La malédiction des pharaons
par Lucien Barnier
Cette sculpture du XIIème siècle av. J.-C. évoque d'une façon Saisissante la personnalité de Tout-AnkHamon à 18 ans.
L'Unesco, on le sait, s'est préoccupée de sauver les inestimables
monuments égyptiens que menace l'inondation artificielle du Nil, causée
par l'édification du prochain Barrage dont le colonel Nasser a fait
l'une des bases de sa politique. A cette Occasion, on se pose de nouveau
l'étrange et hallucinante question de la malédiction des Pharaons. Pour
l'Histoire pour Taus, Lucien Barnier fait le point du problème.
Otto Neubert, l'archéologue allemand, est-il un condamné à mort en
sursis? Otto Neubert était de ce groupe de dix-neuf personnes qui, le
vendredi 17 février 1923, assistèrent à l'ouverture du tombeau de
Tout-AnkHamon. Une seule d'entre ces dix-neuf personnes est décédée de
mort naturelle. Dix-sept autres ont disparu dans des conditions
mystérieuses. Otto Neubert survit encore, mais il est parfois obsédé par
L'avertissement gravé au fronton de la sépulture royale : « La mort
touchera de ses Ailes celui qui dérangera le Pharaon ».
Otto Neubert sera-t-il la dernière victime d'une malédiction qui
aurait déjà frappé dix-sept de ses compagnons par-delà trente-trois
siècles ?
Nous sommes le 24 novembre 1922. Il fait encore nuit sur le Nil,
dans la Vallée des rois, à 740 kilomètres en amont du Caire. En ces
lieux, les Egyptiens de l'Antiquité Avaient édifié leur cité des Morts.
Ici retentirent les hymnes sacrés des prêtres ; et c'est, ce soir du 24
novembre 1922, le silence qui pèse, un silence traversé parfois des
hululements de la chouette et des jappements du chacal.
Dans ce décor étrange de tombeaux, cerné de montagnes et de gorges,
une baraque en planches abrite trois personnes qui attendent
impatiemment le lever du jour : Lord carnarvon, riche industriel
britannique, qui finance une expédition archéologique, Lady evelyn,
fille de lord Carnarvon, et un jeune égyptologue déjà réputé : Howard
Carter. dans cette barque se déroule une dramatique conversation. C'est
lord Carnarvon qui, tourné vers Carter, lui demande
- Très franchement, Carter, croyez-vous que nous ayons raison de
nous obstiner? De plus en plus, j'ai le sentiment que nos efforts sont
parfaitement inutiles. Voilà cinq Années que nous vivons comme des
parias dans ce désert de déblais et de tombes... Je crois que nous
ferions mieux...
Carter coupe sèchement lord Carnarvon
- Nous ferions mieux d'abandonner ?... Sûrement pas, lord
Carnarvon. La victoire est proche et j'ai la certitude que les marches
d'escalier que nous venons de découvrir nous conduiront
vraisemblablement auprès de Tout-Ank-Hamon.
Alors Carnarvon, le visage ravagé par tant d'efforts et tant d'incertitudes, se tourne vers Carter
- Mais à quel prix, Carter, remporterons-nous la victoire ?
J'étouffe à l'intérieur des tombes ; la poussière des catacombes me
brûle les yeux. L'odeur des momies m'est devenue intolérable... Et puis
qui sait... ? Si nous n'avions pas le droit de violer ces retraites de
la mort ?
C'est désormais un climat de crainte qui règne sur le chantier où
Carter précipite fébrilement le rythme des travaux. Un matin, vers onze
heures, Carter crie aux Ouvriers
- Enlevez les cailloux qui bloquent la seconde porte... Lord
Carnarvon, voici le grand moment, voulez-vous me passer la barre de fer,
afin que j'agrandisse l'ouverture.
Dix-huit personnes guettent fébrilement l'événement qui va surgir
par-delà les millénaires. Carter est nerveux. Sa main tremblante tient
une bougie. De l'air S'échappe par l'ouverture et fait vaciller la
flamme.
