mercredi 18 septembre 2013


Mourir en Orient.

Mourir en Orient...
Au Moyen Age, se pose le cas des chevaliers morts hors du Royaume.
L’art de l’embaumement a disparu, et lorsque l’on évoque que la dépouille d’un chevalier était « apportée », il faut entendre par cette expression que les ossements seuls étaient récupérés. Les corps étaient mis dans une chaudière et on les faisait bouillir jusqu’à ce que les chairs se fussent détachées des os.
Cet usage fut condamné en l’an 1300 par Boniface VIII qu’il qualifia de « détestable barbarie »...

mardi 17 septembre 2013

Le maître de Flandre.

LE MAÎTRE DE FLANDRE - Texte de Rudy Cambier
Nous vous proposons de retrouver régulièrement, en feuilleton, sur notre page facebook ce texte inédit:

Tout est arrivé par la faute d'Arnold et à cause d'une bouteille de vin à deux euros. À passé cinquante piges, Arnold s'en laissait encore conter sur la bibine. Enveloppé, emmélassé, ensucré par les astuces du négoce, il confondait l'art et le commerce, la valeur et le prix. Décidément, il fallait que ça change, et ça changea.
En ce début de la décennie 1990, nous ratiocinions donc sur le prix du vin. Petit à petit s'imposait le constat bien connu que les bouteilles de vin sont comme les femmes : les meilleures ne sont jamais celles dont parlent les gazettes et celles qui coûtent cher ne valent jamais leur prix. Je catéchisais le catéchumène du jus de la treille : "Le poids des deniers que coûte la bouteille de vin est proportionnel, non pas à la saveur du liquide qui glougloute dedans, mais à la profondeur de l'imbécillité du snob qui épate sa tablée. Dans le domaine du vin, comme en toute matière non vitale, les moutons de Panurge engrais-sent les spéculateurs. Prenons l'exemple de la clique qui vit du vin de luxe et, dans cette bande, tenons-nous-en aux propriétaires fonciers : supposons qu'on se mette à dire la vérité, supposons que le consom-mateur s'en réfère désormais au jugement du bon sens, imaginons que l'intelligence, soudain, commande. Dans la semaine qui suivra cette re-création du monde, quelques dizaines de milliardaires vont se re-trouver multi-multi-millionnaires, autrement dit, les très-très-très ri-ches du Bordelais et de la Champagne ne seront plus que très-très ri-ches. Quel malheur ! Oui, c'est le combat de la bonne gouvernance contre le racket des gros fermiers. Faut-il vraiment encore donner tant de subsides, c'est-à-dire l'argent des pauvres à des gaillards qui gagnent déjà 30, 40, 50, 100 fois, 1000 fois le SMIG ?" Ainsi devi-saient deux copains, Arnold Geernaert et Rudy Cambier, à Ransart, dans la banlieue de Charleroi en Belgique.
Dans la vie, tenir le bon discours est déjà bien, avoir la connaissance active est encore mieux, prôner le comportement adéquat est la voie du salut, poser l'action opportune devrait être la finalité universelle. Obéissant à nos propres préceptes, nous avions donc résolu de gravir le long chemin de la sanctification pinardière et, vu que l'expérience est la mère de l'intelligence et la source de la vraie science, nous expé-rimentions. Modestement, à deux, dans la cuisine d'Arnold. Des preu-ves existent et vous avez vu une photo qui m'incrimine, mais on s'est bien gardé de laisser à ma portée les documents prouvant la complicité – qui fut pourtant active, allègre et persévérante – de l'autre individu.
Ce samedi après-midi-là, nous tastevinions donc une bouteille pour travailleurs vendue en réclame par une moyenne surface du Pays Noir, un pur nectar qui ne pouvait pas se targuer d'un nom précieux et qui nous avait coûté 85 francs belges de l'époque, deux euros et la moitié d'une chique. Tout à coup, sans la moindre raison raisonnable, Arnold me demanda : "Et Nostradamus, qu'est-ce que tu en penses ?" ...
( à suivre... )
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lundi 16 septembre 2013

La caravelle espagnole.

Santa Maria: Vous ne rêvez, pas c'est bien elle, la caravelle Espagnol...
Cette image est disponible aux États-Unis Bibliothèque du Congrès Prints s 'and Photographs division de sous l'ID numérique det.4a15958 éditée en [1907]j 'ai bien dit en l'an 1907... Fichier numérique à partir intermédiaire rouleau de fichier
http://hdl.loc.gov/loc.pnp/det.4a15958

dimanche 15 septembre 2013

Nostradamus.

  • Ma famille est originaire de Quiévrain ; aussi nos armoiries perpétuent-elles le blason des seigneurs de cette ville, d'or au chef de gueules et d'argent, bandé de six pièces.

    Mon père, Jehan Despretz, était châtelain de Lessines et de Flobecq, où il représentait les droits et les intérêts de son suzerain, Jean d'Audenarde, auquel notre famille est apparentée ; ce dernier était le fils d'Arnould d'Audenarde et d'Alix du Rosoit, qui avaient permis la fondation de l'Hôpital Notre-Dame de Lessines.
    Mon nom de baptême est Yvain. 

