DANS L’OMBRE DES TEMPLIERS
Sources Griffon d'Argent.
CHAPITRE I
PREMIERE RENCONTRE AVEC LES CHEVALIERS DE MALTE
Parfois, le temps ne se prêtait guère à
emprunter l'un des innombrables sentiers de randonnée que compte la vallée car,
soudain, un épais brouillard pouvait envahir toute la région. Il faut savoir
que certains chemins existaient déjà avant que ne viennent ces religieux. Aimer
les parcourir, c'est apprendre à mieux connaître leurs tracés, ce qui peut
conforter un jugement dans toutes recherches. Combien de fois me suis-je rendu
jusqu'à la chapelle romane de Saint-Léger pour y retrouver la sérénité et y
rencontrer mes amis de l'ombre.
Ce jour-là, après avoir dépassé le petit
hameau du même nom, je commençai à gravir le large chemin empierré qui allait
me conduire devant l'entrée de ce très bel oratoire érigé sur la pointe d'un
mamelon. Tournant la clef dans la
serrure, j'ouvris la porte laissant découvrir l'intérieur de la chapelle.
M'approchant de l'autel, je distinguai huit croix de Malte peintes sur les murs
de l'édifice. C’était bien l’empreinte des chevaliers, mais pourquoi ne les
avais-je pas remarquées plus tôt ?
Mon attention se porta alors sur l’une
de ces croix d’un rouge éclatant. J’avançai lentement ma main de façon à
effleurer délicatement de mes doigts cette empreinte indélébile laissée à la
postérité. Je pris alors quelques photos tout en m’assurant que celles-ci
étaient bonnes, mais… il n’y avait rien ! Pas un seul cliché de ces
croix !
Abandonnant les prises de vues pour un
instant, je décidai de m’asseoir sur un banc et de réfléchir à cette situation…
Il me vint alors l’idée de prendre une photographie du sanctuaire. Cette
dernière fut une réussite totale, mais je n’avais toujours pas une seule croix
des Chevaliers de Malte sur la pellicule.
Mon regard se posa ensuite sur la statue
en bois représentant Saint-Léger, qui fut évêque d’Autun.*1 Après l’assassinat de Childéric II, Ebroïn le fit
torturer en lui faisant brûler les yeux et en lui arrachant la langue. Par la
suite, il sera décapité près de Doullens puis, réhabilité, il sera
solennellement reconnu comme martyr. La chapelle Saint-Léger servira au culte
paroissial dès le début de l’année 1590.
A plusieurs reprises, provenant de
chaque côté de l’autel, j’entendis murmurer une prière : c’était le Pater
Noster.
« Pater
noster, qui es in caelis:
sanctificetur
Nomen Tuum;
adveniat
Regnum Tuum;
fiat
voluntas Tua,
sicut
in caelo, et in terra.
Panem
nostrum cotidianum da nobis hodie;
et
dimitte nobis debita nostra,
sicut
et nos dimittimus debitoribus nostris;
et
ne nos inducas in tentationem;
sed libera nos a Malo. »
Amen
1) v.616-679.
Au bout d’un moment, les chuchotements
cessèrent, me laissant déconcerté. Pourtant je n’avais pas rêvé !… Il
s’agissait bien de voix !... Et ces murmures qui venaient envahir mes
oreilles appartenaient très certainement aux Chevaliers de Malte. Peut-être me
trompais-je dans mon raisonnement car, à force de fréquenter des lieux saints,
on finit par s’inventer toutes sortes de choses.
Comme à l’accoutumée, continuant ma petite visite, je
détaillai du regard une dalle mortuaire qui reposait en guise d’autel,
supportée par un appareillage grossier
de grès et de lauze. Cette pierre tombale appartenait
à qui ?... Voilà encore une question à laquelle je
ne pourrais peut-être jamais répondre !
Pour l’instant, Saint-Léger n’apportait
aucune réponse à mes questions. Il fallait donc continuer mes investigations
sur le terrain, commençant mes recherches chez l’habitant. Je savais que,
pendant les guerres de religion, les troupes catholiques s’étaient dirigées
vers le château de Montclar, empruntant le chemin reliant Seyne-la-Grand-Tour
au Col Saint-Jean.
GUERRES DE RELIGION DANS LE PAYS
DE SEYNE
Après avoir traversé la Vallée de la
Blanche, ils aperçurent au loin la bannière des Seigneurs de Jarente qui
flottait sur le donjon. Sans difficulté, ils arrivèrent devant la fortification
que la garnison venait d’abandonner la veille. Pénétrant dans la place sans
coup férir, ils saccagèrent le mobilier et mirent le feu aux tentures qui
s’embrasèrent aussitôt. Puis, ils s’en prirent aux maisons des villageois dont
les toitures, faites de bois et de chaume, s’embrasèrent rapidement. Le château
et le village furent en peu de temps la proie des flammes.
