mardi 20 novembre 2012

Traditions et légendes de Belgique (11 à suivre).

26 février. (Vinca minor.) Saint Alexandre; saint Nestor. Saint Alexandre est patron de Theux, près de Spa, et de Xhendelesse, près de Verviers, deux paroisses qui, l'une et l'autre, appartiennent à l'évêché de Liége. * * * 27 février. (Pulmonaria officinalis.) Saint Euchaire; sainte Honorine; saint Léandre. A Bruges, les sociétaires de saint Sébastien tirent à la cible, chaque mercredi du carême, pour des craquelins. Celui qui atteint le premier le petit cercle noir, est tenu de donner, au tir subséquent, au moins quatre craquelins de grandeur ordinaire. La Société donne, à chaque tir, le grand craquelin et dix petits [99]. * * * 28 février. (Crocus vernus.) Saint Ally; sainte Ermine; saint Oswald; saint Romain. A Courtrai, se faisait autrefois une procession en mémoire de la délivrance de la ville menacée par des Écossais, en 1580; mais Courtrai ayant reçu une garnison écossaise en 1707, cette procession cessa d'avoir lieu [100]. * * * [1] Les vestiges de cette ancienne coutume se retrouvent encore aujourd'hui dans la « Fête des Omelettes,» célébrée chaque année le 48 février aux Andrieux en France, et dans les usages qui tous les ans le 22 février ont lieu sur l'île de Sylt. En Angleterre, où dans le moyen âge le mois de février s'appelait souvent « pancake-month, » l'antique fête paraît avoir été transférée au mardi gras, que l'on désigne maintenant encore du nom de « pan-cakes-day ». En Belgique, plusieurs jours de février excellent par la grande consommation de «pannekoeken » qu'on y fait, entre autres le février et le mardi gras, de sorte que février y justifie encore aujourd'hui son ancien nom de « solmaend ». [2] « Sellan, syllan » en dialecte anglo-saxon, « salja » en langue gothique signifiait offrir, sacrifier. [3] Lom, p. 122. [4] Baronius, Anal. ad a. 544. [5] Coremans, p. 43, 427. [6] Liebrecht O.,I. p. 237. [7] Avontroodt, Mss, p. 29. [8] Avontroodt, Mss. [9] Le dicton populaire dit : Si les femmes dansent au soleil à la Chandeleur, le lin réussira. [10] Les Français disent: Si le soleil se montre et luit à la Chandeleur, croyez qu'encore un hiver vous aurez. [11] Tuinman Voorteekenen, p. 4. [12] Coremans, pp. 13, 14, 76. [13] Hone, I, 204-205. [14] Molanus, pp. 79, 80. [15] Gaillard, pp. 123-126. [16] H.d.e.d.B, t. III, 577. [17] H.d.E.d.B., I, 68, 69. [18] Arch. de Dinant, Reg. 4, fol. 163. [19] De Reume, pp. 405-409. [20] H.d.E.d.B., t. III, 480. [21] Cornet, pp. 38, 39; Coremans, p. 76. [22] Gorrissen,p. 76. [23] H.d.E.d.B., t. II, 8. [24] H.d.E.d.B., t. I, 299-302; Gazet, pag. 327-328; Sleeckx Mss.; Coremans, pag. 76. [25] Vasse, p. 11, 2. [26] De Smet, M.d.M., pp. 242-245. [27] De Reume, p. 260. [28] Wolf, N. S., p. 432. [29] Notice historique sur les anciens seigneurs de Steyn et de Pietersheim, par M. J. W Gand, 1854, pp. 160-164. [30] De Smet, M. d. M., p. 67-69; B. Gaillard, Kronyke van Brugge, p. 45. [31] H.d.E.d.B., t. II, p. 220. [32] Maestertius, p. 38. [33] Piot, p. 236-243. - N. L., pp. 240-260. [34] Gazet, p. 247; B. M., p. 28. [35] De Reume, p. 280. [36] En France, on dit pour se guérir du mal aux dents: Sainte Appoline étant assise sur la pierre de marbre, notre Seigneur passant par là lui dit: Appoline, que fais-tu là? - Je suis ici pour mon chef, pour mon sang et pour mon mal de dent. Appoline, retourne-toi : si c'est une goutte de sang, elle tombera; si c'est un ver, il mourra (*). (*) Wolf, I, 60. [37] Schayes, p. 206-207. [38] Piot, p. 103-107. [39] Gazet,p. 366. [40] Annales du Cercle archéologique de Mons. Mons, 1858. t. I, pp. 295-303. [41] Lemaire, pp. 89-90. [42] B. M., p. 33. [43] Coremans, p. 57. [44] R. Snieders, Het kind met den Helm. Antw., 1852, pp. 169-171. Heuvelmans. Kronyken der stad en vryheid van Turnhout. [45] Coremans, p. 55. [46] Azevedo. [47] Tuinman, I, 24. [48] Selon toute probabilité le navire du carnaval n'était qu'un souvenir des anciennes processions païennes en l'honneur d'une déesse, qui avait, à l'égal de l'Isis égyptienne, un vaisseau pour