    Après quelques études, j’accomplis une longue carrière d’ingénieur militaire, d’abord dans l’ost royal, car mon père connaissait Gilles le Brun de Trazegnies, un hennuyer, qui est resté longtemps le commandant en chef de l'armée du Roi de France, Saint Louis ; ainsi suis-je devenu un spécialiste du siège des forteresses, des machines de guerre, des ponts, des mines, et des autres travaux ; par les bonnes grâces de Charles 1er d'Anjou, le frère de Saint Louis, et de Robert de Béthune, le fils aîné du Comte de Flandre, Gui de Dampierre, je parcours pendant une vingtaine d’années, la France, l'Italie, les Balkans, la Hongrie, l’Empire Byzantin, la Terre Sainte et même le Nord de l'égypte et la Tunisie, tantôt comme ingénieur au milieu des armées, tantôt comme chargé de mission, parce que je pratiquais une dizaine de langues.

    Puis, je suis entré à l’Université de Paris, où étudiait également un compatriote, Gilles, ou si vous préférez, Aegidius de Lessinis, un scientifique  complet autant qu’un théologien puissant ; c’est ainsi qu’il a assuré la défense de Saint Thomas d’Aquin devant le tribunal de l’inquisition, suite à l’accusation d’hérésie portée contre lui par l’Evêque de Paris.

    Un peu plus tard, j’ai choisi de devenir simple moine dans l'Abbaye cistercienne de Cambron ; c’était, après la mort de mon père, le jour de la Fête de Sainte Marie-Madeleine, le 22 juillet 1284, bien que je sois le seul garçon de ma branche familiale, pour échapper au mariage auquel il voulait me contraindre ; désormais, le monde ne me connaîtrait plus que sous le nom de mon lieu de naissance ; en latin, cela donne : Ivo de Lessinis ; c’était contre l’avis de mère, Aliz, et de mes trois sœurs ; l’une d’elles, Marie, remplissait en 1309 les fonctions d'abbesse du Couvent de Groeninghe, près de Courtrai ; c’est en face de ses murs, dans la plaine marécageuse, que s'était déroulée, le 11 juillet 1302, la fameuse Bataille des Eperons d'Or, où une grande partie des chevaliers français ont été massacrés par les combattants flamands, peu au fait des us et coutumes de la guerre...

    Ainsi ai-je mis mes compétences professionnelles d’ingénieur, d'architecte et d'astronome au service de l'abbaye, pour le compte de laquelle j’ai dirigé plusieurs grands chantiers, comme la construction d'une église et l’assèchement des polders que possédaient les moines près de Lampernesse, en même temps que j’ai écrit plusieurs ouvrages théologiques et scientifiques.

    Ainsi ai-je mené une existence tranquille jusqu’en 1307, lors de la visite du frère de l’abbé, Jacques de Montigny, qui avait été élu à cette charge en 1293 ; c’était au début du printemps, mais c’est une autre histoire…

    Les moines m’ont élu comme prieur en 1315 ; après la mort du nouvel abbé, bien que je sois déjà très avancé en âge, j’ai été le quinzième à être élevé à cette dignité. Aussi suis-je décédé l’année suivante, le 9 mars 1330.

    Vous pouvez encore voir l’inscription qui figurait dans la salle du chapitre : Anno Domini 1329, 7° idus Martii, obiit Dnus Ivo, 15 abbas de Camberona.

    Après mon élection, j’ai dû choisir mon blason de fonction : un écu fascé de gueules et d'or, avec une clef d'argent en pal, inspirées des armoiries de ma famille, pour les couleurs, et, pour la clé, du sceau échevinal de ma ville natale, dont l’église est dédiée à Saint Pierre ; des deux clés de cet apôtre, devenu le serviteur des serviteurs du Christ sur lequel a été bâtie son église, je n’en ai choisi qu’une, mais d’aucuns n’affirment-ils pas que la clef est le symbole du mystère à éclaircir, de l'énigme à résoudre, du secret à percer, de l’action à entreprendre et des étapes difficiles qui peuvent conduire à la découverte d’un trésor caché ?
    Aussi les échevins de ma ville natale ont-ils sans doute eu la bonne idée de reprendre mes armoiries sur leur nouveau sceau officiel, donnant à la Capital des Terres de Débat un blason qui s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui…





    Ses armoiries personnelles, présentant un écu fascé de gueules et d'or, avec une clef d'argent en pal, seront reprises plus tard par la Ville de Lessines, dont les échevins utilisaient auparavant un sceau comportant l'effigie de Saint Pierre, tenant une clef et assis sous un porche antique. Suite à son élection en qualité d'abbé, Yves de Lessines avait donc choisi le blason de son suzerain, le Seigneur d'Audenarde, avec lequel son père entretenait vraisemblablement un lien familial, et repris l'élément emblématique du patron de sa ville natale.

    Il ne reste plus grand chose des bâtiments du monastère de cette époque, puisque le domaine a été transformé en carrière de pierres après la révolution française; aujourd'hui, à l'intérieur de ses anciens murs, les activités d'un parc de loisirs, "Pairi Daiza", se déploient parmi les rares ruines historiques qui subsistent encore...





    Un certain Michel de Nostredame naît le 21 décembre 1503 à Saint-Rémy-de-Provence; s’il est plus connu sous la version latine de son patronyme, le surnom utilisé par les membres de sa famille n'en demeure pas moins Michelet, puisqu’il est le cadet de la fratrie.

    C’est son grand père paternel, Guy de Gassonet, d'origine juive, qui avait choisi l'identité nouvelle de Pierre de Nostredame, lors de sa conversion au catholicisme, une cinquantaine d'années auparavant; dans la foulée, il avait répudié son épouse, qui ne voulait pas quitter le judaïsme, pour en marier une autre, Blanche de Sainte-Marie...

