hebdomadaire qu'ensuite. D'avril 44 à Novembre 45, une bande complémentaire : "The mediaval Castle" accompagnait prince Valiant.
Le créateur de la série est Harold Foster qui l'a dessinée jusqu'en 1970. John Cullen Murphy puis son fils Cullen Murphy lui ont succédé. La série est dessinée maintenant par Gary Gianni.
Prince Valiant ?... c'est une magnifique fresque chevaleresque située vers le milieu du 5ème siècle. Ce qui deviendra une véritable saga met en scène le jeune Valiant, fils du roi exilé de Thulé. Bien qu'à peine sorti de la (grande) adolescence, son intelligence et son esprit d'initiative, d'analyse, font que c'est lui qui sera principalement choisi par le roi pour accomplir des missions delicates -et souvent dangereuses- qui l'emmèneront parcourir le monde qui était alors connu par les chevaliers de l'europe occidentale. Ce jouvenceau a pour mentor et éducateur sire Gauvain et deviendra un des plus grands chevaliers de la Table Ronde. Au fil de sa geste, Valiant fera la rencontre d'Aleta -princesse des Iles Brumeuses- qui deviendra sa compagne et la mère de ses enfants. Son premier fils, Arn, l'accompagnera même dans la suite de ses aventures. Et c'est qu'il va en vivre, des histoires : combattre les Saxons, découvrir le Nouveau Monde, partir à la quête du Graal...
Dans un style très académique -représentatif du dessin des années 30- Foster va s'efforcer de recréer, de faire sentir, restituer toute la réalité et la crédibilité de cette époque. Il privilégie le texte dans l'image (pas de phylactères) -tout comme Sirius, entre autres, le fera pour ses premiers "L'épervier Bleu"-. Ses planches offrent de magnifiques panoramiques et plans d'ensembles.
Foster ?... un bourreau du travail, oeuvrant plus de cinquante heures pas semaine sur chacune de ses planches ! Son trait est réaliste, très fouillé, souvent délicat même. Il influencera d'autres "grosses pointures" tels Alex Raymond, Clarence Gray, etc...
Un véritable novateur dans le sens de la narration et dans le dynamisme de ses planches. Un tout "grand", quoi...
Sources Mythologica.fr
Le champ des Makralles.
LE CHAMP DES MAKRALLES
"Les légendes du Val d'Amblève"
Par Marcellin La Garde
(1818 - 1889)
I
Sur un plateau revêtu d'un tapis uniforme de sombres bruyères, - non loin de Remouchamps, à droite de la route qui mène à Louvegnez, - se trouve, abrité par plusieurs mamelons, un espace circulaire d'aspect fort nu et fort triste, et digne, en tout point, du choix que, dit-on, en a fait Belzébuth pour y tenir sa cour; - car c'est le Bloksberg de la contrée, le rendez-vous des makrais et des makralles (macrês et macralles).
L'Ardenne, et particulièrement la vallée de l'Amblève, a toujours été une terre privilégiée pour la sorcellerie. A quoi faut-il l'attribuer ? La nature du pays, semé de montagnes aux nombreuses excavations, entrecoupé de profondes vallées, couvert de mystérieuses forêts, y est certes pour beaucoup; mais on doit chercher l'origine de cet état de choses dans des croyances antérieures même à l'ère chrétienne, et d'autant plus difficiles à déraciner que les objets naturels qui les symbolisaient restaient debout, sans cesse présents à tous les yeux.
Le polythéisme romain qui, en Gaule, chercha à se substituer au druidisme, n'y parvint complétement que dans les grands centres de population. Il est surabondamment prouvé, que dans les Ardennes, les divinités gauloises (mais tout autant les divinités germano-nordiques – Note de Charles Saint-André) restèrent en honneur jusqu'au moment où les apôtres chrétiens les renversèrent, ce qui n'eut guère lieu que dans les VIIème et VIIIème siècles, et ce furent contre les derniers druides qu'eurent à lutter saint Remacle, saint Agilulphe, etc. Les superstitions du sol, le culte des arbres, des pierres et des sources, le druidisme matérialisé tint bon pendant plusieurs siècles, et même le clergé fut obligé de faire des concessions aux habitudes nationales et de purifier ce qu'il eût tenté vainement de détruire. Le grand chêne qui avait prêté son ombre aux cérémonies païennes ne fut pas abattu, mais son tronc reçut la douce image de la Vierge; la roche devant laquelle avaient eu lieu les sacrifices fut transformée en un calvaire; les feux de Bélénus, allumés encore aujourd'hui au mois de juin, devinrent les feux de la St-Jean; les courses aux flambeaux du solstice d'hiver furent oubliées pour les solennités de la Noël. Presque partout, les populations furent attachées à l'autel par les chaînes de fer de la tradition; elles abandonnèrent le fond pour conserver une réminiscence de la forme. Ceci posé, deux simples faits nous expliqueront comment ont pris naissance la sorcellerie et le sabbat, objet de tant de controverses.
On sait que les druides, comme les prêtres de l'Inde, s'adonnaient à des pratiques à l'aide desquelles ils prétendaient changer les lois de la nature, soumettre à leur empire des êtres invisibles et lire dans les ténèbres de l'avenir. D'un autre côté, on sait aussi que les peuples d'origine celtique, qui attribuaient à la lune une grande influence sur toutes les parties de la terre, quittaient la nuit leurs demeures, lors de la pleine lune, afin d'honorer l'astre favorable par des danses et par des chants, et qu'ils se réunissaient dans les lieux les plus déserts, au sommet des montagnes ou au fond des bois.
Ces assemblées nocturnes continuèrent à subsister malgré les canons de l'Église et les capitulaires des rois, de Charlemagne, entre autres. L'exemple des aïeux, les traditions locales résistèrent aux pénalités les plus sévères et aux prédications les plus éloquentes ; mais ceux qui y assistaient devinrent, pour la masse, un objet de réprobation, et les bruits les plus étranges coururent touchant les cérémonies qui s'y pratiquaient. Les adorateurs de la nature reçurent le nom de suppôts de Satan, sous la présidence duquel avaient lieu leurs réunions, leur sabbat; et bientôt aux chants et aux danses se joignirent les prodiges fantastiques des sciences occultes, les onctions magiques, les breuvages enivrants, qui déréglaient tout à fait des imaginations déjà faibles et superstitieuses, et donnaient naissance à une foule de pratiques insensées.
De là ces récits concernant les impiétés et les débauches dont se rendaient coupables les sorciers au sabbat.
Personne n'ignore que Belzébuth convoquait ses affidés au moyen d'un signe qui apparaissait dans les airs et était visible pour eux seuls; qu'ils se rendaient à leurs assemblées sur un manche à balai ou sur un bouc, en répétant souvent, tantôt les mots de émen, étan, tantôt ceux de houp, maka, riki, rikette; qu'après avoir rendu hommage à leur seigneur et maître, reçu de lui des poudres et des onguents magiques, écouté ses exhortations, ils se livraient à des danses impudiques, à des parodies du culte chrétien, puis faisaient un repas dont les mets se composaient de crapauds et de couleuvres, de balayures d'autels, de sang de pendu, ou de petits enfants morts sans avoir été baptisés, etc.
Voilà comment ont pris naissance la sorcellerie et le sabbat, qui s'expliquent ainsi fort naturellement : c'est un reste du druidisme, rien autre chose. Et quant aux aveux inouïs que nous trouvons consignés dans une foule de procès du XVIème siècle et des époques antérieures, la science moderne a trouvé leur explication dans l'hallucination et l'extase, auxquelles il faut joindre la puissance du préjugé et l'aveuglement de l'ignorance.
Le Champ des Makralles, on le voit, est donc un lieu historique, un lieu réellement consacré par de curieux souvenirs : c'est là que devaient se réunir les anciens Ségniens pour fêter la lune, du temps où ils adoraient Ardoina; c'est là que, plusieurs siècles après, durent se rassembler encore ceux qui, tout en ayant accepté le christianisme, tenaient cependant aux antiques usages de leurs pères. Enfin c'est là que peut-être les fourbes, qui avaient intérêt à se rendre redoutables, et les malheureux dont ils avaient fait leurs victimes, tenaient leurs conciliabules secrets; ou tout au moins c'est là que les hallucinés, dupes de leurs rêves, se transportaient en imagination.