symbole. Sans trop conjecturer on peut supposer que le fameux navire dont le chroniqueur de Saint-Trond nous a laissé quelques renseignements, était de la même catégorie. Ce navire placé sur des roues, et construit à Inden (plus tard Cornelimünster) près de Juliers, arriva en 1133 par Aix-la-Chapelle à Maestricht, où on le perfectionna en y ajoutant un mât et des voiles, puis à Tongres et à Looz, toujours traîné par les tisserands des différentes villes. Eu vain l'abbé de Saint-Trond voulut-il détourner les habitants de le recevoir dans leurs murs; les échevins y consentirent et les populations en masse se pressaient en chantant autour de ce vaisseau, qu'une troupe de musiciens précédait. Les femmes surtout se signalaient en dansant, les cheveux flottants, en son honneur. Enfin Godefroid le Barbu, comte de Louvain, ne permit pas qu'on le conduisît jusque sur ses domaines, et le vaisseau disparut sans que nous sachions ce qu'il est devenu. Ce qui est remarquable c'est que les prêtres de l'Isis égyptienne, qui devait à son vaisseau le surnom de « Pelagia, » étaient des tisserands « linigeri », et qu'en Belgique on contraignit également les tisserands à traîner le fatal navire. Peut-être les navires qui figurent encore aujourd'hui dans les cavalcades de plusieurs villes belges, entre autres à Anvers, à Bruxelles et à Malines, ne sont-ils que les derniers restes de l'ancien culte d'une déesse païenne qui, à ce qu'il paraît, était très-honorée en Belgique. A en juger d'après le peu de renseignements que nous possédons jusqu'à présent sur Nehalennia ou Naï-ha-lennia, c'était cette déesse tour-à-tour habitant les forêts, régnant sur les eaux, maîtresse des lois, patronne de la terre, divinité des bergers et des laboureurs, protectrice des chasseurs (Ardoï-na), étoile des navigateurs, ou plutôt la déesse Naï ou Nas, à laquelle est dédié l'autel qu'un tribun militaire sous le règne de Caracalla a érigé à Nasium, et qui portait différents noms, suivant les lieux, suivant les peuples et les circonstances. Il est probable que Surona (Sur-Naï) et Epona (Epo-Naï) n'est pas autre chose. Certains attributs de cette déesse étaient identiques chez les Celtes et chez les Germains. (*)

Traditions et légendes de Belgique (10 à suivre).

24 février. (Osmunda regalis.) Saint Ethelbert; saint Mathias; saint Modeste. Les jours de la première semaine du carême ont presque tous des noms particuliers. Le lundi s'appelle « blauwen maendag » lundi bleu [90], dénomination que l'on attribue à la coutume de tendre ce jour les églises en bleu ou en gris, et qui, en Allemagne, désigne le lundi du carnaval. Étant le lendemain du grand carnaval ou « groote Vastelavond, » le lundi bleu est un jour d'amusement populaire par excellence et c'est de là qu'est venue l'habitude désastreuse de « la saint lundi » ou de faire le lundi bleu « de blauwen maendag houden ». Dès le douzième siècle, on essaya en Belgique, de combattre la coutume du lundi bleu, comme païenne, impie et désordonnée. Les méfaits commis ce jour-là se punissaient plus sévèrement que ceux qui étaient commis un autre jour; les moines faisaient des prêches particuliers aux compagnons de métiers pour les faire renoncer aux lundis bleus, aussi nommés « vriyenmaendagen, « lundis libres, ou « pufmaendagen, » lundis de plaisir, mais tous ces efforts n'eurent qu'un faible succès, puisque l'habitude de faire le lundi continue à subsister [91]. Le mardi s'appelle « broederlyke-tuchtiging_dinsdag » mardi du châtiment fraternel, d'après l'Évangile du jour. Les maîtres d'écoles, en plusieurs endroits, pour être d'accord avec les exigences du jour, punissaient ceux de leurs élèves qui, pendant l'année, s'étaient montrés les plus dignes de cette distinction. Le jeudi tire son nom de « cananiterin-donderdag, > jeudi de la cananéenne, également de l'Évangile. C'était autrefois une espère de fête des dames, qui avait quelque analogie avec la veille des dames, bien que les cadeaux fussent de petite valeur. Le vendredi est nommé « Wynboer-vrydag, » vendredi des vignerons, encore