    Après avoir tenté d'obtenir à Avignon un diplôme de bachelier ès arts, Michel de Nostredame doit quitter l'université un an plus tard à cause de l'arrivée de la peste; ayant pratiqué comme apothicaire, il s'inscrit neuf ans plus tard à la Faculté de Montpellier en vue d'obtenir sa maîtrise en médecine; il se fait certes connaître grâce aux remèdes qu'il a mis au point, mais il est bientôt expulsé pour avoir exercé ce métier interdit par les statuts de l'université; son inscription et sa radiation, en 1529, restent les seules traces de ses exploits académiques... Quatre ans plus tard, il s'établit à Agen, où il pratique les soins à domicile; il s'y marie; assez vite, ses activités douteuses et ses idées progressistes inquiètent les autorités... Convoqué par l'Inquisition pour répondre d'hérésie, il se garde bien de se présenter devant le tribunal ecclésiastique... Aussi voyage-t-il... C'est ainsi qu'il se retrouve à Bordeaux vers 1539, à nouveau poursuivi par le Saint Office, de sorte qu'il s'y dirige vers le nord... Dans le port, il est facile de s'embarquer par mer vers la côte flamande... Ses pérégrinations conduisent notre homme jusqu'à l'Abbaye de Cambron.

    Le monastère est prospère, en particulier grâce au culte de Notre-Dame...

    En 1322 s'était produit un incident d'une gravité extrême : une image de la Vierge Marie, quoique tracée sur le mur de la salle des hôtes à l'aide de simple traits, avait été profanée par un agent fiscal du Comte de Hainaut, qui était son parrain ; d'origine juive, l'homme s'était converti au christianisme ; ainsi avait-il été baptisé sous le prénom de Guillaume, qui se dit encore "Willame" ou "Willemet". Seul juif signalé à Mons lors de premières vagues d’immigration consécutives à l’expulsion des juifs de France par Philippe le Bel en 1306, les comptes de la ville en parlent en 1320 comme de "Willaumes le Crestien", tandis que les rôles de bourgeoisie mentionnent sans discontinuer sa résidence dans le Quartier de la Rue d’Havré ; il avait farouchement nié les accusations portées contre lui par les moines ; à défaut de preuve, il ne fut guère inquiété, jusqu'à ce qu’un forgeron d’Estinnes, Jean Flamens (ou, selon son métier : Jean le "febvre") raconte qu’un ange, puis la Vierge, lui étaient apparus et lui avaient demandé de faire rendre justice ; selon l'usage, ce dernier provoqua le converti en duel judiciaire ; moyen de preuve décisif, le combat tourna à son avantage, sans doute à la faveur de sa constitution physique robuste. Quoiqu'il en soit, Guillaume n'avait-il pas avoué son méfait avant de mourir par le feu sur la Place du Parc ?

    Toute l’affaire avait fait grand bruit. La littérature s'est emparée du sacrilège. Le récit primitif a été progressivement enjolivé. Au 14ème siècle, déjà, le sacrilège se retrouve dans plusieurs ouvrages.
    L’annaliste Guillelmus Procurator rapporte avec fidélité, quelques années seulement après les événements, le récit contenu dans une lettre écrite un an après les faits, le 27 mai 1327, par Nicolas Delhove, Abbé de Cambron, qui prie tous les évêques et les prélats de bien vouloir accorder des indulgences aux personnes qui visiteront la chapelle érigée dans l'enceinte du monastère en l'honneur de la Vierge et en réparations du sacrilège de Guillaume le Juif.

    Cette lettre sera paraphrasée en 1329 par une bulle d’indulgence du Pape Jean II pour cette chapelle.

    C'est qu'en mémoire des événements miraculeux, une procession solennelle avait été instituée le troisième dimanche après Pâques et la construction d’une chapelle avait été projetée à l'endroit où était peinte l'image qui avait été l'objet des fureurs du juif sacrilège ; Nicolas Delhove avait à peine réuni quelques matériaux pour la construction de ce bâtiment avant sa mort, en 1328 ; c’est son successeur, Yves de Lessines qui en fit jeter les fondations; en tant que prieur, il avait sans doute contribué à en dresser les plans, mais son décès ne lui permit pas de voir s'accomplir cette entreprise.

    Grâce aux offrandes abondantes que déposaient les fidèles, le sanctuaire ne tarda cependant à pas à être achevé.

    Quelques années plus tard, en 1346, Johannes de Beka publie à Utrecht une chronique dans laquelle il raconte l’histoire des évêques de la ville et des comtes de Hollande, qui sont également comtes de Hainaut ; il y parle du sacrilège en ces termes : Guillaume "vit une belle peinture de la Vierge qu’il frappa de sa lance... mais un ruisseau de sang commença à couler de la cicatrice de la blessure". L’élément miraculeux intervient donc dès cette époque ; en dehors du sang, très abondant, le récit reste assez sobre et proche du précédent.

    Deux récits anonymes, l’un en prose, l’autre en vers, du milieu du siècle, dont seuls quelques passages ont été conservé, grâce à l’Abbé Antoine Le Waitte, qui publia en 1672 son histoire de l’Abbaye de Cambron, font également apparaître les gouttes de sang sortant des blessures de la Vierge et de nombreux détails sur le duel.