Aussi, combien d'histoires ai-je entendues jadis à ce sujet ! Que de sombres visions ce nom de Champ des Makralles a éveillées en moi, alors que je croyais naïvement à l'existence de ces hideuses filles de la nuit! Que de fois j'ai été tenté d'aller, en plein soleil, — bien entendu , — jeter un coup d'œil furtif sur cet endroit maudit, sans avoir jamais osé en approcher !
Quand donc je dus abandonner la vie si douce du berceau natal pour aller courir les hasards de la vie du monde, je n'avais jamais visité le Champ des Makralles. Mais en 1839, — j'avais alors l'âge où, suivant une expression vulgaire, on jette ses gourmes, — étant revenu passer quelques jours sur l'Amblève, je trouvai bon d'entreprendre mes braves pays au sujet de leurs superstitions, et je me mis à vouloir les convertir à l'aide des procédés usités en pareil cas, c'est-à-dire en employant tour à tour l'arme du raisonnement et celle de l'ironie. Je ne comprenais pas encore que certaines superstitions sont, après tout, la poésie des campagnes et qu'elles donnent aux mœurs de la couleur et du caractère; que, d'un autre côté, il est triste pour l'homme de ne plus avoir cette naïve ignorance qui le retient dans le bien, et de ne pas avoir encore la science qui l'y ramène.
Un jour que j'avais joué fort longuement mon rôle d'apôtre des lumières, un de mes auditeurs me dit sardoniquement :
— Tout cela est bel et bien, mais c'est après-demain vendredi : iriez-vous au Champ des Makralles, entre minuit et une heure?
Deux ou trois applaudirent, mais tous les autres donnèrent des marques énergiques de désapprobation.
— Tu as tort, Louis, dirent plusieurs d'entre eux, car il est capable d'y aller, et vois un peu...
Ce défi produisit sur moi l'effet ordinaire : il mettait mon amour-propre en jeu. Mais, outre cela, il me rappelait toutes les folles terreurs, toutes les curiosités non satisfaites de mon enfance; et je fus réellement charmé de l'occasion qui m'était offerte de montrer mon audace juvénile et de visiter le Champ des Makralles par une belle nuit d'été.
L'aventure était, en effet, séduisante pour un jeune homme sur l'esprit duquel avait puissamment agi la littérature romantique. Je déclarai donc sans hésiter que le théâtre du sabbat recevrait ma visite au beau milieu de la pièce.
Quelques-uns goguenardèrent ou insinuèrent que je voulais rire; mais voyant que ma résolution était très-sérieuse, ils se joignirent a ceux qu'elle avait effrayés pour essayer de m'en détourner.
Tous étaient d'accord pour assurer que, si je ne me rétractais a l'instant, malheur m'arriverait même avant l'exécution de mon projet, et que si, par hasard, j'échappais a ce premier danger, il en était d'autres plus terribles auxquels je succomberais inévitablement. Et l'on me cita comme exemples les noms de plusieurs héros d'aventures que je ne pouvais me résigner à entendre pour deux raisons : d'abord leur absurdité m'aurait échauffé la bile, puis il se faisait tard, et j'avais envie de dormir.
Dire de combien d'instances je fus l'objet le lendemain, jeudi, me serait impossible; j'aurais dû en être touché, car elles témoignaient du vif intérêt que me portaient ces braves gens qui m'avaient vu naître. L'avouerai-je ? Jje ne fis pourtant qu'en rire; et ce qui me parut surtout original, c'est qu'ayant rencontré une pauvre vieille qui passait pour sorcière, et à laquelle j'avais jadis fait souvent l'aumône à notre porte, elle me conjura, elle aussi, et les larmes aux yeux de ne pas tenter « le Malin; » car elle avait eu connaissance de mon dessein, dont parlait tout le village.
C'était dans la saison des fraises, et l'après-dînée, en flânant dans les prairies, je me souvins d'un endroit de la heid des Gattes (Montagne des Chèvres), où je savais qu'il s'en trouvait en abondance. Je résolus d'en aller cueillir.
Me voilà donc gravissant la montagne par les mêmes sentiers que je suivais bien des années auparavant. Je retrouvai la place, rien n'y était changé. Ce fut pour moi un moment de véritable bonheur. Je redevenais enfant. —Peut-être, me disais-je, ma main, il y a dix ans, a-t-elle effleuré ce même fraisier dont je cueille aujourd'hui le fruit vermeil et parfumé.
Je restai là longtemps. Le soleil commençait à baisser à l'horizon, je me mis à redescendre cette alizé presqu'à pic, qui, au milieu des rochers, des buissons de ronces et des amas de pierres écroulées, offre le curieux coup d'œil d'espaces cultivés sur lesquels l'engrais se porte à dos d'hommes, dans des hottes, car aucun animal, excepté la chèvre, ne pourrait y arriver.
Le chemin que j'avais pris était d'une rapidité extrême : je m'y laissais glisser plutôt que je ne marchais, en me tenant à des arbustes ou à des touffes d'herbages. Tout à coup, une grosse pierre, que ma main détacha imprudemment, roula à mes côtés et m'atteignit à la jambe, où elle me fit une blessure qui me causa une vive douleur. Lorsque je fus en bas, je me vis dans l'impossibilité de marcher. Heureusement qu'un brave homme travaillait non loin de là ; je l'appelai , je lui racontai ma mésaventure; et ce fut appuyé sur son bras, marchant clopin-clopant et un mouchoir lié autour du genou, que je regagnai mon logis.
Je compris immédiatement quelles conséquences allaient être tirées de cet accident si naturel. Il allait confirmer à tous les yeux la prédiction qui m'avait été faite.
En effet, on cria, tout d'une voix, qu'un sort m'avait été jeté par quelque makralle. Je pensai involontairement à la vieille femme que j'avais rencontrée peu d'heures auparavant, et malgré ma douleur, je souris de cette singulière idée qui m'était venue malgré moi, et avait traversé mon esprit, rapide comme l'éclair.
Une des premières visites que je reçus naturellement fut celle de mon vieil ami le chirurgien Urbain Germain. Puisque je viens d'écrire ton nom, ô digne vieillard, je veux payer ici un tribut à ta mémoire. Ta vie fut humble pendant les nonante-huit ans qu'elle dura, mais tu la passas en faisant le bien, et on peut dire de ta fin qu'elle fut le soir d'un beau jour. Tu as eu une grande action sur ma destinée : les naïves légendes que tu te plaisais à me raconter ont développé mon imagination rêveuse, et mes courses avec toi dans les montagnes où tu allais cueillir les simples avec lesquels tu traitais d'ordinaire tes malades, m'ont inspiré l'amour de la nature. Ce sont des dons précieux pour échapper parfois aux tristes réalités de la vie !
Urbain Germain me pansa, et la nuit étant venue, je restai seul avec lui.
— Eh bien ! dis-je, voilà un pur hasard qui va donner à jaser aux commères... Je joue de malheur : en voulant déraciner une croyance stupide, il se trouve que j'aide à la confirmer.
Le vieux chirurgien hocha la tête et aspira une prise de tabac.
Il se fit un silence que je me gardai bien de rompre. Je savais d'avance où mon interlocuteur allait en venir.
— Tenez, mon cher François, dit-il enfin, (il m'appelait ainsi à cause de mon père et de mon parrain, et parce que mon prénom vient d'un saint qu'il ne connaissait pas), vous n'êtes pas encore en ceci raisonnable, permettez-moi de vous le déclarer : il ne faut pas tout croire, mais il ne faut pas non plus tout nier. Le mot hasard est commode, mais il prouve justement l'insuffisance de notre raison. Vous savez que je ne suis pas superstitieux, hein?...
C'était une précaution oratoire à laquelle il recourait toujours; mais il avait, au fond, une foi entière dans tout ce qu'il racontait de surnaturel, et on s'en apercevait bien vite.
— Non, continua-t-il, je ne suis pas superstitieux, grâce à Dieu ! mais enfin..., il y a des choses... qu'on ne peut s'expliquer... Et quand les preuves sont visibles, palpables, il faut bien cependant ajouter foi à leur existence. Ainsi, par exemple, il y en a eu d'autres que vous qui ont projeté de surprendre les makralles, et justement il leur est toujours survenu quelque empêchement plus ou moins désagréable. C'est singulier, mais c'est réel, et je vous parle en parfaite connaissance de cause, comme un homme qui a vu et approfondi divers cas de ce genre. Il n'y a guère que Jean-Mathieu Herzet et Georges Spineux... Mais ceux-là avaient poussé la bravade trop loin, et ce n'est pas un simple avertissement qu'ils devaient recevoir : le démon leur réservait autre chose.