Dramatique confrontation
Lord Carnarvon est impatient et il interroge d'un ton sec
- Que distinguez-vous ?
Carter lui répond comme s'il vivait en un rêve
- Je ne vois rien encore..., si, les contours ; et maintenant des
ombres... puis des couleurs... enfin, des choses étonnantes, des têtes
d'animaux qui se découpent en Ombres grimaçantes sur les murs de pierre.
Carter ne peut plus parler ; il a devant lui un spectacle
hallucinant : deux statues se fixent face à face, vêtues de pagnes et
chaussées de sandales d'or ; sur leur front, Brille le serpent sacré.
Immobile, Carter contemple le mur qui a été édifié entre les deux
gardiens de roc. Un combat épique déchire cet homme. L'être humain
entend résonner en lui la voix de ce fellah qui, l'autre jour, en
apprenant la découverte du tombeau, a dit
- Ces gens vont trouver de l'or... mais ils trouveront aussi la mort.
Carter se répète les avertissements venus de tous côtés et qui
l'ont prévenu de la malédiction, lui ont parlé du sacrilège ; et le
savant, l'égyptologue Carter s'insurge. carter aborde alors son travail
avec un esprit de sérieux, sans ce frisson d'horreur dont le charme
mystérieux s'empare si aisément de la foule. A ce moment même, il
n'écoute plus les contes à dormir debout ; il essaie de se persuader que
le rituel funéraire des Egyptiens ne comportait aucune malédiction pour
les vivants.
L'obsession du sacrilège
Et puis, le sort en est jeté. Le vendredi 17 février 1923, dix-neuf
personnes sont rassemblées devant une porte qui est scellée. Les
projecteurs électriques éclaboussent de lumière ces cubes de pierre qui,
voilà trois mille ans, furent empilés en une sorte de prière funèbre.
Carter enlève lentement une première épaisseur de pierres. Son disciple
Callender avance un projecteur. Carter a devant les yeux un mur éclatant
qui Bouche toute l'entrée. C'est une muraille d'or massif qui apparaît.
Lord Carnarvon et Lacau entrent immédiatement à la suite de Carter. Ils
voient le linceul de lin dont les pans retombent sur le sarcophage.
Humbles, bouleversés, les voici en présence du pharaon. Ils restent là,
trois heures durant, admiratifs, éblouis, tourmentés par L'obsession du
sacrilège. Au pied du cercueuil de quartz jaune, une déesse étend les
Bras et les ailes en un geste protecteur, comme pour écarter les intrus.
Carter et lord Carnarvon regardent longuement cette image, et, la
nuit tombée sur le camp de l'expédition, ils reconstituent le film de
cette journée fantastique.
Carter est brisé de fatigue et d'émotion. Pourtant son visage
s'allume parfois d'une Singulière émotion. Quel extraordinaire
rendez-vous I
- Lorsque je suis sorti de la tombe et que j'ai vu les dernières
lueurs du jour, il m'a Semblé que la vallée elle-même avait changé et
qu'elle était éclairée d'une étrange Lumière.
Lord Carnarvon écoute ces confidences avec une sorte de recueillèment religieux et il demande à Carter
- Qu'est-ce qui vous a le plus ému ?
- Je crois que c'est cette humble couronne de fleurs des champs
desséchées. Au milieu de tant de richesses, c'était peut-être le seul
petit signe humain... le dernier adieu de la jeune veuve à son époux
bien aimé.
Est-ce le rappel de ce témoignage émouvant qui a soudain ébranlé
les nerfs de carnarvon, mais celui-ci se dresse et tient, cet étrange
discours à Carter
- J'ai vu la mort de très près, vous le savez, Carter, mais, jamais
je ne me suis rappelé, avec autant de saisissement que tout à l'heure,
les moments où j'ai failli quitter le monde des vivants... Je ne peux,
plus supporter cette vision de tout-Ank-Hamon, surgissant de son linceul
de lin. Carter, nous avons violé une demeure Sacrée. Tout dans cette
tombe nous reprochait notre audace jusqu'à ce modeste Appui-nuque en fer
et son inscription : « Réveille-toi de cet évanouissement dans Lequel
tu te trouves. Tu triompheras de tout ce qu'on t'a fait... » Que penser
de tout ce que nous venons de faire, Carter
Tandis que la kermesse s'installe à l'embouchure du Nil...