    En 1534, Jacques Lessabée donne un récit encore assez sobre, faisant allusion au sang et au duel, en insistant sur le rôle déterminant de la Providence. Par contre, dans sa "Chronique d’Hirsauge", Jean Trithème répète le récit de Johannes de Béka en amplifiant les écoulements de sang "qui couvrit abondamment le pavement de l’autel" et ajoute un dialogue entre la Vierge et Jean Flamens, qualifié pour la première fois de forgeron, pour savoir s’il doit aller tuer Guillaume.

    En 1604, Robert Procurateur, dit de Hautport, publie un opuscule où apparaissent deux éléments donnant au récit un caractère encore plus de pittoresque : la torture de Guillaume après ses coups de lance, qui "… quelque dure qu’elle fust ne sçeut rien arracher de la bouche de ce malheureus ..." et la description de Jean Flamens comme un vieillard handicapé : "Quatre ans après, l’ange s’apparoissant à un certain vieillard natif des Estinnes nommé Jean Flamand dit le Febvre, qui par l’espace de sept ans estoit paralyticque… ".

    En 1616, Walrand Caould répète les mêmes exagérations qui pimentent l’histoire de Guillaume le Juif. Le théâtre aussi s’empare du sujet.

    En 1639, Philippe Brasseur donne une pièce en vers composée de cinq cent trente-six hexamètres, tandis que le poète hutois Denis Coppée a écrit un drame en vers et en cinq actes, publié après sa mort, survenue en 1632.

    Enfin, l’œuvre d’Antoine Le Waitte comporte une synthèse peu critique des écrits relatifs au sacrilège, mais a le mérite de citer les lettres contemporaines du drame, permettant de connaître l’histoire du sacrilège sans ses exagérations poétiques.

    Au siècle des lumières, le souvenir de cet événement s’estompe. Les auteurs n’y consacrent plus que quelques lignes qui constituent des répétitions sans valeur.

    Sitôt après le miracle, la dévotion à Notre-Dame de Cambron se développe dans l'abbaye. Suite à une demande faite par le roi de France, Philippe de Valois, le pape Benoît XII envoie une bulle accordant des indulgences aux pèlerins de Cambron, ce qui donne naissance à un pèlerinage.

    Parmi les visiteurs de marque qui se succèdent parmi les pélerins, l’empereur Maximilien Ier visite le sanctuaire lors de son passage dans les Pays-Bas ; il y laisse un don substantiel qui permet de faire appel à un artiste pour restaurer l’ancienne peinture sur bois.

    Plus de deux siècles plus tard, lorsque Michel de Nostredame arrive à l’Abbaye de Cambron, c’est le désordre dans les Pays-Bas, à cause des guerres politiques qui ravagent le pays en raison des divisions religieuses déchirant la chrétienté occidentale.

    Le logement des hôtes se situe sous la bibliothèque ; il y tombe sur un vieux manuscrit ; c’est le texte d’un poème écrit dans un dialecte ancien ; il est intrigué par le style énigmatique, le choix du vocabulaire et la conjugaison des verbes au futur ; il comporte dix centuries ; chaque centurie regroupe cent quatrains décasyllabes dont les rimes sont croisées ; la césure tombe invariablement au milieu de chaque vers ; il commence la lecture par les deux premiers ; il lit ceci :

    Estant assis de nuit secret estude,
    Seul repousé sus la selle d’ærain,
    Flambe exigue sortant de solitude,
    Fait proferer qui n’est à croire vain.

    La verge en main mise au milieu de branches
    De l’onde il moulle & le limbe & le pied.
    Vn peur & voix fremissent par les manches,
    Splendeur divine. Le divin prés s’assied.

    Paraphrasant un texte d'un auteur latin, Jamblique, disponible dans la bibliothèque abbatiale, le poème est subtilement signé, mais notre provençal ne comprend pas grand-chose à ces jeux de mots, d'autant que le texte est rédigé en français picard, qui ne se parle plus guère, surtout dans les pays de langue d'oc; le texte est également truffé de noms de lieux-dits des pays-bas méridionaux, mais il n'est que de passage dans la région; par contre, puisqu’il se dit lui-même astronome et se trouve être un adepte de la pronostication, la tournure mystérieuse des phrases ne manque pas certainement pas de frapper son imagination…

    Ce genre de littérature n'était-il pas une obsession de ses contemporains ?

    En quittant les lieux, il emporte le livre dans ses bagages. Sans doute ne s’aperçoit-on que trop tard de son larcin ou peut-être la disparition du manuscrit passe-t-elle inaperçue dans la confusion générale.

    Forfait accompli, il se dirige vers l'Abbaye d'Orval, puis redescend vers le sud, suivant à bonne distance les traces des armées de Charles Quint ; il parle de son séjour à Vienne; on le trouve à Valence ; il s'établit finalement à Arles pour quelques temps.

    En 1544, il étudie la peste à Marseille, en compagnie, dit-il d'un médecin du nom de Louis Serres; il raconte avoir été appelé à Aix pour traiter les malades de la contagion dont la ville est affligée; il y expérimente en 1546 ses médicaments prophyllactiques à base des plantes; il demeure alors à Salon-de-Provence ; la bourgade s'appelle "Salon-de-Craux".

    En 1547, il connaît à Lyon des démêlés avec un concurrent autochtone, Philippe Sarrazin, dont les remèdes ne satisfaisaient guère ses compatriotes. Le 11 novembre, il épouse en secondes noces une jeune veuve de Salon-de-Provence du nom d'Anne Ponsard; le couple y occupe la maison qui abrite aujourd'hui le musée éponyme; elle lui donne six enfants, trois filles et trois garçons ; l'aîné, César, deviendra consul de la cité; peintre, poète et historien, il s'attachera à dresser la biographe de son père, contribuant ainsi à sa renommé postume.