— Quoi donc?
— Vous savez bien la croix qui se trouve au bout des prairies, à droite du chemin de halage qui conduit à Aywaille, le long de la heid des Gattes?
— Oui, il s'agit d'un homme précipité du haut de la montagne et arrivé là horriblement mutilé... Je n'ai jamais bien su...
— Ah ! c'est une longue, mais bien curieuse histoire, et je vous la raconterai une autre fois.
— Dites-la-moi maintenant, je vous prie.
— Non, elle est trop noire; puis cela ferait travailler votre tête, et vous avez grand besoin de repos.
Le vieillard se montra dans son refus d'une ténacité qui me surprit, car c'était bien la première fois que cela lui arrivait, quand il s'agissait de conter. Tout à coup je me souvins que, dans la nuit du vendredi, il est de croyance générale qu'il y a danger de « faire chanter les oreilles » des sorciers et des sorcières.
Je n'insistai plus; je savais que c'eût été inutile.
Le lendemain, dans la matinée, à l'ombre d'une verte tonnelle où je m'étais traîné, et en face d'un splendide soleil de juin, Urbain Germain me fit le récit suivant, auquel je regrettai que les lueurs trompeuses de la nuit ne vinssent pas prêter leur mystérieux prestige.
II
« Le père de Jean-Mathieu était un brave homme qui ne s'occupait d'autre chose que de ses champs, de sa famille et du salut de son âme; c'est-à-dire qu'il était cultivateur laborieux, père et époux modèle, chrétien charitable et pieux. Son fils, sans qu'on pût rien articuler de grave contre lui, ne marchait cependant pas tout à fait sur ses traces; il était facile de voir que, dès qu'il deviendrait son maître, s'il ne faisait pas de sottises, au moins il renoncerait à l'agriculture, qui lui semblait un état trop commun pour lui.
En effet, il abandonna la charrue et se fit blatier sur Verviers et sur Spa, où il se rendait chaque semaine avec ses deux chevaux chargés de sacs d'avoine ou de blé. Passant ainsi une partie de sa vie dans les villes, il devint faraud et grand parleur, et bientôt il voulut en remontrer à tout le village et aux villages voisins. Il allait jusqu'à critiquer les sermons du curé, et quant aux revenants et aux makralles, il ne cessait d'en rire et de rire de ceux qui y croyaient de bonne foi. Son cousin Georges, qui l'accompagnait souvent à la ville, tenait son parti et voulait aussi faire l'entendu et le moqueur; mais au fond, c'était pure imitation de sa part, car lorsqu'il était seul avec vous et que vous l'aviez arraisonné, on voyait bien que, sans l'influence de Jean-Mathieu, il eût été tout comme les autres.
Dans ce temps-là, car remarquez bien que ceci remonte à quarante ans au moins, il y avait à Sougnez deux vieilles femmes qui étaient bien les plus laides créatures qui se pussent voir. L'une s'appelait Jolivette et n'avait qu'un œil; l'autre, la Françoise, était grêlée et boitait : elles avaient à elles deux plus d'un siècle et demi. On les disait makralles, et l'on racontait à leur sujet des choses... vous verrez plus tard. Cependant, je dois reconnaître, que quoiqu'elles fussent voisines elles vivaient comme chien et chat (c'est le cas de le dire car il paraît qu'elles prenaient souvent la forme de ces animaux.) Elles étaient donc toujours en querelle, et alors c'étaient des injures à n'en pas finir. On les entendait se qualifier mutuellement de tous les noms possibles, mais jamais pourtant, et notez cela, du nom de makralle.
Or, c'est à ces deux vieilles que Jean-Mathieu et Georges en voulaient surtout, et il n'était pas de mauvais tours qu'ils ne leur jouassent. Quand ils les rencontraient le dimanche dans la rue, ils leur offraient de les épouser; ils avaient l'air de vouloir les embrasser; ils leur adressaient toutes sortes de propositions déshonnêtes, et finissaient par les prendre à bras le corps pour les faire valser. Elles devenaient furieuses, comme de juste; alors on s'attroupait, on riait : c'était une vraie comédie.
Moi qui vous parle, j'ai assisté cent fois à ces scènes que, vu ma qualité, j'essayais toujours d'empêcher, mais sans y parvenir, car l'intervention du curé lui-même était restée inefficace, et Jean-Mathieu lui avait répondu d'un air railleur:
— Comment, M. le curé, vous prenez parti pour des sorcières : si le pape de Rome le savait!
Dans l'après-dînée de je ne sais plus quel jour de fête, Jolivette et la Françoise, se suivant à peu de distance, passèrent par hasard devant le jeu de quilles, où beaucoup de monde se trouvait rassemblé, et où, comme toujours, Jean-Mathieu se faisait remarquer par sa mise recherchée et son ton prétentieux. Il avait gagné plusieurs manches et était en plus belle humeur que jamais. Vous concevez ce qui eut lieu. Mais pendant que les vieilles se démenaient et vomissaient force malédictions contre leur persécuteur, un marchand colporteur, étant entré dans le cabaret pour se rafraîchir, demanda l'explication du tapage qu'il entendait. On la lui donna.
- Eh bien ! dit-il aux personnes présentes, la conduite que tient votre Jean-Mathieu est lâche et inhumaine. Puisqu'on prétend que ces femmes sont makralles, qu'il ose donc aller les braver sur leur terrain, qu'il ose se rendre au sabbat!
Là-dessus, l'inconnu, qui paraissait grandement indigné, paya sa consommation et continua son chemin. On ne l'avait jamais vu; on ne le revit plus jamais.
Ici le père Germain s'arrêta et me regarda comme pour m'interroger. J'avais compris sa pensée, et je gardai le silence à dessein, pour l'obliger à faire lui-même la réflexion que la circonstance amenait naturellement. Aussi reprit-il : « C'est singulier, n'est-ce pas ? ce prétendu colporteur qui arrive là comme tombant des nues, qui débite des choses semblant tout à fait préméditées, et qui disparaît aussi mystérieusement qu'il est venu. »
Je fis un signe d'assentiment, et je remarquai qu'une vive satisfaction se manifesta chez le brave homme; il continua son récit en ces termes:
« Jean - Mathieu Herzet n'était pas aimé, principalement des jeunes gens du village : aussi quand il rentra dans le cabaret, plusieurs s'empressèrent-ils de lui répéter les paroles du colporteur, en les exagérant même un peu.
Le blatier devint rouge de colère, et frappant violemment sur la table, il s'écria en proférant un juron:
— Encore bien que ce vilain porteballe a pris soin de filer vite, car je l'aurais conduit par les oreilles au Champ des Makralles, cette nuit même, puisque c'est demain vendredi, et là je lui aurais proposé de prendre la Françoise et d'être notre vis-a-vis, à moi et à Jolivette : on eut vu la mine que nous aurions faite tous les deux...
Ce langage excita des bravos chez les uns, des murmures et des ricanements chez les autres, suivant l'impression du moment et les sentiments bienveillants ou hostiles des auditeurs.
- A la bonne heure, Jean-Mathieu ! c'est bien parler, ça !
- On ne doit pas montrer trop de témérité dans les choses qu'on ne peut concevoir.
-Dire et faire sont deux : c'est à l'oeuvre qu'on connaît l'ouvrier.
Telles furent les paroles qui s'entrecroisèrent de toutes parts.
Jean-Mathieu, ainsi excité de diverses façons, jura solennellement qu'il irait au Champ des Makralles entre minuit et une heure, et qu'au beau milieu de l'enceinte maudite, comme preuve de sa présence, il planterait sa canne de jonc qu'il irait reprendre, avec des témoins, au point du jour.
Et il fut question d'un dédit consistant en nombreuses chopines de bière.
Sur l'entrefaite, Georges Spineux entra; son cousin alla au-devant de lui, en s'écriant :
- Tu arrives à point, mon cher Georges; tu m'accompagneras, et tu prouveras, comme moi, que bon sang ne peut mentir, et que nous sommes bien de la même famille.