De là, les catholiques pillèrent,
brûlèrent, rasèrent tous les villages qui se trouvaient sur leur passage dans
cette belle Vallée de la Blanche. Les calvinistes
et le Sieur Baschi, gouverneur protestant de Seyne-la-
Grand-Tour, arrivèrent trop tard. Fou de rage, il
entreprit de se venger sur-le-champ en faisant saccager l’église paroissiale et
la chapelle des Dominicains de Seyne et ordonna, après avoir expulsé les
religieux, de faire incendier la chapelle et l’église paroissiale de Montclar,
ainsi que tous les biens qui appartenaient aux Chevaliers de Malte, comme leur
résidence, l’abbaye de Pinaudier, et la chapelle Saint-Léger qui se trouvaient
au Col Saint-Jean. Une fois les chevaliers partis, les Huguenots se partagèrent
leurs terres et leurs revenus.
Les habitants qui avaient fui Montclar se réfugièrent
dans la chapelle Saint-Léger pour empêcher les Huguenots de commettre une folie
en incendiant le sanctuaire. Les villageois prétendirent, de ce fait,
que les protestants n’avaient pas le droit de détruire ce qui
appartenait aux Chevaliers de Malte. Pour le gouverneur Baschi, il fallait se
venger à tout prix, et anéantir tous ces soi-disant lieux de culte qui
représentaient cette église romaine, fondée sur l’ambition, l’intolérance et
l’injustice.
En ce qui
concerne ces pauvres gens, ils durent abandonner toute
résistance et quitter définitivement leur chapelle. Certains essuyèrent
quelques larmes, puis jetèrent un dernier regard sur Saint-Léger avant de
s’éloigner dans la campagne. Les soldats du gouverneur Baschi envoyèrent des
brandons enflammés dans la nef, mais comme je le raconte, il se passa quelque
chose d’extraordinaire car, malgré la bonne volonté des Huguenots pour
alimenter le feu, l’incendie ne put ébranler la voûte en tuf de la chapelle. Le
sanctuaire était sauvé !
1) En 1829, un crépissage recouvrit à demi les huit croix de Malte,
lorsque des ouvriers restaurèrent l’édifice.
L’un d’entre eux s’adressa à moi avec une voix pleine de douceur
et des paroles de tendresse. Il me raconta qu’ils avaient été les gardiens du Col Saint-Jean et qu’ils étaient huit. Malheureusement, ils n’étaient pas assez nombreux pour se défendre contre les protestants. Evitant l’affrontement, ils durent négocier amèrement leur liberté. Voyant qu’ils avaient affaire à des moines dont la sagesse mérite le respect, les Huguenots les laissèrent partir sans armes et sans bagages, juste avec leurs servants et quelques chanoinesses, car la grandeur de l’âme, la valeur et toutes les autres qualités pouvaient être communes aux deux sexes. Après les pourparlers, ils abandonnèrent la commanderie et l’abbaye de Pinaudier, incluant l’hôpital et la résidence des chevaliers, la chapelle Saint-Léger, plus toutes les terres et les dépendances de l’Ordre. Les Huguenots mirent alors le feu à tout ce qui représentait l’église romaine, sauf l’hôpital.
- Attendez ! m’écriai-je.
CHAPITRE II
LE CAUCHEMAR
Une nuit, je fus
réveillé en sursaut après un épouvantable cauchemar qui me tourmenta pendant
des jours. Cet étrange phénomène commença dans une vaste salle voûtée, au
plafond soutenu par des arcs romans. Les images défilèrent devant moi tandis que j’observais la présence de
chevaliers habillés de noir qui veillaient leur compagnon disparu. J’assistais
en toute quiétude à cette cérémonie secrète, essayant de me rapprocher le plus
possible du défunt, de manière à apercevoir son visage. Dès que je fus près de lui, un grand effroi
s’empara de tout mon être, étant donné que ce mort… c’était moi ! Je peux
vous certifier que ces hommes sombrement vêtus ne s’intéressaient même pas à
moi puisqu’ils priaient pour l’autre, celui qui était moi !
Les décors
changèrent spontanément, et je me revis répétant sans cesse les mêmes gestes,
que j’avais déjà faits, il y a quelques mois de cela. La scène était toujours
la même puisque je me retrouvais devant
le même cimetière !... Celui de Saint-Léger !