    Pour l'heure, Michel de Nostredame voyage encore en Italie de 1547 à 1549; à Milan, il rencontre un spécialiste de l'alchimie végétale, qui lui enseigne les vertus des herbes qui guérissent, dont il consignera les principes dans son Traité des confitures et fardements, qu'il publiera à Lyon en 1552.

    En 1550, il rédige son premier almanach populaire, qui contient une collection de prédictions prétendûment astrologiques, incorporant un calendrier pour l’année, et d’autres informations en style énigmatique et polyglotte qui devait paraître suffisamment mystérieuses à ses éditeurs pour comporter de nombreuses coquilles, où d'aucuns verront plus tard l'indication de sa dislexie. A partir de cette publication, il signe ses écrits sous le nom de "Nostradamus".

    En 1555, il publie des prédictions perpétuelles (ce qui signifie cycliques, selon l'usage de l'époque), dans un ouvrage de plus grande envergure et presque sans indication de date précise, qui est publié par un imprimeur lyonnais du nom de Macé (c'est-à-dire Matthieu) Bonhomme. C'est le début de la publication des fameuses "prophéties" qui porteront son nom.

    En 1559, le Connétable du Royaume, Anne de Montmorency avait eu l'attention attirée par un quatrain :

    Le lyon jeune le vieux surmontera
    En champ bellique par singulier duelle
    Dans cage d'or les yeux lui crèvera
    Deux classe une puis mourir mort cruelle

    Il en avait déduit la mort du roi, Henri II, qui reçut au cours d'un tournoi un tronçon de lance dans l'oeil et mourut des suites de cette blessure, à l'âge de 40 ans et après seulement 11 ans de règne, laissant le pays en état de faillite, et ce, bien que Michel Nostradamus lui ait promis à plusieurs reprises une très grande gloire et une très longue vie, notamment en lui dédiant la troisième édition partielle de ses prophéties...

    Cette entreprise n’est toutefois pas sans risques...

    Sa renommée est telle que la reine, Catherine de Médicis, le fait appeler à la cour la même année. Le motif de l'intérêt de la reine était peut-être que, dans son dernier "Almanach", Nostradamus avait mis le roi en garde contre des dangers qu'il disait ne pas oser indiquer par écrit. Inquiet des intentions royales, puisqu’il craint d'avoir la tête coupée, il se rend à Paris, où il reçoit du couple royal des gratifications qu'en public il qualifiera d'amples, mais dont il se plaint en privé qu'elles ne couvrent pas ses frais de voyage. Des nouvelles alarmantes sur l'intérêt que la justice parisienne porte à la source de sa prescience l'incitent à quitter Paris précipitamment, tant il se persuade qu'on veut sa mort…

    Dans les années qui suivent, il est la cible de plusieurs pamphlets imprimés. Les attaques fusèrent de partout : de France et d'Angleterre, des milieux protestants et catholiques, des laïcs et des clercs, des poètes et des prosateurs, des adversaires de l'astrologie et des astrologues de métier, des étrangers mais aussi de ses proches.

    L'ordonnance d'Orléans du 31 janvier 1561, dont l’un des auteurs était le chancelier Michel de l’Hopital, hostile à Nostradamus, prévoit des peines contre les auteurs d'almanachs publiés sans l'autorisation de l'archevêque ou de l'évêque. Peut-être une infraction à cette ordonnance est-elle à l'origine d'un incident qui n'a pas été tiré tout à fait au clair : le jeune roi Charles IX a écrit le 23 novembre 1561 au Comte de Tende, gouverneur de Provence, apparemment pour lui donner l'ordre d'emprisonner Nostradamus, car l’intéressé répond au roi le 18 décembre 1561 : "Au regard de Nostradamus, je l'ay faict saisir et est avecques moi, luy ayant deffendu de faire plus almanacz et pronostications, ce qu'il m'a promis. Il vous plaira me mander ce qu'il vous plaist que j'en fasse" ; il a donc fait arrêter Nostradamus et l'a amené au Château de Marignane ; les deux hommes étaient amis et la prison tenait plutôt de la mise en résidence ; on ignore ce que le roi répondit au gouverneur, mais tout indique que l'incident resta sans suites…

    Nostradamus rentre pleinement en grâce auprès de la famille royale le 17 octobre 1564, lorsqu'il peut rencontrer la cour, à l'occasion de son grand tour du royaume qu'accomplit en deux ans le roi, Charles IX, accompagné de sa mère, Catherine de Médicis, et de son frère, Henri de Navarre, le futur Henri IV; logeant deux nuits près de Salon-de-Provence, ils font venir l'astrologue pour entendre ses prophéties. À cette occasion, la reine accapare notre homme comme médecin et conseiller du roi, alors que d'autres astrologues, mages, devins et médecins étaient bien mieux considérés, puisqu'ils étaient attachés en permanence à la cour, dont ils percevaient pensions et prébendes.

    Catherine de Médicis n'avait-elle pas écrit dans une lettre que "Nostradamus promet tout plein de bien et longue vie au roi mon fils, qu'il aura plus de 90 ans", même si la prédiction s'avérera pour le moins inexacte lors du décès du souverain français en 1574, à l'âge de 24 ans à peine ?