Il lui conta brièvement ce qui‘ s'était passé.
Le cousin fit une grimace qui démontrait assez combien l'expédition était peu de son goût.
- Comment ! tu refuserais ? moi qui croyais t'avoir réformé, t'avoir rendu véritablement homme, philosophe, d'après le mot que j'entends souvent prononcer à Verviers par les gros fabricants avec lesquels je fais des affaires : tu ne jouais donc pas franc jeu, quand tu te gaussais des revenants et des sorciers ? Tu y crois, oui, tu y crois.
— Ah ! pour ça, non... moi, croire a de pareilles balivernes, tu m'offenses, cousin.
— Pourquoi donc ne veux-tu pas venir avec moi, alors?
— La raison en est fort simple : c'est que j'ai envie de dormir la nuit, au lieu de courir les campagnes pour rien du tout.
— La belle excuse... Et tu m'as proposé, le matin, de pêcher cette nuit même aux flambeaux.
Georges se gratta le front, sur lequel brillaient de grosses gouttes de sueur.
— C'est que, dit-il enfin, pêcher, ça offre quelque avantage, tandis que je n'en vois aucun à ce que tu me proposes.
— Allons, allons, tu as peur, c'est clair.
— Oui, il a peur! s'écrièrent plusieurs voix.
Jean-Mathieu regarda son cousin d'un air de mépris et s'apprêta à sortir. Il savait qu'il frappait là un coup décisif. Le pauvre Georges ne put résister à cette manœuvre; il dit d'un ton qu'il voulait rendre assuré, mais qui trahissait le combat intérieur qui se livrait en lui:
— A mes yeux, c'est une véritable sottise que de se déranger toute une nuit pour si peu, quand on a de la besogne le lendemain, et qu'on aurait besoin de se reposer. Voilà simplement pourquoi j'ai hésité. Mais puisque je vois que tu tiens à m'avoir avec toi, je veux bien me prêter à ta ridicule idée, par amitié d'abord, puis pour pouvoir rire à mon tour de tous ceux qui disaient tantôt que j'avais peur.
Spineux jeta un regard de défi autour de lui, pendant que son cousin lui prenait la main et la serrait avec force en signe de félicitation. Ensuite on se remit à jouer aux quilles jusqu'à la nuit.
Tout ce qui venait de se passer m'avait été rapporté par un témoin oculaire, et je crus de mon devoir de me rendre auprès de Jean-Mathieu pour le détourner de son projet, car nous avions fait ensemble notre première communion. Il ne m'écouta pas, prétendant que le vin était tiré et qu'il fallait le boire. Encore une expression qu'il avait entendue à la ville, et qui signifiait que toute pierre lancée en l'air doit retomber.
Les deux cousins se mirent donc en route vers onze heures trois quarts du soir. Je ne dirai pas dans quelles dispositions ils étaient, je ne les ai pas vus. Mais ce que je sais, c'est qu'ils avaient, dans la soirée, consommé un grand nombre de roquées (roquilles) de genièvre , et qu'ils quittèrent le village en chantant; ce qui, du reste, ne devait troubler le sommeil de personne, car tout le monde était sur pied; mais on s'efforçait de parler de toute autre chose, et beaucoup de gens s'étaient mis en prières, les femmes principalement.
Quand ils furent arrivés sur la hauteur de Hodister, il parut à Georges, quoique l'air fût très-calme, qu'il entendait dans l'espace de singuliers bruits.
— Tiens, dit-il, on croirait que des balles sifflent à nos oreilles.
— Des balles ! fou que tu es, d'où veux-tu qu'elles viennent? Ce que nous entendons, c'est le vent.
— Non, car vois ces arbres : pas une feuille ne bouge.
— Alors ce sont des chauves-souris qui volent au-dessus de nos têtes.
— Non plus : regarde, tu n'en verras pas une seule; pas le plus petit insecte même ne bourdonne.
Georges avait une pensée qu'il n'osait avouer, et qui venait de lui faire perdre un peu de l'assurance que lui avait donnée l'attitude de son cousin : il avait toujours entendu dire que c'est à travers l'espace que chevauchent, invisibles, les hôtes du sabbat sur des manches à balais.
Ils continuèrent à marcher et arrivèrent à un point où le sol s'inclinait fortement.
Une gorge sauvage s'ouvrait devant eux, pleine de silence et d'ombre. C'était le fond de Secheval, bien différent alors de ce qu'il est aujourd'hui.
— Bravo ! dit Jean-Mathieu , nous approchons de ce fameux Champ des Makralles.
Et il se mit à rire aux éclats et à descendre la côte en courant. Georges fit comme lui, car il espérait encore que, une fois au fond de la gorge, il déterminerait son cousin à ne pas aller plus loin, vu surtout qu'il y avait là un large torrent difficile à franchir; mais quand il le vit mettre le pied sur la berge il le prit par sa blouse en disant :
— Cousin, crois-moi, n'allons pas plus avant; c'est déjà bien assez d'être venus jusqu'ici; ne soyons pas assez fous pour faire un pas de plus; car, quoi qu'il puisse arriver, les gens sensés n'approuveront jamais ce que nous faisons en ce moment.
— Ah ! voilà sa peur qui le reprend... Écoute, sais-tu ce que nous trouverons là ? Peut-être un pauvre lièvre qui, à notre approche, fuira d'un buisson de genévriers ou quelque renard sortant de sa tanière pour faire sa chasse... Comme nous rirons demain, quand ma canne, plantée au milieu du Champ dit des Makralles, prouvera qu'il n'y a ni sorciers, ni sabbat, à ces gens qui de père en fils, depuis des centaines d'années, croient à cela comme à l'Évangile! Considère donc quel honneur il nous en reviendra à dix lieues à la ronde. Et quelle bonne histoire à raconter aux messieurs de Verviers et de Spa qui me plaisantent toujours au sujet de nos superstitions villageoises!
Tout en parlant ainsi, Jean-Mathieu franchit le torrent et se mit à gravir la côte. Le cousin Georges, placé entre plusieurs alternatives également fâcheuses à ses yeux, le suivit machinalement sans rien dire, mais il tremblait comme la feuille et se sentait le cœur singulièrement oppressé.
Les voilà sur le plateau. Ils s'avancent en rampant vers le pli de terrain où doit se trouver l'assemblée nocturne...
Au moment où ils lèvent la tête, ils entendent une musique criarde et voient, à peu de distance, une fourmilière d'êtres bizarres, au milieu desquels brille une lumière tremblante et sinistre, qui leur permet de distinguer les visages de Jolivette et de la Françoise, placées à côté d'un homme de haute stature, assis sur un objet élevé et accoutré d'un vêtement noir sur lequel se dessinaient une foule d'images monstrueuses. Mais la vue de ces objets est pour eux aussi rapide que l'éclair, car à l'instant, comme si des sentinelles étaient placées ça et là, un son étrange, pareil à celui qui sortirait d'une énorme trompe, retentit à côté d'eux et est répété par une dizaine d'instruments semblables , qui éclatant aux quatre points cardinaux. Alors un grand tumulte a lieu dans l'assemblée, et elle disparaît comme par enchantement derrière un rideau de fumée épaisse, brûlante et sulfureuse, qui semble sortir de terre.
- Malheur à nous ! s'écrie Jean-Mathieu d'une voix strangulée.
Et entraînant Georges plus mort que vif, il s'élance avec lui dans le ravin, au risque de se briser les os. Puis ils reprennent en courant le chemin par lequel ils sont venus, sans oser regarder derrière eux, car ils se croient suivis par une légion de sorciers, dont il leur semble entendre les pas retentir sur la bruyère sonore.
Haletants, épuisés, ils parviennent enfin jusqu'à la petite chapelle de Hodister, et ils tombent à demi évanouis devant le saint monument, qu'ils étreignent convulsivement dans leurs bras.
III
Les deux aventuriers restèrent longtemps dans cette attitude, les yeux fermés, priant avec ferveur et s'attendant a tout moment à être saisis par une main invisible, et transportés dans quelque brûlante fournaise.
Ce ne fut que quand ils entendirent que tout s'animait autour d'eux, que les oiseaux chantaient, que les cloches des églises environnantes appelaient les fidèles à la première messe, qu'ils se hasardèrent à ouvrir les yeux : le soleil brillait de tout son éclat, et déjà de nombreux laboureurs peuplaient les champs.