Peu à peu, je
devinai l’existence des Hospitaliers qui me relatèrent les exploits de leurs
aïeuls lorsque fut créé l’Ordre de l’Hôpital de Saint-
Jean de Jérusalem, il y a de cela plusieurs siècles. Cependant, il
y avait aussi les autres, ceux que l’on nommait les Templiers. Ceux-là
attendaient dans l’ombre que la justice leur soit rendue, que l’église de Rome reconnaisse ses fautes et efface son mépris et sa haine
contre ces chevaliers dévoués qui servirent jusqu’à la fin une cause qu’ils
croyaient bonne et juste. Parfois lorsque je reposais, Hospitaliers et
Templiers envahissaient mon esprit afin de m’octroyer, par leur sagesse et leur
bonté, les enseignements nécessaires afin de continuer à écrire leur histoire.
Au petit jour, je décidai de me rendre à la chapelle
avec Jack, espérant découvrir ce que je cherchais depuis bien longtemps :
l’existence de sépultures anciennes. La première chose que je remarquai en
arrivant sur les lieux, c’est que la porte n’était pas entrebâillée comme
l’autre fois, elle était bien fermée, ce qui d’un côté me rassura.
Patiemment, je
commençai à sonder le sol avec une barre à mine tout autour de l’édifice. Elle
allait me servir ensuite de levier pour décoller les lourdes dalles et à
déplacer les blocs de grès. Maintes fois, je tombai sur ce que je croyais être
des pierres tombales, je plantai à côté de celles-ci de petits drapeaux de
marquage.
Cela me prit beaucoup de temps…
Mes efforts furent récompensés… En effet, ce fut vers
le milieu de l’après-midi que
je soulevai respectueusement les premières pierres
tumulaires qui portaient une
croix gravée… J’étais dans le carré des religieux !... Mais alors, ces
tombes n’appartenaient ni aux Templiers
ni aux Hospitaliers ! En
général, les uns comme les autres étaient inhumés dans leurs abbayes
respectives lorsqu’ils dépendaient d’une commanderie. A Pinaudier,
il y avait bien une abbaye qui appartenait
aux Chevaliers de Malte !... Pourtant les Templiers avaient aussi
fondé un établissement à Pinaudier, mais s’agissait-t-il à l’époque de leur
propre abbaye ?... Peut-être la même que celle des Hospitaliers ?
La réponse me fut donnée lorsque je redressai une
autre pierre sépulcrale, portant une
simple croix à branches égales gravée. Il s’agissait bien de la
signature des Templiers ! Avant les guerres de religion, seuls les hommes
d’église pouvaient être enterrés à Saint-Léger. Après le conflit, le site reçut
alors toutes les dépouilles mortelles des fidèles des environs, puis l’édifice
servit par la suite d’église paroissiale.
Je m’attaquai ensuite au carré des non religieux, et
cela ne fut pas une mince affaire !... Je venais de comprendre que la
commune avait entrepris, il y a quelques années, d’élargir le sentier qui
montait jusqu’à la chapelle. Ils creusèrent avec un bulldozer
l’étroit chemin, détruisant tombes et stèles sur une grande partie de l’ancien
cimetière. Les ossements se retrouvèrent pêle-mêle à hauteur de couches
différentes. Des tombes furent écrasées sous le poids de la machine et des
stèles funéraires se brisèrent. Les ouvriers retournèrent toutes les dalles
pour que les gens ne puissent pas voir les inscriptions. Certaines allaient
servir de marches pour faciliter la montée des personnes âgées, et leur
permettre d’arriver jusqu’à la chapelle sans encombre.
TROISIEME RENCONTRE AVEC LES CHEVALIERS DE MALTE
Les jours passèrent et mes recherches allèrent bon
train. Parfois je partageais mon maigre repas avec Jack, repas qu’il
engloutissait à toute vitesse. Nous rentrions
à la tombée de la nuit, et j’étais vraiment satisfait
et heureux d’avoir passé une bonne journée pleine d’émotion.
Un beau matin,
je retrouvai la porte de Saint-Léger entrouverte. Le même halo de brume
avait envahi une fois de plus l’intérieur de la chapelle. Jack, qui
m’accompagnait, se mit à grogner et à montrer les crocs. Je le rassurai tout en
le caressant, puis il s’apaisa et se coucha devant l’entrée. Je pénétrai alors
dans cet endroit sans a priori. Pendant que le nuage vaporeux se dissipait
rapidement, je retrouvai les mêmes chevaliers en prière, les mains jointes sur
le pommeau de l’épée, la garde dirigée vers l’autel.