d'après l'Évangile du jour. C'était jadis un jour de fête pour les vignerons [92]. Au dix-septième siècle se tenait dans l'hôtel de ville de Bruxelles, pendant la première semaine du carême, une foire appelée « la folie aux verres » ou « le marché aux glaces du grand carême (« glazemerkt van den grooten vastelavond »). Elle existait déjà en 1635. On n'y allait que de nuit; les salles du palais étaient remplies de toutes sortes de marchandises, et les dames de la cour, assises dans les boutiques et parées à l'avantage, jouaient des pièces d'orfèvreries et autres bijoux à la façon qui se pratiquait à la foire de Saint-Germain » [93]. * * * 25 février. (Amygdalus persica.) Saint Mathias, en l'honneur duquel six églises sont consacrées. Cette fête est un grand jour de sort pour les hommes. Si on pose sur l'eau contenue dans un vase des deniers creux, celui dont le denier ira le premier à fond doit mourir le premier. Si, la nuit, on jette un soulier en arrière par dessus sa tête, et que la pointe se dirige vers la porte de l'appartement, on le quittera bientôt soit pour aller rejoindre ses ancêtres, soit au moins pour déloger. Si saint Mathias trouve de la glace, il la brise; s'il n'en trouve pas, il en fait [94]. S'il gèle pendant la nuit, le froid ne cessera pas avant quarante jours. C'est pourquoi en quelques localités on place la nuit dans le vestibule un pot d'eau pour voir si l'eau gèlera ou non [95]. Dans le pays de Limbourg on dit « sint Matthys werpt den eersten steen in 't ys, » saint Mathias jette la première pierre dans la glace [96], pour désigner le commencement du dégel qui, avant la réforme du calendrier, avait ordinairement lieu vers cette époque. Aussi était-il d'usage en différentes villes de transporter, le jour de saint Mathias, les neiges et les glaces hors des portes, sur des chariots conduits par des gens masqués qui faisaient mille tours aux jeunes filles [97]. Les sociétés nommées « Kalandbroers, Kalendebroeders » ou « fratres Kalendarii,» qui reconnaissaient saint Mathias pour leur principal patron, célébraient cette journée très-pompeusement. Ces confréries, connues dans les diverses contrées de la Basse-Allemagne, se composaient d'ecclésiastiques et de séculiers, mariés ou non; les femmes même n'en étaient pas exclues. Leur but était de prier en commun, de décider quels jours de fête devaient être particulièrement célébrés et avec quelles solennités (ad festa et sacra singulis mensibus ordinanda) enfin de se réunir afin de s'adonner à des amusements honnêtes. L'association, qui reconnaissait une parfaite égalité de rangs à ses membres, s'occupait de fixer la somme d'aumônes à accorder aux pauvres qu'elle jugeait dignes do pareils dons. La réception des membres, parmi lesquels se trouvaient toujours six ou douze ecclésiastiques, se faisait à la majorité des voix. Chaque confrérie avait ses doyens et camériers qui réglaient ce qui se rattachait aux affaires financières et à l'observation des réglements, approuvés ordinairement par les évêques des diocèses respectifs. Tous les membres s'assemblaient le premier de chaque mois pour régler les affaires de la société et pour assister à un repas commun. C'est ce qui a donné lieu à la dénomination de « calandgilde » ou « broederschap der kalenderbroederen. » Personne ne sait au juste quand ces associations prirent naissance. Elles se disaient très-anciennes et leurs repas communs rappellent les agapes des premiers chrétiens, qui, malgré les défenses formelles et réitérées de plusieurs conciles, continuèrent à subsister jusqu'à la fin du septième siècle. Toutefois, on a cherché à prouver qu'elles ne datent que du treizième siècle, lors de l'institution du rosaire par saint Dominique, et que le couvent d'Ottberg, sur le territoire de l'abbaye de Corvey, en Westphalie, fut leur berceau, d'où elles se seraient étendues dans les Pays-Bas et sur une grande partie de l'Europe. Ce qui est certain, c'est que différents papes et empereurs leur avaient témoigné de la bienveillance, et que les rois de France leur permirent de s'établir