Ils essayèrent de reprendre leurs forces et regagnèrent péniblement Sougnez, où déjà on les croyait perdus, et où leur retour, dans l'état piteux où ils étaient, excita, on le conçoit, une ardente curiosité.
Je me rendis aussitôt auprès d'eux, et après avoir éloigné, non sans peine, la foule avide qui les entourait, je leur administrai les soins que réclamait leur situation. De graves désordres existaient dans leur état moral et physique. Quoi que vous puissiez penser concernant la réalité de leur aventure, il y a une chose qui ne peut être niée : à part leurs vêtements déchirés, et les blessures qu'ils avaient au visage et aux mains, ce qu'expliquait leur course désordonnée à travers les haies et les buissons, ils avaient la barbe et les cheveux roussis... Vous souriez ! Je cite le fait pour l'avoir constaté moi-même.
D'ailleurs, ceci n'est rien encore : attendez la fin.
Je leur recommandai de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, si ce n'est à leur confesseur. Mais ce Jean-Mathieu était un être incorrigible.
Dès le surlendemain, il se trouva remis de cette secousse et reprit à peu près son train de vie ordinaire. Figurez-vous qu'un jour, à son retour de Verviers, il osa me dire qu'un médecin de cette ville lui avait fait comprendre comme quoi ce qui leur était arrivé pouvait s'expliquer de la manière la plus naturelle du monde ! Et il voulut me rapporter la conversation, que je refusai d'écouter, tant j'étais indigné... Pour comble de malheur, ne voilà-t-il pas que notre imprudent et son niais de cousin, — qui, malgré la leçon qu'il avait reçue, continuait à ne voir que par ses yeux, — se remirent tous deux à tourmenter Jolivette et Françoise !
Une fois elles leur dirent que Dieu ne tarderait pas à les châtier. Jean-Mathieu osa répondre qu'en tout cas ce ne serait pas le diable, dans les bonnes grâces duquel elles étaient moins bien qu'il ne l'avait pensé, puisqu'il ne leur avait pas permis de les happer lors de leur visite au Champ des Makralles, où l'occasion était belle pourtant. Georges ajouta, avec un gros rire, que c'était sans doute parce qu'il manquait l'une un œil et à l'autre une jambe, qu'ils avaient échappé à leur poursuite.
Je rencontrai Herzet quelque temps après, et lui reprochai la légèreté de sa conduite; il eut l'impiété de me dire que, justement depuis son affaire, le Ciel le favorisait d'une manière toute spéciale; qu'il vendait le triple, et que sa tante de sur la Heid, qui, depuis dix ans, avait refusé de le recevoir à cause de certains mauvais tours, venait de lui accorder son pardon, avec promesse de lui laisser tout ce qu'elle possédait. En effet, elle mourut quelques mois après, et il fut déclaré son héritier universel; or, ce n'était pas peu de chose, mafoi, que l'héritage de la mère Henoul !
Jean-Mathieu, qui avait jadis renoncé à la culture pour mener la vie de blatier, résolut tout à coup de remettre ses affaires à son cousin et de prendre la direction de sa métairie. Il alla donc s'établir sur la Heid, et bientôt il chercha à se marier.
Ce ne devait pas être bien difficile pour lui, car les jeunes filles de tous les temps et de tous les pays ont toujours préféré les godelureaux aux gens raisonnables. Il n'eut qu'à aller à la fête à Aywaille pour faire son choix. On vit tout de suite que celui-ci était tombé sur la belle Marguerite Damré, de Sprimont : car il ne dansa qu'avec elle, et ne but guère qu'à la table de son père, de ses frères et de ses oncles, qui avaient l'air d'être très-flattés la de préférence, et riaient de tout ce qu'il disait. Aussi personne ne fut-il surpris d'apprendre que le mariage de Jean-Mathieu et de Marguerite aurait lieu dans les premiers jours de novembre ; et comme cette dernière avait une cousine déjà un peu mûre, on dit en badinant:
— Tiens, ce serait l'affaire de Georges.
On devinait juste : le second mariage devait se célébrer le même jour que le premier. Il fallait que ce Georges imitât son cousin en toute chose !
Croyez-vous qu'à la veille d'un événement aussi grave, Jean-Mathieu fût devenu plus sage ? Vous vous tromperiez beaucoup. C'était le même écervelé, riant indécemment de tout. Un dimanche soir, vers dix heures, passant avec son cousin devant les habitations de Jolivette et de Françoise, il alla frapper à la fenêtre de la première, en débitant des propos que la pudeur m'empêche de répéter, tandis que Georges tenait exactement la même conduite à l'égard de la seconde des deux vieilles.
De singulières idées commençaient à se glisser dans l'esprit de ceux qui voyaient ces traits d'audace et l'impunité qui en était la suite. Toutes les notions admises jusque-là se trouvaient bouleversées:
— Quoi, disait-on, ils projettent de visiter le Champ des Makralles, et ils n'en sont pas empêchés; ils y vont, et ils en reviennent; ils se montrent indiscrets au plus haut point touchant ce qu'ils ont vu; ils bravent, ils outragent Jolivette et la Françoise, et il ne leur arrive rien... Ou il n'y a plus de makralles, ou elles ont perdu tout pouvoir, ou bien ils sont ce qu'on appelle nés coiffés.
Je me souviens qu'entendant un jour ce langage sur le cimetière, devant le porche de l'église, le vieux Bernard, berger du fermier de Montjardin, qui était près de moi, marmotta ceci entre ses dents :
— Attendez, attendez, ils ne sont pas au bout; ce qui est différé n’est pas perdu.
Toutes les formalités étaient remplies pour le double mariage, qui devait avoir lieu le surlendemain de la Toussaint. On était justement au jour des Morts. Jean-Mathieu s'en retournait sur la Heid, vers la nuit tombante; son cousin avait voulu l'accompagner, et ils devisaient ensemble de leurs futures femmes. Lorsqu'ils furent parvenus au faîte de la montagne , Spineux, avant de se séparer de son compagnon, voulut allumer sa pipe; il se mit à battre le briquet, mais l'amadou ne prenait pas. Ils poussèrent un peu plus loin où se trouvait un gros tilleul, derrière lequel ils se mirent à l'abri du vent, et ils purent ainsi avoir du feu.
Comme ils allaient se quitter, ils virent s'avancer, par le sentier conduisant à Florzé, deux femmes aux allures dégagées.
Il leur parut qu'elles avaient une vague ressemblance avec leurs fiancées. Ils se regardèrent surpris.
— Oh ! ce serait bon ! s’exclama JeanMathieu, venir à notre rencontre...!
— Fou que tu es, quelle supposition. Ce ne sont pas elles.
— Allons voir.
Et ils coupèrent le terrain de manière à se trouver sur le passage de celles qui excitaient ainsi leur curiosité.
— Ce sont probablement les filles du nouveau censier de Florzé, dit Georges.
—C'est possible ; elles habitent le pays, depuis trop peu de temps pour que je les connaisse. En tout cas, nous allons savoir cela.
Ils se mirent en train de barrer le passage aux inconnues, qui s'avançaient vers eux sans la moindre hésitation.
Lorsqu'elles furent en leur présence, elles les regardèrent d'un air assuré; eux, à leur tour, les examinèrent et les trouvèrent toutes les deux jeunes et admirablement belles sous leur propret costume de paysanne.
Herzet prit la parole:
— Dieu vous garde, mes charmantes; mais il est déjà tard, et les chemins sont déserts : n'avez-vous donc pas peur?
— Nous aurions même peur, que nous serions complétement rassurées en rencontrant d'aussi gentils garçons que vous, dit l'une d'elles.
— Voilà qui est galamment riposté ! s'écria Jean-Mathieu; mais où allez-vous donc, et qui êtes-vous? car moi, qui me flattais de connaître toutes les beautés des environs, je ne me souviens pas de vous avoir jamais vues.
Celle qui avait gardé jusque-là le silence répliqua avec un gracieux sourire :
— Vous êtes vraiment bien curieux; mais vous avez un moyen de le savoir, c'est de nous suivre, car nous ne pouvons pas vous en empêcher.
— Par ma foi ! fit Herzet, ce sont de bonnes vivantes, et nous allons rire un coup, hein, Georges?
Il allait continuer, lorsque celle qui avait parlé la première se mit à sautiller et à fredonner.