- Mes frères !... Après tous ces siècles écoulés,
nous sommes toujours en présence de Dieu dans notre modeste demeure de Saint-Léger… Lui qui a donné son
amour pour tous les hommes et
particulièrement à nos frères et sœurs… Méditons en silence en
terminant par la prière des Chevaliers de l’Ordre de Malte…
L’homme s’interrompît un court instant, me jeta un
regard de bienveillance, puis reprit :
- « Ô Saint-Jean,
obtiens-nous une totale confiance en Dieu pour mieux comprendre que l’Amour est
plus fort que tout ! Obtiens-nous un cœur humble et simple pour découvrir
comme toi les richesses de l’Evangile ! Obtiens-nous un esprit attentif et
ouvert pour porter comme toi, dans une prière fraternelle, les appels de tous
les hommes, nos frères !... Amen. »
Le Chevalier s’avança alors vers moi et ajouta :
- Nous savons que tu es un homme respectable, et c’est
pour cela que nous nous sommes présentés à toi.
Nous savons aussi que tu cherches à connaître l’histoire des frères du
Temple qui ont passé une partie de leur vie dans ce haut lieu de prière.
Une fois que tu auras trouvé ce que tu désires, tu apprendras alors la vérité sur les Templiers ! Quand
tu quitteras cet endroit, tu remarqueras sur ta droite, à mi-hauteur de
l’escalier, une grosse pierre … Elle t’indiquera la voie à suivre !
Me rappelant les dernières paroles du Chevalier, je
descendis avec mon fidèle compagnon les trois premières marches où se trouvait
cette fameuse pierre. Incontestablement, elle ressemblait étrangement à une
borne gravée. J’en observai donc le moindre détail ; il est vrai que j’étais
passé devant très souvent sans me rendre compte qu’il y avait en définitive
deux inscriptions gravées sur ce grès.
La première représentait bien une croix templière à
branches égales, finement travaillée, la même que celle qui était gravée sur la
dalle mortuaire du carré des religieux.
Quant à la deuxième, elle était le
prolongement très grossier de la croix du Christ sur le Golgotha.
Ainsi, quelqu’un avait voulu effacer l’une des traces de l’Ordre du Temple.
Je jugeai que cette pierre n’était pas à sa place. Elle
avait sûrement été déplacée pour arriver à l’endroit où elle se trouve encore
aujourd’hui. Par qui ?... Pourquoi ?... Des questions qui resteront
peut-être sans réponses. Ah ! si les pierres pouvaient parler, elles nous
en raconteraient des choses ! D’après les dires du Chevalier de Malte, la
voie à suivre semblait être facile mais, pour moi, cela me paraissait bien
compromis. Comment cette borne
pouvait-elle me guider ? Cela n’allait pas être évident pour mener mes
investigations !
COMMANDERIE TEMPLIERE DE PINAUDIER
Les jours s’écoulèrent, et j’en étais au même point
avec la pierre. J’avais beau la considérer sous tous ses angles, il n’y avait
rien, pas la moindre autre trace. Je réfléchis longuement à la chose mais rien
de précis ne me venait à l’esprit, mis à part qu’après avoir reçu la charge en
1101 de protéger les voyageurs, les Templiers cédèrent aux Hospitaliers de
Saint-Jean de Jérusalem, leur établissement qu’ils avaient fondé à Pinaudier au
début du XIIIe siècle, plus précisément avant l’année 1234.
Que se passa t-il pour que les moines guerriers quittassent
leur résidence, après être restés plus d’un siècle dans la région ? En
tous les cas, ce ne fut assurément pas la froidure de l’hiver qui les motiva à
prendre une telle décision mais plutôt
leur éloignement et leur isolement par rapport à d’autres établissements. Ils
finirent alors par s’ennuyer et se démoraliser. Et pourtant, ils n’étaient pas
du tout restés inactifs pendant les premières années qui suivirent leur
arrivée.
Tout en redescendant le chemin qui mène au hameau de
Saint-Léger, je cogitais longuement sur cette fameuse résidence des Templiers
quand j’obtins enfin une excellente
réponse :
-
Merci, Jack ! hurlai-je, tandis que le brave chien me fixait de son regard
étonné.
C’était bien ça ! Après plus de cent trente
années passées à Pinaudier, les Templiers avaient donc légué aux Hospitaliers
leur résidence qui comprenait : la maison des chevaliers, la commanderie
avec son abbaye, l’auberge qui permettait aux voyageurs de se restaurer et de
se reposer*1et
les deux hameaux*2.
1 (Hôpital des
Hospitaliers)
2 (Nom donné par
les Hospitaliers pour le Col Saint-Jean).
CHAPITRE III
LE VISAGE DE GRES
Une
nuit, un rêve vint troubler le profond sommeil dans lequel je reposais… La
borne gravée se manifesta dans un décor identique à celui de Saint-Léger.