dans leur royaume. Au commencement du seizième siècle encore, les « Kalenderbroederen » ou « Kalandbroers » étaient bien vus partout et avaient acquis d'importantes possessions. Mais, peu de temps après, il s'éleva contre eux des accusations de tout genre. Les protestants prétendirent que les Kalandbroers s'adonnaient à la débauche. Le bras séculier ne tarda pas à sévir contre eux; leurs confréries furent dissoutes et leurs biens confisqués au profit de l'État. Même dans les pays catholiques, cet exemple trouva des imitateurs; il n'y eut que quelques associations fondées sur des principes analogues, par exemple les chapitres de sainte Marie à Tirlemont, à Léau, etc., qui ne furent pas abolies. Ces chapitres qui remontent au treizième siècle, sont les premiers, en Belgique, parmi lesquels on trouve, outre des ecclésiastiques, des frères séculiers, mariés ou non; cependant, on n'y acceptait pas de personnes mariées en secondes noces. Si l'on en croit la tradition, chaque frère devait s'engager par serment à ne pas déclarer le montant des revenus de l'association. En 1794, les dernières de ces associations semi-ecclésiastiques disparurent, mais à Tirlemont on raconte encore de nos jours des récits fabuleux qui se rattachent au chapitre de sainte Marie, dont les membres étaient appelés par le peuple « hinnen priesters. » Les phrases flamandes « hy geeft eenen grooten kaland » (il donne un grand banquet), ou « hy kalandert reeds de gansche week » (il fait déjà la vie pendant toute la semaine), que l'on entend souvent dans la bouche des classes inférieures, pourraient bien être le dernier souvenir des anciens kalandbroers [98]. *

Traditions et légendes de Belgique (9 à suivre).

* * 23 février. (Prunus armeniaca.) Saint Pierre Damien, évêque: sainte Léonore; saint Antigone. Le premier dimanche du carême qui commence la semaine appelée « gansche vastenweek, » semaine de carême entière, est en Belgique le jour de carnaval par excellence. C'est pourquoi les flamands le nomment « de groote vastenavond, » le grand carnaval ou « gokkernyenzondag, » dimanche des folies. Toutes les troupes de masques et toutes les cavalcades, qui dans les grandes villes ont parcouru les rues le lundi ou mardi gras, font encore une fois le tour de la ville, toutes les salles de bal sont rouvertes, toutes les réjouissances du carnaval se répètent ce jour-là. Dans le pays wallon ce dimanche n'est pas seulement le dernier jour du carnaval, mais aussi le jour où l'on allume partout des feux de joie, comme au nord de la France et en beaucoup de contrées de l'Allemagne. C'est le « jour du grand feu, » bien que ce nom, selon les localités, se rattache tantôt au premier, tantôt au second dimanche du carême. Dans les Ardennes on dit que le jour du grand feu il faut voir sept feux, si le village doit être garanti de l'incendie. C'est pourquoi huit à quinze jours d'avance les enfants vont de ferme en ferme pour quêter de la paille et d'autres matériaux combustibles. Le jour venu, on coupe encore des broussailles, surtout du genièvre et du genêt, et le soir de grands bûchers brûlent sur toutes les hauteurs. Si la Meuse a assez fortement gelé, on aime à allumer aussi des feux sur la glace. Les jeunes gens et les enfants dansent en chantant autour de ces feux et sautent à la fin à travers les charbons, soit pour procurer la fertilité de la terre soit pour faire de bons mariages dans l'année. A Liége le jour du grand feu donne encore lieu à une autre particularité. Les enfants mariés invitent ce jour les parents à dîner et en retour, le dimanche d'après, ce sont les parents qui donnent à dîner à leurs enfants. Mais tandis que les enfants servent un dîner préparé à leur guise, les parents ne donnent que du pain, des légumes et de la bière, et point de vin, point de gâteaux. A Huy, où le jour du grand feu est le deuxième dimanche du carême, le même usage s'est maintenu. Les enfants invitent les parents qui, à ce qu'on dit, « vont manger le pain des enfants » et invitent, à leur tour, à Laetare les enfants, qui « vont manger alors