— En voilà une qui aime la danse, dit Georges.
— Oh ! je le crois bien, la danse ! la danse! s'écria-t-elle avec enthousiasme.
— Et vous donc? demanda Jean-Mathieu à la seconde.
— Et moi aussi, répondit-elle en se mettant à sautiller à son tour.
Le fiancé à Marguerite se tourna vers Georges; son regard brillait:
— Une dernière fredaine, cousin, un quadrille au clair de la lune avec ces joviales créatures...
— Tu badines sans doute? Non pas, non pas.
A peine Spineux avait-il dit cela, que Jean-Mathieu le poussa vers une des jeunes filles, tandis qu'il attirait l'autre à lui.
Et ils commencèrent tous quatre à sauter, les bras entrelacés. Le terrain se mit à fuir sous eux, et ils franchirent l'espace avec une rapidité extrême.
Georges commençait à haleter, et il voulut s'arrêter ; mais une force supérieure à la sienne l'entraînait.
Et comme le murmure des eaux de l'Amblève annonçait que la rivière n'était pas loin, et que le sol allait leur manquer, il voulut en avertir son cousin, qui le précédait à quelque distance, quand tout à coup un cri déchirant frappa l'air.
Il vit Jean-Mathieu disparaître avec sa danseuse dans l'abîme. Alors les mots: « Jésus! Maria! » s'échappèrent de ses lèvres tremblantes, et il fit un suprême effort, par suite duquel il put s'arracher des bras de sa compagne.
Horreur ! la belle jeune fille se changea soudain en une hideuse vieille femme...
Il reconnut la Françoise, qui s'envola, comme si elle avait eu des ailes, en poussant un cri semblable à celui de la chouette.
Que dirai-je maintenant? Le cadavre de Jean-Mathieu fut retrouvé au bas de la heid des Gattes, près de la rivière, à l'endroit qu'une croix consacre encore aujourd'hui. Je constatai moi-même l'état d'affreuse mutilation dans lequel il se trouvait...
Mais, chose non moins étrange que tout le reste : peu après l'heure où Georges prétendait s'être échappé miraculeusement de l'étreinte de la Françoise, deux personnes, en passant devant la chaumière de celle-ci, entendirent des gémissements, et y étant entrées, elles trouvèrent la vieille expirant sur un grabat... La femme qui l'ensevelit me confia qu'elle avait remarqué, à son cou, des traces noires ressemblant à des empreintes de doigts osseux, et elle ajouta : — Ne serait-ce pas Jolivette qui aurait fait cela pour empêcher qu'on ne crût au récit de Georges, et pour faire envisager comme un simple accident la mort de Jean-Mathieu ?...»
Telle est l'histoire que me raconta Urbain Germain, le vieux chirurgien de Sougnez. Elle m'avait trop vivement intéressé pour que je m'avisasse de la discuter. Ceux qui la liront ici, se montreront-ils aussi faciles que moi ?
La fin annoncée de l'ordre du temple ?
WILLEM VAN BONEM ET LA BATAILLE DES EPERONS D'OR
ou
La fin annoncée de l'Ordre du Temple ?
Willem van Bonem, ou Guillaume de Bonem, s'inscrit dans la légende - ou tout simplement l'histoire - de l'Ordre du Temple avec un panache certain, mais, contrairement à son "frère" Gérard de Villers, souvent cité dans l'histoire du Temple en Belgique, il reste encore relativement méconnu...
Son nom a donné lieu à de nombreuses interprétations orthographiques, à travers le temps et les auteurs divers : Boenem, Boonem, Boneem, Bonheem, Bornem, Bornhem... Je me rallierai à la graphie la plus courante, Bonem, que l'on retrouve à Damme, au nord-est de Bruges, où se trouvait, au XIIIème siècle, une seigneurie indépendante appartenant aux Bonem, incluse dans le Franc de Bruges, et dont il subsiste encore de nos jours la Ferme Bonem, au n° 1 de la Bonemstraat (les terres de cette seigneurie furent vendues en 1297 à Baudouin de Dudzele; après être repassé en 1725 aux mains de Ferdinand-Philippe, baron de Boonem d'Everencourt, entre autres tractations, ce bien est actuellement propriété privée).
Le chevalier Guillaume de Bonem, échevin du Franc de Bruges, capitaine du Zwin, seigneur d'Oostkerke, appartint donc à l'Ordre du Temple, et participa, entouré de ses troupes templières, à la Bataille des Eperons d'Or, en 1302, sous la bannière au Lion, bataille qui se termina par la cuisante défaite du roi de France Philippe le Bel face aux rebelles du comté de Flandre.
Un bref "recadrage historique" serait sans doute utile :
L'Ordre du Temple, créé le 23 janvier 1120 par un chevalier champenois, Hugues de Payns, ainsi que par le chevalier flamand Geoffroy (ou Godefroy) de Saint-Omer, et confirmé le 13 janvier 1129 au concile de Troyes, a pour vocation première de protéger les routes de pèlerinage vers Jérusalem et d'assurer le transport des reliques chrétiennes. La perte de la Terre Sainte obligera les moines-chevaliers de l'Ordre du Temple à se replier sur leurs bases occidentales, qu'ils ont d'ailleurs fortement développées dès la création de l'Ordre, en France et dans les pays avoisinants, mais notamment dans le comté de Flandre.
J'ai évoqué une "vocation première", mais il faut constater que très vite les Templiers, animés d'un esprit de justice et d'équité peu courant à ces époques, en assument une seconde : le bien du peuple, face à une féodalité oppressante, face à des "seigneurs" nés tels par chance et qui, sortant trop souvent de leur rôle naturel de protecteurs, deviennent les tyrans que l'on sait. Ainsi, les terres templières deviennent quasiment des lieux de refuge, pour une population autrefois servile, qu'ils libèreront; ils créent des associations d'artisans, libres, qui bâtiront des églises et cathédrales grandioses, car ils sont au service de Dieu et de la Chrétienté (les Templiers obéissent à la Règle rédigée pour eux par Bernard de Clairvaux, qui deviendra en quelque sorte leur "mentor spirituel"); ils animeront le commerce, grâce à des ressources financières importantes, et par un système bancaire fort en avance sur son temps.
En 1307, le roi de France Philippe IV, dit Philippe le Bel, par exemplaire félonie et avec la relative complicité du pape Clément V (ou plutôt par sa "molle résistance" aux actes du roi de France... A noter aussi que, selon le Parchemin de Chinon de 1308, il semblerait bien que le pape ait "absous les Templiers de tous péchés"...), Philippe le Bel donc met un terme à l'aventure templière. Le procès des Templiers, leurs aveux souvent arrachés sous la torture, les accusations d'infamies soutenues par une propagande préalable orchestrée par Philippe le Bel, la mort sur le bûcher du dernier grand maître de l'Ordre, Jacques de Molay, tout cela hante encore l'imaginaire de beaucoup de nos contemporains.
Philippe le Bel
Gisant de marbre - Abbaye de Saint-Denis
Ce qui est moins clair de nos jours, c'est le "pourquoi" de cette élimination de l'Ordre du Temple.
On a dit, pour les défendre ou pour les charger - car aujourd'hui encore comme depuis des siècles, des historiens s'opposent sur le sens à donner à l'histoire du Temple -, que les Templiers étaient des hérétiques; qu'ils adoraient des divinités païennes, voire le diable en personne; qu'ils pratiquaient une sorte d'alchimie sorcière afin de remplir leurs coffres d'or; qu'ils étaient homosexuels; etc. Ou que leur destruction aurait constitué pour Philippe le Bel une opportunité de rétablir ses propres finances, fort délabrées, en prenant possession des biens du Temple. Ou encore qu'ils constituaient "un état dans l'état", devenu dangereux à la fois pour le pouvoir du roi de France et celui des seigneurs féodaux...
Dire que les Templiers ont été toujours et partout irréprochables serait la manifestation d'une certaine naïveté. Mais entre la légende et les acccusations, où se déterminer ?
Pour ma part, je n'entrerai pas ici dans ce long débat, qui a déjà été mené souvent avec plus ou moins de bonheur par de nombreux historiens. Je m'arrêterai à un évènement précis, qui semble démontrer qu'à la fin de sa vie, l'Ordre du Temple répondait toujours aux "critères de qualité" voulus par Hugues de Payns, Geoffroy de Saint-Omer et Bernard de Clairvaux.