Ce que viennent de faire Carter et lord Carnarvon : la découverte
de Tout-Ank-Hamon, est le jour même annoncé aux carrefours de toutes les
capitales. Les manchettes des Journaux proclament
« Les savants ont exhumé la dépouille de Tout-Ank-Hamon. La
quantité de bijoux dont le roi égyptien était couvert dépasse
l'imagination. » Alors, des hommes de notre temps veulent, eux aussi,
contempler le visage, doux et paisible, d'un roi qui a défié trois
millénaires. Par milliers, les touristes affluent en Egypte ; de toutes
parts, ils Accourent pour voir, eux aussi, le royal visage du Pharaon.
Tandis que les paquebots Accostent à l'embouchure du Nil, dans une
atmosphère de joyeuse kermesse, à trois mille kilomètres de là, dans un
château de la campagne anglaise, lord Carnarvon, qui fut L'initiateur de
la fabuleuse découverte, agonise sur son lit. Il délire en prononçant
Le nom de Tout-AnkHamon, et dans un moment de lucidité, il s'écrie
- C'est fini, j'ai entendu l'appel et je me prépare.
Au même instant, la lumière s'éteint dans toute la maison.
L'infirmière, épouvantée, S'enfuit de la chambre. Lorsqu'elle revient,
dix minutes plus tard, lord Carnarvon est mort. Une mystérieuse tragédie
commence et avec elle commence une énigme. Six mois Après la mort de
lord Carnarvon, son jeune frère, le Colonel Aubrey Herbert, meurt a Son
tour. Très peu de temps après, l'infirmière qui avait soigné lord
Carnarvon décède dans des conditions inexpliquées. Est-ce véritablement
le hasard ? Ensuite s'éteint le Secrétaire de Carter, Richard Bathell.
Trois mois plus tard, son père le suit.
De ses ailes, la mort...
Au frontispice de la sépulture de Tout-Ank-Hamon était gravé cet
avertissement : « La mort touchera de ses ailes celui qui dérangera le
Pharaon ». De ses ailes, la mort a effectivement touché tous ceux qui
furent présents à l'ouverture du tombeau, ce vendredi 17 février 1923.
Alors une rubrique s'installe dans la presse mondiale. Elle a pour titre
« La vengeance du Pharaon». Comme un bulletin nécrologique
régulier, cette rubrique tient registre des victimes sucessives : le
professeur Lafleur, ami intime de Carter, Le savant Arthur Mace, le
docteur White. Le cas du docteur White est un des plus Singuliers. Il
était un collaborateur parmi les plus zélés de Carter. Il fut un des
premiers à pénétrer dans la chambre mortuaire. En sortant, il ressentit
un malaise et, depuis ce jour, souffrit d'une dépression nerveuse. Au
grand désespoir de sa famille, quelques jours après, il se pendit. Dans
une lettre d'adieu, il a écrit : « J'ai Succombé à une malédiction qui
m'a forcé à disparaître ».
Avant de remettre la momie de Tout-Ank-Hamon au musée du Caire, un
savant, du nom de Archibald Douglas Reed, reçut l'ordre de radiographier
cette momie afin de voir s'il n'y avait pas par hasard des corps
étrangers à l'intérieur de la dépouille. Reed se mit à l'oeuvre. Et, dès
le lendemain, il tomba malade. Cet homme de constitution robuste fut
emporté en quelques jours. A la liste funeste des victimes, d'année en
année, sont venus s'ajouter les noms du docteur Breastead, du savant
Harkness, des professeurs vinlock, Allan Gardiner, Foucart, ainsi que
les chercheurs Jay Gould, et. Joel Woof. Les savants Astor, Bruyère,
Callender, Lucas, Bathell, et bien d'autres qui, tous, Avaient été mêlés
à l'affaire de Tout-Ank-Hamon sont morts jeunes et certainement
prématurément.