Lorsqu’elle fut près de ma personne, la pierre de grès se métamorphosa peu à
peu, prenant l’apparence d’un visage humain. Un vieil homme m’apparut alors, le
visage émacié, marqué par de profondes rides. Par moments ses yeux vitreux
devenaient si pénétrants que j’essayais de détourner mon regard, mais en vain,
une force inéluctable s’opposait à moi.
Il commença à me relater des faits qui s’étaient
produits à Pinaudier, avant que ses frères ne quittent définitivement la
commanderie, laissant sous bonne protection, les Vallées de la Blanche et de
l’Ubaye aux Hospitaliers.
- Ils ne pouvaient me ramener avec eux, étant donné
que je n’aurais jamais supporté le voyage !… J’étais alors très
malade ! Ils me laissèrent aux bons soins des moines de Saint-Jean qui, grâce à leurs efforts et à
la
volonté de Dieu, réussirent à me remettre sur pied après m’avoir guéri
de tous mes maux… Après quoi, je décidai de rester avec les Hospitaliers, dans
cette région que je connaissais si bien pour l’avoir parcourue durant de
nombreuses années. Vu mon âge avancé, ils me confièrent alors un petit
travail ; celui de vérifier les torchères, les enflammer et les étouffer
suivant les différentes heures de la journée. Néanmoins, certains endroits de
la commanderie devaient être constamment éclairés…
Son image est toujours présente en moi, et je me
rappelle encore les traits de son visage lorsqu’il venait fréquemment, les nuits, poursuivre son histoire… celle des
Templiers.
- Nous étions douze frères et nous gardions le Col
Saint-Jean. Parfois nous avions des déboires avec des brigands qui rançonnaient
sans cesse de pauvres voyageurs sur les chemins. Nous portions alors de grands coups
d’estoc et de taille sur ces impénitents et ces forcenés, maculant de leur sang
la neige fraîchement tombée de la veille. Même morts, ils furent pendus haut et
court à des arbres pour servir
d’exemple… Sans cesse nous les poursuivions, et cela devenait un jeu
pour nous de rivaliser avec l’ennemi comme au bon vieux temps, lorsque nous
étions en croisade contre les Infidèles. Nous n’avions pas peur de
mourir !... Dieu veillait sur nous ! Suite à notre vigilance et à
notre rapidité d’action, les coupe-jarrets, pris d’une grande frayeur, se
résignèrent à quitter les deux vallées pour ne plus revenir dans le pays.
N’ayant plus d’occupation guerrière, nous reprîmes notre vie monastique. La
solitude commença alors à nous peser… Les années passèrent et je me voyais
vieillir. Je sentais une immense fatigue me pénétrer… Je ne pouvais plus
veiller sur mes frères ni sur notre maison. Après la visite du Commandeur
Templier de province, je fus dispensé des matines, mais je devais chanter les
treize oraisons ordonnées tout en me reposant. « In
conspectu angelorum psallam tibi »*1 Corrections effectuées
1) - «Je chanterai
pour toi devant les anges »…
Le souvenir des croisades lui revenait à l’esprit, lui
qui participa à l’une d’entres elles. Il se rappelait aussi
avoir lu Fouchet de Chartres dans
son « Historia
Hierosolymitana », où il décrivait le prêche enflammé du pape
Urbain II appelant le 27 novembre 1095, l’Occident chrétien à la guerre sainte
contre les Infidèles.
DISCOURS DU PAPE URBAIN II
« Comme la plupart d’entre vous le
savent déjà, un peuple venu du Moyen Orient, les Turcs, s’est avancé jusqu’à la
Méditerranée, au détriment des terres des Chrétiens. (…) Beaucoup sont
tombés sous leurs coups ; beaucoup ont été réduits en esclavage. Ces Turcs
détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu. (…) Aussi je vous exhorte et je vous supplie, et ce
n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même, vous les hérauts du Christ… Je vous exhorte donc
de les persuader tous, chevaliers,
piétons, riches ou pauvres, par vos
fréquentes prédications, de se rendre à
temps au secours des chrétiens et de
repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont
ici, je le mande à ceux qui sont absents : le Christ l’ordonne. A tous
ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur
mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs
péchés sera accordée. Et je l’accorde à ceux qui participeront à ce voyage, en vertu
de l’autorité que je tiens de Dieu. Quelle honte, si un peuple aussi méprisé,
aussi dégradé, esclave des démons, l’emportait sur la nation qui s’adonne au
culte de Dieu et qui s’honore du nom de chrétienne ! Qu’ils aillent donc
au combat contre les infidèles, ceux-là qui jusqu’ici s’adonnaient à des
guerres privées et
abusives, au grand dam des fidèles ! Qu’ils soient désormais des
chevaliers du Christ, ceux-là qui n’étaient que des brigands ! Qu’ils
luttent maintenant, à bon droit, contre les barbares, ceux-là qui se battaient
contre leurs frères et leurs parents ! Ce sont les récompenses éternelles
qu’ils vont gagner, ceux qui se
faisaient mercenaires pour quelques misérables sous. Que ceux qui voudront
partir ne tardent pas. Qu’ils louent leurs biens, se procurent ce qui sera
nécessaire à leurs dépenses, et qu’ils se mettent en route, sous la conduite de
Dieu, aussitôt que l’hiver et le printemps seront passés.»