Il s'agit de la bataille des Eperons d'Or...
Cet évènement, d'autre part, pourrait fort bien expliquer - au-delà de toutes les littératures plus ou moins fantastiques que l'on a commises à ce sujet - la profonde animosité de Philippe le Bel à l'encontre des Templiers, qui s'assouvira en 1307 par la destruction de l'Ordre. Parce que, par cet évènement, les Templiers entrent en conflit armé avec Philippe le Bel !
Les historiens belges ont généralement reconnu une très positive influence templière dans les anciens duché de Brabant, comté de Flandre, et autre Pays de Liège, etc.
Cet extrait d’un article de A. Perreau intitulé « Recherches sur les Templiers belges », paru dans les « Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique » (Tome onzième - 1852), nous donne un aperçu de cette reconnaissance :
"Les Templiers en Belgique se rendirent dignes du reste de l'intérêt que leur témoignèrent les souverains de ce pays par le concours actif qu'ils prêtèrent en toutes circonstances à la défense de la patrie. C'est surtout lors de la guerre acharnée que le roi de France, Philippe-le-Bel, fit aux Flamands dans les premières années du XIVe siècle, que leur patriotisme parut au grand jour. Les historiens de la Flandre n'ont pas oublié de signaler dans leurs écrits la brillante conduite du Templier Guillaume de Bornem, dont la coopération fut si utile aux princes flamands et à Guillaume de Juliers pour organiser l'armée flamande et chasser de la Flandre les troupes françaises qui jusqu'alors n'avaient rencontré aucune résistance sérieuse."
Cet extrait nous signale l'impact templier en Belgique, et surtout, annonce mon propos : cette fameuse bataille des Eperons d'Or.
Chez les historiens français, on la nomme "Bataille de Courtrai". Et chez les Flamands, elle est connue sous le nom de "Guldensporenslag". Elle a lieu le 11 juillet 1302.
Vers cette époque, le comté de Flandre (c'est-à-dire la Flandre française, de Lille à Dunkerque, soit l'actuelle moitié nord-ouest du département du Nord; les actuelles provinces belges de Flandre orientale et occidentale; une partie de l'actuelle province belge du Hainaut avec Tournai et Mouscron; le sud de l'actuelle Zélande hollandaise avec Aardenburg, Sluis et Hulst), fief du roi de France, s'est fortement développé et enrichi, pour deux raisons : 1° le 4 octobre 1134, un raz-de-marée ouvre une large brèche dans la terre de Flandre, qui fait tout à coup de Bruges un port maritime, lequel devient rapidement l'un des ports commerciaux les plus importants du monde d'alors, ainsi que son avant-port à Damme (la mer est redescendue depuis, et il ne reste plus de cette brèche que le Zwin, charmant endroit entre Knokke et Cadzand)... et 2° le commerce très prospère de la laine avec l'Angleterre.
Ces riches Flamands sont pour Philippe le Bel une opportunité. Ses caisses sont vides. Il veut les remplir avec l'or flamand. Il impose donc des taxes écrasantes. Les Flamands refusent. Philippe le Bel lance ses armées sur la Flandre, armées qui, portant haut des "balais", symbole de leur détermination, "nettoient", c'est-à-dire ravagent le pays. Mais la résistance flamande s'organise. En mai 1302, les Brugeois, commandés par l'un des chefs de cette résistance, Jan Breydel, s'emparent de la garnison française stationnée au château de Male; Guillaume de Bonem participe à l'assaut de la place forte. Quelques jours plus tard, une autre réaction flamande, fort cruelle hélas, purge la ville de Bruges d'une majorité de ses résidents français : cet épisode sera nommé "les matines brugeoises".
Fou de rage, Philippe le Bel lève l'une des armées les plus considérables de ce temps. Pour mater ces Flamands qui veulent préserver leurs libertés et leur or, il réunit la fine fleur de la chevalerie française, les "tanks" de l'époque, sept mille hommes bardés de fer. Il fait appel à des mercenaires provençaux, navarrais, espagnols, lombards, qui grossissent les rangs des hommes de troupe et sergents d'armes français. Bref, il constitue une "force de frappe" de près de cinquante mille hommes.
Face à eux... peu de chose. Les milices flamandes, de Bruges, de Gand, et de toutes les régions de Flandre que l'on réunit alors, ne feront pas le poids. C'est alors qu'interviennent les Templiers. Ils décident de prendre fait et cause pour les Flamands, face au roi de France. Sous le commandement de Guillaume de Bonem, ils organisent en hâte la petite armée flamande. Ils élaborent une stratégie, imaginent de reprendre la tactique d'Hannibal à la bataille de Cannes en 216 avant notre ère (laisser volontairement enfoncer le centre des forces pour, après la ruée désordonnée de l'ennemi, les prendre en tenailles avec les ailes gauche et droite), et, dit-on, procurent à la troupe une arme qui aurait été apportée d'Orient par les Templiers, le "goedendag" : une boule de bois hérissée de pointes de fer, reliée à un bâton de bois par une chaîne, arme d'une efficacité redoutable.
Une autre figure légendaire mais aussi historique de Flandre, Willem van Saeftinghe, moine de l'abbaye de Ter Doest près de Lissewege, "fignole" le dispositif : sur la trajectoire de la "ruée au centre" que l'on espère de l'ennemi, on aura creusé des fossés, recouverts ensuite de branchages. Les chevaliers français n'y verront que du feu, et se feront prendre au piège.
Très vite, la rébellion flamande fait tache d'huile. Par jeux d'alliance et parce qu'elles aussi sont soumises aux exactions françaises, d'autres régions de la Belgique d'alors se mobilisent. Les maigres troupes flamandes sont ainsi renforcées par des contingents de Zélande, du Hainaut, du Namurois, du duché de Brabant, du Pays de Liège. Il paraîtrait même - mais cela reste incertain - que des troupes anglaises aient traversé la Manche pour porter secours aux insurgés flamands. Dans cette armée hétéroclite, on voit des nobles, des bourgeois, des paysans, des manants, tout un peuple...
En définitive, les rebelles flamands et leurs alliés réunissent quelque vingt mille hommes.
Le 11 juillet 1302, la bataille s'engage, dans la plaine de Groeninghe, près de Courtrai, aux abords de la Lys.
Chez les Français, il n'y a nulle inquiétude. Sous le commandement de Robert II d'Artois et de Raoul de Nesle, l'armée du roi de France est sûre de son fait.
Armoiries de Robert II d'Artois
Mais c'est compter sans cette association particulière de l'esprit templier et du courage flamand : bien qu'on l'eût prévenu qu'il valait mieux contourner l'armée flamande et la prendre à revers, Robert d'Artois décide... de foncer dans le piège tendu par les coalisés belges. Il attaque le centre du dispositif adverse, n'y voyant qu'une troupe de manants peu armés... illusion qu'Hannibal, à la bataille de Cannes, avait déjà réussi à imposer aux légions romaines de Varron et de Paul Emile .
Les chevaliers français, en armure et superbement entraînés au combat, après avoir cru refouler les manants flamands - qui se repliaient volontairement, comme le firent les mercenaires gaulois d'Hannibal, et non pas pris de panique comme l'ont écrit plusieurs historiens ! -, les chevaliers français donc, en une "poussée victorieuse" qui vire vite au désordre, s'embourbent dans les fossés marécageux qu'ils n'avaient point vus... Et là, les ailes gauche et droite de l'armée flamande, commandées par Guy de Namur et Guillaume de Juliers, se rabattent sur eux, les prennent en tenailles, et les massacrent. La chevalerie française est anéantie dans le bloed meersch, le "marais sanglant".
La Bataille des Eperons d'Or
Gravure flamande du XIVème siècle
Guillaume de Bonem et ses Templiers sont de la partie, leur bannière unie à la bannière au lion des Flamands. On les surnomme "les Chevaliers du Cygne". Ils sont constitués de trois groupes : templiers noirs, templiers gris et templiers blancs, selon leur grade dans l'Ordre. Au milieu d'eux se trouve Willem van Saeftinghe.
La bannière au lion
D'or, au lion de sable, armé et lampassé de gueules
Quelques temps avant la bataille, Philippe le Bel avait demandé aux Templiers français de se joindre à ses troupes... Ils refuseront, arguant qu'il leur était impensable de se battre contre leurs frères belges. Nouvel affront au pouvoir du roi.