Alors, que penser?
Arrêtons là ce chapitre d'histoire qui commence comme un conte des
Mille et Une Nuits et s'achève à la manière d'un procès-verbal de
greffier. La découverte du tombeau de tout-Ank-Hamon, en présence de
dix-neuf personnes, est un fait. C'est aussi un fait que dix-sept de ces
personnes ont disparu dans des conditions le plus souvent étranges.
mais ces dix-sept personnes sont-elles des victimes expiatoires, qui
auraient été poursuivies en quelque lieu où elles se fussent réfugiées,
par l'implacable vengeance des Pharaons ?
- Nous sommes des victimes affirment dans leur dernier adieu lord Carnarvon et Evelyn White.
- Peut-être avons-nous été condamnés en franchissant l'enceinte
sacrée de la sépulture royale, pense le dernier survivant, Otto Neubert.
- Non, il n'y a pas de malédiction des Pharaons. Cette légende est
une forme dégénérée des histoires de fantômes. proclame Howard Carter
avant de s'éteindre à l'âge de 70 Ans.
De l'éminent témoignage de Carter, se saisissent nombre de savants
qui nous expliquent : il est vrai que lord Carnarvon mourut un mois et
demi après l'exhumation de la momie, mais il avait été piqué par un
scorpion. Quant au suicide d'Evelyn White, il faut le considérer comme
le tragique dénouement dune dépression nerveuse qui avait épuisé cet
homme soumis au rude travail des fouilles et de l'exploration dans des
conditions particulièrement harassantes.
Nous pouvons admettre, en effet, que le moral de lord Carnarvon et
du professeur Evelyn White ait été atteint ; autrement dit, ces hommes
ont pu céder à l'envoûtement des récits fantastiques qui étaient
racontés par les fellah pendant les veillées au camp des archéologues
dans la Vallée des Rois. Mais quand bien même on admettrait cet
Argument, on n'expliquerait pas pour autant la mort foudroyante d'Arthur
Mace, ni celle d'Archibald Douglas Reed, qui fut emporté en huit jours.
Non, on n'expliquerait. pas cette stupéfiante succession de dix-sept
décès. Estce à dire qu'on ne saura jamais découvrir des causes logiques,
scientifiques à cette irritante énigme ?
Je ne le crois pas. Peut être les murs du tombeau royal étaient-ils
enduits de poison, que l'atmosphère sèche des sépultures hermétiquement
closes aurait protégé contre toute Altération. C'est une explication
possible. Ou bien, les savants américains d'Oak Ridge Ont-ils raison de
supposer que les Egyptiens auraient connu le secret atomique et qu'ils
avaient disposé près de leurs morts des substances radioactives ? C'est
une Autre explication possible.
Enfin, dernière en date des explications scientifiques proposées,
celle du docteur geoffrey Dean de l'Hôpital de Port-Elizabeth, en
Afrique du Sud. Cet homme de science croit que les dix-sept égyptologues
morts mystérieusement ne doivent pas être considérés comme les victimes
d'une vengeance sacrée, mais comme les victimes d'une maladie :
l'histoplasmosis, qui est provoquée par un virus se développant. parmi
les excréments des chauves-souris. Ce serait une explication admissible.
Les salles Souterraines des pyramides égyptiennes sont effectivement
des repaires de chauves-souris. Mais il n'y avait aucune chauve-souris
dans la sépulture de tout-Ank-Hamon pour la raison bien simple que cette
sépulture était rigoureusement murée par d'énormes cubes de pierre
parfaitement ajustés. Et on en était là de cette Obsédante énigme des
Pharaons ; quand, le 11 mars 1959, quelqu'un aperçut un cadavre flottant
sur le Nil. Le nom du mort : Zakaria Gonein. La profession de ce
désespéré : Archéologues. Signe distinctif : a découvert la pyramide de
Sakkara, sous les sables du désert. Causes de la mort suicide.
Y a-t-il en fait une malédiction des pharaons?
C'est une énigme, non résolue.