LE TRESOR DU TEMPLE DE SALOMON
- C’est ainsi, me dit-il, que répondaient à l’appel
pressant du pape, un très grand nombre de chevaliers, de manants et de
fanatiques religieux qui se croisèrent sans attendre l’ordre de partir. La
plupart d’entre eux ne revinrent jamais et périrent de la main des infidèles,
après avoir commis de nombreuses exactions
sur leur passage.
Cependant, une grande armée aux ardeurs belliqueuses se mettait en
marche, afin de libérer tous les lieux saints
de la Palestine. A l’issue de sièges mémorables, les Croisés prirent Edesse,
Antioche et Jérusalem, où les pillages et les massacres se succédèrent.
Baudouin I, comte d’Edesse fut proclamé roi de
la ville Sainte
de Jérusalem, à la
place de son frère, le preux Godefroy de Bouillon qui en avait refusé le
titre... Sous le règne de Baudouin II, cousin du premier comte d’Edesse, un
moine s’intéressa de très près au
Temple de Salomon ; c’était Bernard de Clairvaux, un cistercien qui gérait les affaires de
Dieu, comme si s’étaient les siennes, et qui possédait depuis longtemps aux
yeux de tous, un savoir particulièrement approfondi sur le Proche-Orient.
Ainsi, avec l’aide de ce dernier et le soutien du comte de Champagne, Hugues de
Payns Chevalier Champenois fonda avec ses huit compagnons en Terre Sainte,
l’Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon. Leur but
étant de protéger les pèlerins contre les infidèles, d’assurer la surveillance
de la route qui menait de Jaffa à Jérusalem, et de monter une garde vigilante
dans les lieux saints et le
Saint-Sépulcre. Pour cela, ils devaient respecter la règle de Saint-Augustin qui s’appuyait sur trois
vœux, chasteté, pauvreté et obéissance. Les plus importants d’entre eux
furent : Hugues de Payns qui deviendra plus tard, Grand-Maître de l’Ordre
du Temple, André de Montbard, Godefroy de Saint-Omer, Payen de Montdidier et
Archambaud de Saint-Amand… Dès leur arrivée à Jérusalem, Baudouin II fit
installer ces «Craignant Dieu » dans l’une des salles du palais, jouxtant l’ancienne
mosquée Al-Aqsa sur l’esplanade du Temple de Salomon. Une fois sur place, ils
ne participèrent à aucun combat et laissèrent sans vigilance la route pèlerine.
Ils menèrent pendant neuf années une vie religieuse auprès des chanoines de Saint-Augustin ; existence qui allait
changer à jamais la destinée de ces moines guerriers… Un jour, en nettoyant les
écuries, l’un d’entre eux constata qu’à certains endroits le sol était creux. Intrigué par cette hasardeuse
découverte, il commença à ôter quelques
pierres de pavement mal jointées, et appela ses compagnons à la
rescousse pour déblayer toute la
terre qu’ils réussirent à évacuer au fur et à mesure qu’ils creusaient profondément. Au bout de quelques mois de
travail acharné, ils entrevirent enfin le prodigieux réseau de galeries souterraines
qu’ils venaient de mettre au jour. Hugues de Payns et ses huit compagnons
n’étaient pas venus en Terre Sainte pour combattre, mais
pour découvrir l’emplacement du
trésor du Roi Salomon, et cela,
sans éveiller l’attention
des gens de leur entourage, car ils
avaient pour devoir de retrouver l’Arche d’Alliance et les Tables de la Loi …
La journée ils creusaient sans s’arrêter, se relayant dès que l’un d’entre eux
commençait à montrer des signes de fatigue. Certains passages conduisaient dans
des pièces complètement vidées de leurs biens par les
légions romaines de Titus. Pourtant dans l’une des galeries souterraines,
les Chevaliers du Christ réussirent à dégager une porte monumentale qui donnait
accès dans une très grande salle. De nombreuses colonnes parées du sceau de Salomon, supportaient une
enfilade de voûtes recouvertes de
mosaïques. Ils pénétrèrent dans ce lieu
sacré, où une odeur de renfermé pénétrait leurs
narines, tandis qu’ils découvraient
abasourdis des tombeaux dignes de recevoir de grands
rois. Une poussière épaisse recouvrait toute la
surface du sol et tous les objets
inestimables que pouvait
contenir l’une des parties du Temple de
Salomon. Sachant qu’ils avaient enfin atteint leur but, ils n’en crurent pas