La légende, ou l'histoire, affirme que Robert d'Artois fut tué par Willem van Saeftinghe, qui par ailleurs aurait tué quarante chevaliers français à lui seul. Que cela soit vrai ou faux, il n'en demeure pas moins que cette légende, ou vérité historique, reflète fort bien la réalité du moment : les rebelles flamands et leurs alliés firent un carnage total. Il n'y eut point de quartier.
Statue de Willem van Saeftinghe à Lissewege
(Photo Charles Saint-André)
Après la bataille, les Flamands arrachèrent des bottes françaises leurs éperons, près de sept cents. Ceux-ci, en or paraît-il, furent exposés dans l'église de Notre-Dame à Courtrai. Quelques années plus tard - et les Templiers n'étaient plus là pour leur venir en aide -, les milices flamandes subirent de graves revers, et la France récupéra ses "éperons d'or", qu'elle transféra dans une église à Dijon.
En 1313, Philippe le Bel, dit "le roi de fer", après les avoir supprimés, s'octroya les richesses monétaires des Templiers et transféra leurs commanderies à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (appelé plus tard Ordre de Malte). Il mourut l'année suivante, suite, dit-on, à la malédiction que lui lança Jacques de Molay du haut de son bûcher, sur l'Ile aux Juifs à Paris... légende sans doute, mais le "roi de fer" ne survécut donc pas à ses adversaires.
On ne sait trop ce qu'il advint de Guillaume de Bonem. On sait cependant que ses descendants continuèrent en plusieurs occasions d'occuper des charges communales à Bruges.
Les Templiers de Belgique ne furent pas grandement inquiétés après la dissolution de leur ordre, contrairement à leurs frères français.
La majorité d'entre eux néanmoins prirent la fuite, et rejoignirent principalement leurs commanderies du Portugal, où, sous la protection du roi Dom Dinis, ils changèrent de nom et devinrent l'Ordre des Chevaliers du Christ, ou Ordre du Christ.
Croix de l'Ordre du Christ
D'autres choisirent l'Ecosse comme terre d'exil. Ils y seront protégés par Robert Ier d'Ecosse (Robert the Bruce) qui, excommunié, n'avait plus à répondre aux ordres de saisie des biens templiers promulgués par Rome. Une tradition, toujours controversée, affirme que les Templiers ont aidé Robert Ier à gagner la bataille de Bannockburn en juillet 1314, victoire qui assura l'indépendance de l'Ecosse jusqu'en 1707. En récompense de leurs services, Robert Ier aurait constitué ou reconstitué en leur faveur l'Ordre de Saint-André du Chardon, dont les Templiers formeront le noyau. Cet Ordre du Chardon se serait alors installé à Aberdeen puis à Kilwinning... où fut, historiquement cette fois, créée la première loge maçonnique d'Ecosse, vers 1599... ce qui a incité bon nombre d'auteurs à imaginer (?) une filiation entre l'Ordre du Temple et la Franc-Maçonnerie. Vraie ou fausse, c'est cette tradition qu'utilisa en partie Dan Brown dans son très romancé "Da Vinci Code".
En Flandre, les Templiers n'ont pas été oubliés. Plusieurs communes de la région de Slijpe, où se trouvait l'une des commanderies templières les plus importantes de Flandre, ont gardé la croix du Temple dans leur blason (voir à ce sujet mon article "Les armoiries templières de quelques communes de Flandre").
Les Templiers continuent, de nos jours, comme depuis toujours d'ailleurs, à embraser les imaginations. Divers mouvements néo-templiers se sont formés. L'un des plus connus est sans doute, au XVIIIème siècle, la Stricte Observance Templière, système de hauts-grades souché sur la Franc-Maçonnerie des grades bleus en Allemagne. Jean-Baptiste Willermoz, un franc-maçon lyonnais, rallia la S.O.T. aux loges créées par Martinès de Pasqually en France, et créa ainsi le Rite Ecossais Rectifié - l'un des nombreux rites maçonniques actuels -, qui perpétue l'esprit de l'Ordre du Temple (l'un des grades les plus élevés de ce rite est le "Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte", ou CBCS, manière quelque peu détournée de dire "Chevalier du Temple").
Logo d'une loge maçonnique française
travaillant au Rite Ecossais Rectifié
(R.°. L.°. Kreisteiz à l'Orient de Lorient)
Logo du Grand Prieuré de Nouvelle France,
obédience maçonnique canadienne
travaillant au Rite Ecossais Rectifié
On connait aussi "l'ordre du temple" de Fabré-Pelaprat, au début du XIXème siècle, séquence relativement bizarre des avatars templiers. Actuellement, de nombreuses confréries se réclament de l'esprit templier : leurs actes relèvent parfois d'un certain folklore, mais il n'y a sans doute pas lieu de douter de la force de leurs convictions. Il existe aussi toujours des escrocs en cape blanche à croix rouge, dont il convient évidemment de se méfier.
L'esprit templier perdurera donc... si deus lo vult.
Charles Saint-André
Bannière templière
Le Beaucéant
mercredi 7 novembre 2012
Trésor templier à Ellezelles.
TRESOR TEMPLIER A ELLEZELLES
Divers articles parus dans la presse belge (Le Soir, L'Avenir, La Meuse, RTL, Le Vif, 7sur7, RTBF, Sudpresse, etc) en 2010 et 2011, font état d’un trésor caché par les Templiers, en 1308, dans un champ de Wodecq (Ellezelles), en province de Hainaut, au lieu-dit Blanc Scourchet ("l’abri blanc" selon certains, mais plutôt le "blanc tablier"), et à proximité d'une ancienne chaussée Brunehaut…. Un endroit précis, dit "Croix-Philosophe" semble être l'un des indices géographiques les plus intéressants relevés par les chercheurs (50°42'22" N - 3°43'28" E).
Après l’accusation d’hérésie, de sodomie, de simonie et d’idolâtrie portée contre lui en 1307 par le roi de France, l’Ordre du Temple aurait fait transporter 21 tonneaux de pièces d’or en terre hennuyère, pour les y enfouir en attendant des temps meilleurs… On connaît la suite : l’Ordre est démantelé, son Grand-Maître Jacques de Molay est brûlé vif, et les Templiers français et belges, s’ils ne tombent aux mains des hommes d’armes de Philippe le Bel, fuient au Portugal ou en Ecosse, mais n’auront jamais l’occasion de revenir en Hainaut pour récupérer l’or du Temple.
C’est Rudy Cambier, philologue et historien local qui a fait cette découverte, en décryptant « Les Centuries » d’Yves de Lessines, prieur de l'abbaye de Cambron en Hainaut au début du XIVè siècle.
Certains chercheurs avancent également que les "Tables de la Loi" gravées sur l'autel de l'église Saint-Martin à Moustier-Frasnes-lez-Anvaing (village situé à une dizaine de kilomètres de Wodecq), comporteraient un cryptogramme indiquant l'endroit précis où est enterré ce trésor des Templiers...
L’affaire est prise au sérieux par les autorités belges. Des sondages archéologiques seraient en cours, organisés par des instances officielles.
Dès le 6 octobre 2010, on peut lire le texte suivant sur le site web du groupe MR (parti politique belge) au Parlement Wallon :
Les fouilles archéologiques du Blanc Scourchet à Ellezelles
De Crucke Jean-Luc vers Benoît LUTGEN
Interpellée sur le dossier des fouilles du Blanc Scourchet à Ellezelles, l'Administration confirme que ses travaux se limiteront à la fouille préventive du terrain qui fait l'objet d'une demande de permis de lotir afin de sauver les éventuels vestiges.
Pourquoi l'administration se limite-t-elle à la fouille de cet unique terrain et non à celui de Monsieur Rudy Cambier, ainsi qu'aux endroits désignés par les recherches de Rudy Cambier comme décelant un intérêt historique ?
Face au résultat inouï que pourrait représenter la confirmation des études de Monsieur Rudy Cambier, ne convient-il pas que l'administration se montre plus ambitieuse et plus proactive ? L'intérêt historique et les retombées touristiques n'imposent-ils pas une fouille plus méthodique ?
(Lire cette intervention sur le site du MR)
Affaire à suivre donc…
Charles Saint-André
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