    Se pressant dans la suite royale, notre prognosticateur annonce encore à tort à la reine mère que sa fille, la Reine d'Espagne en la personne de l'épouse de Philippe II, est enceinte, et que son fils, le roi, alors âgé de 14 ans à peine, épousera la Reine d'Angleterre, Elisabeth, qui avait déjà bien entammé la trentaine. Autant d'événements qui recevront un démenti sera cinglant...

    Pour l'heure néamnoins, la renommée de notre astrologue était assurée et sa fortune faite; son fils, César, n'aura plus qu'en dresser une élogieuse biographie en gonflant quelque peu les événements, et à assurer de nouvelles éditions de ses oeuvres.

    Ainsi se trouvaient définitivement préservées de l'oubli les centuries écrites plus de deux siècles auparavant par Yves de Lessines, le moine cistercien dont la langue maternelle était le picard parlé entre la Dendre et l'Escaut, dans un langage roman qui ne se parlait plus guère et auquel Michel de Nostredame ne comprenait pas grand chose, avec l'un ou l'autre mots flamands, devant lesquels notre hommer perdit en tout état de cause son latin... Aussi dut-il moderniser et franciser le texte primitif, perdant ainsi le sens des jeux de mots initiaux...

    Trompé par la graphie, la syntaxe et le style d'un poème antique, l'astronome croyait avoir découvert des prophéties inconnues parce qu'un vieux moine avait déguisé les faits du passé en conjuguant les verbes au futur et construit son oeuvre en permettant trois niveaux de lecture d'un même quatrain, en s'aidant d'une compréhension phonétique.

    Au premier degré, le lecteur pouvait reconnaître des faits historiques dont la source se trouvait dans les manuscrits qui se trouvaient dans le scriptorium de son monastère et les chroniques qui circulaient d'abbaye en abbaye, par exemple, le Speculum Historiale de Vincent de Beauvais...

    Une lecture au second degré évoque l'histoire de l'Ordre du Temple, autrement dit la Milice des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon (en latin : pauperes commilitones Christi Templique Solomonici), ou rapporte certains faits auquels les Templiers ont été mêlés, notamment certains événements contemporains de la vie d'Yves de Lessines. En effet, n'est-il pas demeuré de notoriété qu'à l'époque romaine, l'armée impériale était composée de différentes légions, que chaque légion était généralement composée de six cohortes et que chaque cohorte est constituée par une centaine de soldats, ce groupe de légionnaires étant précisément dirigé par un centurion ? Peut-on y trouver une meilleure allusion que les centuries ? L'Ordre du Temple n'était-il pas une puissante armée ?

    Caché par ces deux écrans sémantiques, se dissimule un troisième niveau de lecture, qui raconte principalement les circonstances de la destruction de l'Ordre du Temple et indique les moyens qui ont été ménagés pour permettre sa renaissance, quelques années plus tard, après la fin des persécutions annoncées. Ainsi se décrivent les chemins templiers qui doivent conduire un attendu vers les Terres de Débat, un territoire au statut juridique incertain situé entre le Royaume de France et le Saint Empire Romain, qui ne sera qualifié de "Germanique" qu'au siècle suivant, jusqu'à un petit village perdu aux confins de la Flandre et du Hainaut, dans une région de collines au sol fertile...

    La tradition d'interpréter les prophéties publiées par Michel Nostradamus s'est perpétuée, la signification de tel quatrain variant avec le temps et la survenance de nouveaux événements historiques, au gré de l'imagination ou de la fantaisie des interprètes, dont les moindres ne furent pas Anatole Le Pelletier et Eugène Bareste, au dix-neuvième siècle.

Sur la route du temple

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TEMPLE DE PARIS
Pierre l'Ermite - Amiens.
Les "pauvres de Dieu"

Dans son homélie de Clermont, le pape avait fixé le départ "officiel" de la croisade au 15 août de l'année suivante (1096), le temps de préparer les quatre corps d'armée qui, empruntant des itinéraires différents, devaient se rejoindre à Constantinople pour y constituer l'Ost notre Seigneur, c'est-à-dire la puissante armée franque.

Or sans attendre la date prévue, averties par le bouche-à-oreille, des foules innombrables se mettent en mouvement dès le printemps 1096 dans toute l'Europe. Elles suivent des prêcheurs enflammés qui parcourent les provinces et ne sont pas sans les télévangélistes d'aujourd'hui. L'un d'eux est entré dans la légende : ce Pierre l'Ermite qui allait pieds nus, monté sur son âne, habillé d'une tunique de laine et d'un capuchon, ce petit homme qui mariait les prostituées, prêchait la concorde mais entraînait les foules vers Jérusalem.

En réalité, ces départs naïfs vers la Terre Sainte constituent l'une des premières irruptions dans l'histoire de ces masses anonymes aspirant à jouer un rôle dans la société et dans l'Église. Ce sont les pauperes Dei (pauvres de Dieu) qui sauront ramener les barons francs à leur devoir.

Manants des campagnes, serfs promis à l'émancipation, familles entières derrière leurs bœufs, mais aussi gens de sac et de corde, ribauds et ribaudes urbaines. Tous prompts à s'enflammer au moindre signe du ciel.