le pain de leur père et de leur mère. » Dans les villages situés sur la Meuse entre Huy et Liége on dit qu'il faut manger, le jour du grand feu, sept espèces de pain. C'est pourquoi on va visiter tous ses amis et toutes ses connaissances en mangeant à chaque visite un morceau de pain. Dans les pays à fromage, on invite ses parents et ses amis, et on les régale avec différentes sortes de fromage. Ces usages nous expliquent les noms de « Kaeszondag, » dimanche de fromage, et de « Broodzondag, » dimanche de pain, qui désignent le dimanche Invocavit ou Quadragésime, et se rattachent peut-être à l'Évangile de ce jour, qui nous enseigne comment le démon tenta le Seigneur [83]. Au Marché, hameau près de Spa, qui tire son nom du privilége accordé au bourg de Theux par Erard de La Marck, qui y établit un marché public, les habitants brûlèrent le jour des grands feux, l'image de « Saint-Pân. » Le saint, dont le nom en liégeois veut dire « sans pain, » était un des patrons de la chapelle qui s'élevait autrefois sur la place du marché, mais son nom ayant paru aux habitants du lieu une injure faite à leur opulence, ils expulsèrent saint Pân de leur église, et conservèrent pour unique patron saint-Nicolas [84]. Dans la partie flamande de la Belgique, les feux du premier dimanche du carême ne s'allument plus que dans quelques localités. A Maeseyck et dans beaucoup de villages du pays de Limbourg, durant la soirée de ce jour, les enfants parcourent les rues en tenant des torches ou des bâtons enveloppés de paille qu'ils ont allumés, et font ensuite dans les champs de petits feux de paille autour desquels ils dansent. En Brabant, une coutume analogue à celle-ci existait encore, il y a cinquante ans. Des femmes et des hommes masqués en femmes, se rendaient aux champs avec des flambeaux allumés, et y dansaient en chantant diverses chansons burlesques. C'était une espèce de farce de carnaval qui, disait-on, avait pour but de chasser le « méchant semeur » (d'après la belle parabole de l'Évangile de ce jour) [85]. A Grammont, le grand carnaval est la principale fête; la kermesse même n'est que secondaire. Vers midi la foule, accourue dès le matin, se porte au marché, d'où part une musique bruyante. Les tireurs, l'arc on l'arbalète à la main, se rangent autour de leur bannière, qui flotte au-dessus de leurs tètes. Enfin on l'élève et le peuple s'achemine vers la vieille montagne ou « Oudenberg » où est bâtie la chapelle de la Vierge. Le magistrat , le bourgmestre en tête, suit, ainsi que le clergé, le cortége des tireurs. On s'agenouille, le prêtre entonne la litanie de Lorette, le peuple répond en chœur : Ora pro nobis! Puis la cérémonie religieuse terminée, le clergé et les fonctionnaires de la ville se rangent en demi cercle devant la chapelle. Le héraut de la ville ou l'appariteur du conseil s'approche pour offrir à chacun d'entre eux un verre de vin. Le peuple rit aux éclats. Tous les yeux sont fixés sur le curé, qui doit donner le signal pour boire. Le curé hésite; dans son verre nage un petit poisson qu'il doit avaler, selon une ancienne coutume, en même temps que le vin. Ce n'est pas là chose facile; enfin il réussit à vider son verre d'un trait, et tous les buveurs suivent son exemple. Le peuple pousse des cris d'allégresse, la musique recommence, de grands paniers remplis de gâteaux appelés « mastellen » et de harengs sont apportés, le curé a le privilège d'y puiser le premier. Il jette au peuple, ce qu'il a pris, les magistrats en font autant, tous les gâteaux et harengs y passent, le peuple se précipite pour se les arracher, chacun veut emporter quelque morceau, attaché à son chapeau. Enfin le bourgmestre donne le signal du retour et le drapeau marche en tête suivi par la musique, les tireurs, les magistrats et le clergé. Le peuple ferme la marche en chantant; de retour à la ville les jeunes gens vont à la danse. Pour terminer la fête on allume, à l'entrée de la nuit, sur la vieille montagne un grand tonneau goudronné attaché à un haut pieu et plus de cent feux allumés sur toutes les hauteurs des