leurs yeux et se mirent à rêver. Bernard de Clairvaux avait eu raison de croire
que le Temple de Salomon comprenant plusieurs salles n’avait pas entièrement
été pillé par les hordes romaines. Ils trouvèrent des reliques et des trésors
de toutes sortes qui les attendaient patiemment, car ces fils de lumière
allaient connaître richesse et gloire. Plusieurs monceaux constitués d’or et
d’argent provenant de prises de guerre étaient rassemblés çà et là. On pouvait y voir aussi du cristal,
des pièces de monnaie, de l’orfèvrerie, des bijoux, des rouleaux de parchemins,
la couronne des rois de Jérusalem, le chandelier à sept branches de Salomon,
l’Arche d’Alliance contenant les Tables de la Loi... Cependant, Hugues de Payns
remarqua parmi les tombes, une sépulture qui ne s’apparentait pas tout à fait
aux autres. Elle ne possédait aucun ornement décoratif qui puisse attirer le
regard au premier abord. Il sollicita l’aide de ses Frères pour déplacer la
dalle mortuaire, de façon à savoir qui était le personnage enseveli dedans. Le
squelette d’un homme de grande taille
apparut alors. A ses côtés se trouvaient des rouleaux de parchemin
prouvant sa descendance dans la lignée de David, et son appartenance au trône
de Jérusalem en tant que Roi des Juifs. A la lecture des manuscrits, tous les
chevaliers du Christ furent déconcertés et bouleversés par cette mystification
de l’église romaine, destinée à duper les peuples pour détourner à son profit
richesse et pouvoir. Quant à Jésus, c’était un simple mortel qui n’avait jamais
ressuscité, comme on voulait bien le faire croire, et malgré tout ce que l’on
pouvait en dire. Juste après sa mort, il fut descendu de la croix et mis au
tombeau. Voulant préserver sa postérité et sa précieuse identité, ses disciples
que l’église désigne par le mot « apôtres », déplacèrent sa dépouille pour la mettre en sûreté
dans le Temple de Salomon, parmi les siens... Jésus n’était rien d’autre qu’un
prophète ; le messager d’un Dieu Unique, mais éminemment humain qui
entreprit avec ses adeptes de libérer la Palestine de l’emprise romaine du
temps de Pilate, procurateur de Judée. Celui-ci le fit d’ailleurs crucifier pour avoir
tenté de soulever le peuple
contre l’autorité de Jérusalem, et
pour les crimes qu’il avait pu
commettre avec les Zélotes à
l’encontre des Romains. Il se battit contre le pouvoir en place et se
dressa aussi contre les pharisiens, afin que sa descendance soit reconnue et
que justice lui soit rendue…Ce jour là, alors que Hugues de Payns et André de
Montbard examinaient la tombe du Roi des
Juifs, afin d’apporter de nouveaux éléments sur la fausse résurrection de
celui-ci, les moines Chevaliers entreprirent de dégager précipitamment l’Arche
d’Alliance cachée sous un amoncellement d’objets précieux. André de Montbard,
l’oncle de Bernard de Clairvaux, les en empêcha juste à temps, en leur disant qu’il ne fallait surtout pas ouvrir l’Arche
pour prendre les Tables de la Loi, car
elles sont la connaissance
suprême que Yahvé, le Dieu
d’Israël donna à Moïse, et qu’elles constituaient la puissance du peuple
Hébreux… Il leur expliqua que lorsque Salomon succéda à David, il fit
construire le premier Temple en l’honneur de Yahvé, et mit l’Arche dans une salle secrète et obscure, où
elle y resta enfermée pendant de très nombreuses années. Puis vinrent les
invasions avec Nabuchodonosor, roi de
Babylone qui détruisit
entièrement la ville de Jérusalem. Il fallut attendre quelques siècles
pour que le roi de Perse, Cyrus le Grand, autorisât la reconstruction du
deuxième Temple de Salomon qui fut profané par la suite et réédifié. Alors
arrivèrent un jour, Titus et ses légions romaines qui mirent le feu au
troisième Temple, après avoir emporté une grosse partie du trésor se trouvant
dans les souterrains de la maison de Yahvé... Ainsi la coïncidence voulut que
les neuf Chevaliers trouvent l’emplacement du Temple de Salomon, et suivant les
indications et les recommandations de Bernard de Clairvaux, ils ne devaient en
aucun cas toucher ou ouvrir l’arche d’Alliance sous peine de mort brutale.