Au total, des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ayant fébrilement cousu la croix sur leurs hardes s'élancent vers un Orient qu'ils seraient bien en peine de situer et qu'ils confondent parfois avec la Jérusalem céleste. Sans préparatifs. Sans ravitaillement. Sans même, parfois, la moindre idée du chemin à parcourir.
Une chanson de geste, "la Chanson des chétifs", racontera l'épopée pitoyable des ces foules inorganisées et bientôt massacrées.

Ces "croisades populaires" portaient logiquement l'émeute en leur sein. Dans le souvenir des croisades, on confondra plus tard ces désordres avec la croisade officielle, et l'on imputera confusément aux chefs officiels de la croisade (qui ne partiront que plusieurs mois après) des folies qui n'étaient point de leur fait. Ces folies vont bien au-delà des débordements : pogroms systématiques commis par les bandes allemandes, chasse aux juifs le long du Rhin et du Danube, pillages en Hongrie ou dans les Balkans. Quand les puissantes armées "officielles" prendront la route vers Jérusalem, c'est un sillage de meurtres et de sang qu'elles trouveront sur leur chemin.
TEMPLE DE PARIS
Pierre l'Ermite - Roman du Chevalier du Cygne. BnF, Arsenal (Ms 3139 fol. 176v).
C'est Byzance !

Sur les quelque cent cinquante mille hommes – chevaliers, fantassins, clercs, femmes et serviteurs – partis d'Europe au milieu de l'été 1096, une dizaine de milliers seulement arriveront le 7 juin 1099, trois ans plus tard, devant les murailles de Jérusalem. Sur la route, en effet, l'armée franque vivra des épisodes aussi divers que terribles. Le plus étonnant est que chacun d'entre eux s'inscrira – de manière différente mais toujours indélébile – dans les mémoires de l'Europe et de l'Orient.

Le premier épisode est d'ordre culturel et politique. Lorsqu'ils arrivent devant les remparts de Constantinople, les frustres et solides guerriers francs découvrent la splendeur d'une ville qui a deux siècles d'avance sur l'Europe d'où ils viennent. Leur stupeur, leur émerveillement – "C'est Byzance" – est décrit dans toutes les chroniques de l'époque et fera date. Les croisés aperçoivent, au-delà des murailles, un périmètre inouï de palais et de statues de porphyre et d'or, un jaillissement de colonnes et d'églises byzantines avec des places immenses dallées de marbre, des avenues où s'alignent des boutiques à étages. Un hippodrome romain de trente mille places surplombant la mer de Marmara. Et ces cohues de serviteurs dans les avenues, ces animaux étranges – chameaux, éléphants – que mènent des esclaves "noirs comme le péché"… Et Sainte-Sophie la byzantine, aves sa coupole et ses autels couverts d'ivoire, d'or et de pierres précieuses…

La splendeur de Constantinople et le contraste qu'elle offre avec l'archaïsme de l'Occident résument toute l'histoire du premier millénaire chrétien. Cette métropole de marchands et de prêtres, cette cité étincelante et cruelle comme les jeux du cirque qu'elle affectionne, cette capitale rusée comme ses intrigues de palais, mystique et voluptueuse comme l'Orient, c'est une chrétienté mise à l'abri pendant cinq siècles derrière ses murailles et sauvée des régressions barbares comme des décadences. C'est aussi l'héritière d'Athènes et de Rome qui s'est protégée obstinément de tous les périls.

Le face-à-face ambigu entre l'empereur de Constantinople et ces guerriers qu'il a appelés à son secours débouchera sur des malentendus en cascade. Les Francs, passé les premiers jours, se méfient de ces "Grecs efféminés" qui veulent se servir d'eux. Les Byzantins redoutent quant à eux la force brutale des ces "Celtes"(comme ils disent) qu'ils voulaient utiliser comme mercenaires pour reconquérir les territoires perdus. Au bout du compte, la force l'emportera et les Byzantins seront évincés. Entre les deux chrétientés, latine et orthodoxe, le malentendu, la rancune, la défiance prévaudront à cette occasion… et jusqu'à aujourd'hui.
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« Prise d'Antioche par les croisés en 1097 », Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr, f°49, Acr© Boulogne-sur-Mer, Bibliothèque municipale.
La peste devant Antioche

Les épisodes suivants sont surtout militaires et sanglants. Les croisés remportent d'abord deux grandes batailles. L'une en mai 1097 à Nicée (aujourd'hui la ville turque d'Iznik), qu'ils reprennent aux Seldjoukides après un siège meurtrier ; l'autre en juillet à Dorylée (en Anatolie), où les lourds escadrons francs, cuirassés et caparaçonnés, seront d'abord mis en difficulté par la stratégie tourbillonnante des cavaliers turcs qui déciment sous une pluie de flèches les croisés de Godefroi de Bouillon. La victoire sera finalement acquise, mais au prix de lourdes pertes. Archers, cavaliers et sabreurs seldjoukides battent en retraite. Témoignage d'un chroniqueur croisé : "Nous les poursuivîmes en les tuant pendant tout un jour ; et nous fîmes un butin considérable, de l'or, de l'argent, des chevaux, des ânes, des chameaux, des brebis, des bœufs et beaucoup d'autres choses que nous ignorons".