environs répondent à ce signal. Quant à l'origine de cette coutume bizarre, qui s'appelle « tonneken-brand », et dont on trouve la première mention dans les comptes de la ville de l'année 1398 (qui font partie des « Archives du royaume » à Bruxelles), les opinions sont partagées. Les uns prétendent que la fête se célèbre en mémoire d'une heureuse délivrance d'un long siège; les autres n'y voient qu'une allusion à l'Évangile où Jésus rassasie cinq mille hommes [86]. A Ypres on nomme ce jour « borrelle-sondagh, » parce que jadis les enfants, des torches ou « borrelle » en main, parcouraient les rues en criant « borrelle, borrelle, steeckt het vier in de helle, » flambeau, flambeau, allumez le feu dans l'enfer. On dit qu'ils voulaient ainsi représenter les Juifs qui, avec des torches, allèrent chercher le Seigneur au jardin des oliviers; de même en s'asseyant tranquillement avec leurs flambeaux allumés, devant les portes, ils semblent éclairer le Christ dans sa marche vers la prison. Le nom de « borrelle sondagh » nous rappelle celui de « dimanche des bourres, » par lequel on désigne dans le département des Ardennes le même jour, qui ailleurs, se nomme « dimanche des brandons » ou « des bordes. » Toutes ces dénominations tirent leur origine des torches ou des feux qu'on allume ce jour. Des analogies que l'on trouve entre les usages de cette fête existant en France et ceux qui règnent en Belgique, il résulte sinon la preuves du moins la présomption très-fondée, que le nom de « behourdich-zondag » ou « behourdic-zondag » qui, dans les documents du Hainaut et de Namur, aussi bien que dans les documents flamands du moyen-âge, désigne souvent soit le premier, soit le deuxième dimanche du carême, n'a pas d'autre signification. [87] Il est vrai que le mot provençal de « behourdiz » (behordeis, bohordeis, bouhordeis, » en bas-latin « behordium, ») signifie, dans le principe, combat, course de lances ou de bâtons, et que les Provençaux ont donné au premier dimanche du carême le nom de « jour du bouhourdis, bouhourdüch, ou bourdich » à cause de la coutume qu'ils avaient autrefois de joûter au bâton ou à la lance [88], usage que nous retrouvons en Belgique dans les joutes ou tournois qui avaient lieu au même jour à Malines et à Lille [89]. Mais aussi bien qu'à Lyon les rameaux verts, auxquels on attache des gâteaux et des oublies, le premier dimanche du carême, S'appellent à présent « brandons, » les - « bouhours » ou bâtons pour s'entreheurter (« bouhourder, behourder ») ont pris à Valenciennes une autre acception, et désignent maintenant les torches de filasse trempées dans du goudron, que les enfants y allumaient il y a peu d'années le soir du premier dimanche du carême. Cet usage est parfaitement analogue à celui qui existe encore au même jour dans le pays de Limbourg et il est possible qu'il ait valu au premier dimanche du carême le nom de « behourdich zondag. » A Bruges, où chaque dimanche du carême se signale par une espèce de fête ou de « kermesse, » qui a lieu dans l'un ou l'autre des quartiers de la ville, le premier dimanche du carême s'appelle « dullis » ou « sottiskermis » Cette fête, qui est suivie des kermesses appelées « beggynekermis, potteriekermis et sint Salvatorkermis, » est la plus fréquentée la plus joyeuse et la plus bruyante de toutes, ce qui lui a donné son nom de « kermesse des sots ou des fous. » Quant à l'origine des feux qui s'allument le premier dimanche du carême, on a presque la certitude, qu'ils sont les vestiges d'une ancienne fête païenne en l'honneur de Thor ou Donar. A l'entrée du printemps, on implorait la bénédiction de ce Dieu du printemps pour garantir les champs et les semailles de tout malheur. C'est pourquoi les campagnards limbourgeois n'ont pas tout-à-fait tort lorsqu'ils affirment que ces feux s'allument pour l'ouverture des travaux champêtres. Le premier et le deuxième dimanche du carême, on fait en Belgique une collecte à toutes les messes et à tous les offices pour l'Université catholique de Louvain.

Traditions et légendes de Belgique (8 à suivre).