L’Arche était recouverte d’un voile de protection très épais, car elle était
porteuse d’une énergie divine. Seuls les Lévites, prêtres de l’ancien
royaume d’Israël pouvaient la
transporter à l’aide de barres en bois d’acacia plaquées d’or. Le coffre était
lui aussi fait en bois d’acacia plaqué d’or, et à chaque extrémité se trouvait
un chérubin d’or qui gardait le propitiatoire, par lequel le Seigneur pouvait
communiquer ses ordres aux enfants d’Israël. Dans l’Arche, il y avait les
pierres gravées
par la main de Dieu sur le Sinaï, mais aussi le livre de la Tora écrit
par Moïse... Tout cela, André de Montbard le savait. Il comprenait aussi que
les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon n’étant pas initiés,
allaient tôt ou tard être confrontés à une délicate situation. Avec Hugues de
Payns, ils se demandèrent comment allaient t-ils faire pour emmener l’Arche
sans encombre jusque dans le royaume de France, et, sans succomber au terrible
pouvoir qu’elle exerçait sur les hommes... Pendant les jours qui suivirent, mes
Frères analysèrent toutes les éventualités néfastes pouvant émaner de la
dangerosité de l’Arche. Ils prirent d’énormes précautions en se protégeant les
bras et les mains, et rajoutèrent plusieurs voiles de protection sur la demeure
du Seigneur. Ils glissèrent alors les longues barres d’acacia dans les anneaux
de l’Arche, prévus à cet effet, puis la soulevèrent et la déplacèrent
progressivement dans les couloirs, afin de la sortir du Temple de Salomon. Après tant d’années, la question était de
savoir si l’Arche abandonnée dans l’une des salles dérobées du Temple, était
toujours habitée par cette énergie divine que représentait Yahvé ? La
plupart d’entre eux considérèrent que la Maison du Seigneur avait perdu
tout son pouvoir. C’est alors que nos
Frères se rappelèrent des avertissements de Bernard de Clairvaux, concernant
l’interdiction absolue d’ouvrir le propitiatoire afin de récupérer les Tables
de la Loi. Sans toutefois éveiller les soupçons, l’Arche fut chargée sur une
charrette, pour la ramener dans le royaume de France et la déposer dans un
endroit secret que leur communiquerait Bernard de Clairvaux. Quatre d’entre eux
restèrent à Jérusalem, tandis que les autres prirent le chemin de la mer pour
débarquer dans le Midi, tout près de Narbonne. Ils emmenèrent aussi, quelques
coffres remplis d’inestimables trésors, et transportèrent la dépouille de Jésus
dans le plus grand secret.
« l’Eternel avait dit
à Moïse : l’Arche devra être en bois
d’acacia, sa longueur sera de
deux coudées et demie, sa largeur d’une coudée et demie, et sa hauteur d’une
coudée et demie. Tu la couvriras d’or
pur, tu la couvriras en dedans et en dehors,
et tu y feras une bordure d’or tout
autour. Tu fondras pour elle quatre anneaux d’or, et tu les placeras à ses
quatre coins, deux anneaux d’un côté et deux anneaux de l’autre côté. Tu feras
des barres en bois d’acacias, et tu les couvriras d’or. Tu passeras les barres
dans les anneaux sur les côtés de l’Arche, pour qu’elles servent à porter
l’Arche ; les barres resteront dans les anneaux de l’Arche, et n’en seront
point retirées. Tu mettras dans l’Arche le témoignage, que je te donnerai. Tu
feras un propitiatoire d’or pur ; sa longueur sera de deux coudées et demie,
et sa largeur d’une coudée et demie. Tu feras deux chérubins d’or, tu les feras
d’or battu, aux deux extrémités du propitiatoire ; fais un chérubin à
l’une des extrémités et un chérubin à l’autre extrémité ; vous ferez
les chérubins sortant du propitiatoire à
ses deux extrémités. Les chérubins étendront les ailes par-dessus, couvrant de
leurs ailes le propitiatoire, et se faisant face l’un à l’autre ; les
chérubins auront la face tournée vers le propitiatoire. Tu mettras le
propitiatoire sur l’Arche, et tu mettras dans l’Arche le témoignage, que je te
donnerai. C’est là que je me rencontrerai avec toi ; du haut du
propitiatoire, entre les deux chérubins placés sur l’Arche du témoignage, je te
donnerai alors tous mes ordres pour les enfants d’Israël. »
http://boutic.annik.1tpe.fr
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