Après de longs mois de marche à travers l'Anatolie et les montagnes du Taurus, tenaillés par la faim, épuisés par la chaleur et la maladie, les croisés vont ensuite connaître devant Antioche des épreuves plus meurtrières encore.
La ville qu'ils atteignent vers l'automne demeure la plus formidable de toutes les forteresses de l'Orient et de l'Asie Mineure, cette place forte "imprenable" qu'avaient prétendu bâtir les Byzantins peu avant l'an mille. Ses fortifications – une muraille de 10 kilomètres jalonnée de quatre cent cinquante tours et parachevée, à l'est,
par une citadelle haut perchée – laissent les croisés désemparés. De fait, le siège de la citadelle dura huit mois (20 octobre 1097-18 juin 1098). Les armées franques seront minées peu à peu par la famine, les contre-attaques turques puis par la peste. Massacres répétés, "amas de cadavres" signalés par les chroniqueurs, stratagèmes et exécutions sommaires des "espions", constructions de forteresses par les Francs… Ce siège-là est à lui seul un interminable roman médiéval. La situation deviendra si grave que la croisade se trouvera au bord de la déroute. La ville sera prise in extrémis grâce à la trahison d'un habitant d'Antioche, un certain Firouz, fabricant de cuirasses trompé par sa femme et ivre de vengeance. C'est lui qui, nuitamment, ouvrira l'une des portes de la ville aux assaillants. Un vaudeville oriental sauve les croisés de la débâcle !
Croisés cannibales

Ce qu'il reste de l'armée franque ayant repris sa route, c'est toutefois l'année suivante, en 1098, qu'aura lieu sur le territoire de l'actuelle Syrie l'épisode en deux temps qui sera le plus souvent raconté, désigné, répété, mis en vers durant tout le Moyen Âge et jusqu'à la Renaissance. Il se situe dans la ville fortifiée de Maarat al-Numan, qui avait résisté à un premier assaut. Le 12 décembre, la ville est enfin prise et les croisés passent au fil de l'épée des milliers de Turcs et d'habitants. Cette nouvelle conquête et le partage du butin rallument les querelles entre les seigneurs dont certains sont plus soucieux de se tailler des royaumes que d'aller délivrer Jérusalem. Ils se disputent pour s'approprier la ville. C'est alors qu'éclate, dévastatrice, impitoyable, la colère des pauvres. Une colère religieuse.

Ceux-là mêmes qui erraient, faméliques, dans les rues de Maarat et dont nul ne se souciait plus. Ces gueux et ces ribauds à deux doigts de la déraison, voici qu'ils s'enflamment en une terrible émeute. Elle durera plusieurs jours.
Folle insurrection ? Pas tout à fait. Pour contraindre les barons à reprendre la route de Jérusalem, les pèlerins entreprennent la destruction méthodique de cette ville tout juste conquise. Remparts démantelés, maisons incendiées, murailles abattues… Il s'agit de ruiner absolument tout ce qui excite la convoitise des seigneurs.

En définitive, les pauvres ont gain de cause. Cette première croisade, à la différence des suivantes, garde une dimension plus mystique que coloniale. Mais se produit alors un événement dont l'évocation frappera d'épouvante tout l'Orient. Dans l'enfer de Maarat, livrés à la peur, à la faim et à la soif, pendant que les barons ses chamaillent, les pauvres et leurs sectes cèdent à la tentation interdite entre toutes : le cannibalisme. Les cadavres de Sarrasins qui gisent dans les fossés sont découpés et dévorés avec avidité. L'historien Raoul de Caen écrira : "Les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans des marmites. Ils fixaient les enfants sur des broches et les dévoraient grillés". Dans l'islam tout entier, cet épisode sèmera l'effroi et conduira plusieurs cités arabes à se rendre sans combattre à l'approche des Francs. Mais surtout, quoiqu'il fût localisé et marginal, ce crime restera désormais attaché pendant de longs siècles au souvenir des croisades.
Bain de sang à Jérusalem

Le dernier grand massacre aura lieu à Jérusalem, et lui aussi est encore évoqué aujourd'hui. Après un mois de siège, la Ville Sainte est prise en juillet 1099. Répandus dans la cité, saouls de frayeur et d'attente accumulées, les croisés poursuivent et massacrent les musulmans et les juifs, qui sont alors alliés.
D'abord dans les ruelles, puis dans la mosquée al-Aqsa. "La ville, écrit Guillaume de Tyr, présentait en spectacle un tel carnage d'ennemis que les vainqueurs eux-mêmes ne pouvaient qu'être frappés d'horreur et de dégoût".

Le fameux "chroniqueur anonyme", dont le texte latin reste la source la plus fiable, utilise quant à lui une image que l'Histoire retiendra. Il rapporte qu'à l'intérieur de la mosquée al-Aqsa "les nôtres marchaient dans le sang jusqu'aux chevilles". D'autres historiens de l'époque évoqueront ces monceaux de cadavres qui, "pendant une semaine entière", brûleront sous les remparts de la ville.
Combien de morts ? Soixante-dix mille, affirment les historiens arabes.
Chiffre impossible. Vingt mille peut-être…

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Reconstitution du plan de Jérusalem lors de la prise par les croisés en 1099.
Quelques barons francs, comme Tancrède et Raymond de Saint-Gilles, ont bien tenté de s'opposer au massacre.
En vain. Le soir, hagards, dégrisés, les soldats francs courent jusqu'au Saint-Sépulcre et s'y "laissent choir bras en croix". Dans l'une des cryptes, on peut voir aujourd'hui les croix qu'ils ont alors gravées dans la pierre.
Oui, la foi peut devenir folle. Aujourd'hui, plus que toute autre ville au monde, Jérusalem le sait.
Texte extrait du livre "Sur la route des croisades" de Jean-Claude GUILLEBAUD, Points Seuil.