20 février. (Cynoglossum omphalodes. ) Sainte Euchère; saint Éleuthère, en l'honneur duquel trois églises sont consacrées, est le patron de la ville de Tournai. Saint-Éleuthère naquit à Tournai de Soremus et de Blanda fervents chrétiens. A peine eut-il achevé ses études (saint Médard avait été son condisciple et son ami), qu'il fut banni avec les autres fidèles par le commandant payen de la ville. Tous se retirèrent à Blandin, où l'évêque Théodore étant mort, Éleuthère fut choisi pour lui succéder. Quelques années plus tard, Éleuthère ressuscita, en présence de la foule étonnée, la fille même du commandant persécuteur, enterrée depuis quelques jours. Le commandant se convertit, et Éleuthère rentra à Tournai avec les chrétiens bannis. Il y baptisa en une seule semaine plus de onze mille idolâtres et bâtit, en l'honneur de la Mère du Christ, une cathédrale magnifique. Mais l'apôtre de Tournai ne borna pas là ses travaux. Il prêcha, non sans succès, l'Évangile parmi les peuplades encore idolâtres de son vaste diocèse, combattit l'arianisme qui faisait de grands ravages dans son troupeau, et réunit un synode pour extirper la secte des acéphales. Furieux de voir à saint Éleuthère tant d'énergie, quelques sectaires se jetèrent sur lui, comme il sortait de l'église de Notre-Dame, t le laissèrent pour mort sur la place. Le saint survécut cependant plus d'un mois à cet affreux attentat. II mourut, le 20 février 531, et ses restes sacrés furent inhumés à Blandin, dans l'église des Saints-Apôtres [78]. * * * 21 février. (Crocus versicolor). Saint Pepin; sainte Vitaline; saint Sévérien. Saint Pepin de Landen mourut le 21 février 640 ou 647, à Landen. Il y vit probablement le jour, puisqu'il en porta le nom et qu'il y fut enterré; mais plus tard, on ne sait à quelle époque, son corps fut transporté à Nivelles, où il repose près de l'autel de sainte Gertrude, sa fille, et où une même tombe réunit ses restes à ceux de sainte Itte, son épouse, et à ceux de sa nourrice. Le jour de la translation, un grand cortége de personnes portant des flambeaux accompagna ses restes mortels depuis Landen jusqu'à Nivelles et dans tout ce long trajet, le vent, quoiqu'il fût très-impétueux, n'éteignit pas, dit-on, un seul de ces cierges. C'est pourquoi ce bienheureux prince y est honoré comme un saint, quoiqu'il ne soit pas encore canonisé, et chaque année aux processions des Rogations, sa châsse est portée avec celle de sainte Itte ou Iduberge, son épouse, et de sainte Gertrude, sa fille. On attribue à Pepin la fondation du sanctuaire de Marie qui subsiste encore à Landen [79]. * * * 22 février. (Bellis perennis.) Chaire de saint Pierre à Antioche, fête instituée en mémoire du siège pontifical, que le vicaire de Jésus-Christ établit d'abord à Antioche, la dernière année du règne de Tibère. C'est la plus ancienne et la plus importante fête de saint Pierre. Nous la trouvons déjà indiquée dans la liste composée en 354 à Rome. Elle se célèbre le jour même où dans les premiers temps du christianisme on chômait l'anniversaire de l'enterrement des saints Pierre et Paul, et par la coïncidence de quelques solennités païennes qui avaient lieu vers la même époque, elle devint bientôt très-populaire. Car les usages qui se pratiquent encore maintenant ce jour-là dans différentes contrées de l'Allemagne et des Pays-Bas, sont évidemment d'origine païenne. N'ayant pu réussir à les abolir, l'Église chercha à les christianiser peu à peu, en substituant la fête de la chaire de saint Pierre à celle de la « parenté chérie » qui se célébrait le 22 du sprokkelmaend. C'est pourquoi dans les documents du moyen-âge ce jour est ordinairement désigné par son nom primitif de « cara cognatio ». Comme le nom l'indique, cette fête se chômait en l'honneur des parents ou amis décédés. On se rassemblait aux pieds de leurs tombeaux on y renouvelait chaque année le repas funèbre ou le « dadsisas [80]. » A l'origine ce repas, qui terminait les funérailles, avait lieu le troisième, le septième et le trentième jour après le décès, mais Charlemagne borna ces repas à un seul banquet qui devait se donner le jour même de l'enterrement, usage qui s'est maintenu jusqu'à nos jours dans presque tous les villages de la Belgique. Les « trentaines, » qui se pratiquent encore sous le nom de « dertigste, » et les messes appelées en Flandre « derde en sevenste, » troisièmes et septièmes, nous rappellent l'ancienne cérémonie du « dadsisas, » tandis que la croyance, d'après laquelle on réjouit les âmes du purgatoire en bénissant ce jour les racines et les fruits dont on veut faire usage, se rattache probablement à la fête de la parente chérie [81]. Comme le printemps de l'ancienne année dans le nord teutonique commençait au 22 février, ce jour est resté un grand jour de sort pour le temps. On aime que ce jour soit clair cela fait espérer qu'il ne gèlera pas en mai. S'il gèle la nuit avant la chaire de S. Pierre, le froid ne cessera pas avant quarante jours. S'il ne gèle pas ce jour, il ne gèlera plus du tout [82]. * * *

Traditions et légendes de Belgique (7 à suivre).

18 février. (Veronica vivensis.) Saint Siméon, évêque. Le carême a été institué par l'Église pour préparer les fidèles à la fête de Pâques. Dans les premiers siècles du christianisme, le nombre des jours destinés à la mortification et à la pénitence variait d'après les usages des diocèses. Ici on jeûnait durant quarante jours, en souvenir du jeûne de Jésus-Christ dans le désert; là le jeûne s'étendait jusqu'à soixante-dix jours, parce qu'on avait coutume de supprimer quelques jours de jeûne pendant la semaine et qu'on avançait en conséquence le commencement du carême pour obtenir, en les additionnant, les quarante jours de rigueur. C'est pourquoi on a appelé les dimanches qui précèdent le carême « septuagésime, sexagésime, quinquagésime » tout comme le nom de « quadragésime, » applique au premier dimanche de carême, indique que ce dimanche tombe pendant le carême de quarante jours. Le pape saint Grégoire ordonna vers la fin de sa vie que le carême commencerait au mercredi appelé depuis « jour des cendres; » mais on a conservé aux dimanches qui précèdent le carême leurs anciennes dénominations, et dans l'office divin, on les célèbre à peu près avec les mêmes cérémonies que ceux du carême. La manière dont on a observé les jours de carême a varié selon les siècles et les pays [74]. En Belgique on a de tout temps observé le jeûne avec rigueur, et en l573 encore un Montois eut la tête tranchée pour avoir enfreint l'abstinence du vendredi [75]. * * * 19 février. (Veronica agrestis.) Saint Boniface; sainte Éléonore; sainte Ernestine; saint Gabin; sainte Véronique. Dans les deux églises, qui sont consacrées à saint Boniface, on chôme la fête du saint évêque de Lausanne. Ce célèbre prélat dut quitter son siége pour avoir fait une opposition violente à l'empereur Frédéric il. Né à Bruxelles d'un orfèvre qui demeurait, paraît-il, à la Cantersteen, mais dont on ignore le nom, il se rendit en 1240, après s'être démis de sa dignité, en Brabant auprès du duc Henri II. Vers l'année 1258, il fut recteur de théologie à Paris; il mourut en 1265 près de Bruxelles, dans l'abbaye de la Cambre, qui lui servit de refuge. Il fut enterré dans le chœur des prêtres, où l'on voyait sa tombe, élevée de quatre pieds au-dessus du sol. A l'endroit où il demeurait, à la Cambre, un père récollet, François Vancutsem, éleva une chapelle en son honneur. En souvenir des dons qu'il fit au monastère, le dimanche de Laetare, de grands pains, appelés pains de saint Boniface, étaient distribués aux pauvres. On avait conservé son calice dont on se servait pour administrer le sacrement de l'Eucharistie aux religieuses. Car, par sa dévotion et par ses vertus, Boniface avait acquis une grande réputation de sainteté. On solennisait sa fête en vertu d'une bulle du pape Clément XI, de l'année 1702, qui le plaça au rang des bienheureux. Le 25 juin 1600 ses restes mortels furent exhumés et placés dans une chasse de bois par Robert d'Ostebaere, abbé de Cambron et de Hautmont , que l'archevêque de Malines avait autorisé à cet effet. Cette châsse, qui est recouverte en écaille et garnie d'ornements en argent et en bronze doré, fut déposée en 1796 à l'église de Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles, d'où une partie de ces reliques ont été transportées, le 9 mai 1852, à l'église d'Ixelles qui avait été livrée au culte le 1er avril 1849, et dont le patron est saint Boniface [76]. Dans le pays flamand on croit que les arbres transplantés le 19 février sont sous la protection de « Sinte Vreke » (sainte Véronique) [77]. *

Traditions et légendes de Belgique (6 à suivre).

A Gand on avait autrefois l'habitude de faire des gaufres, et même au béguinage les béguines invitées par leur supérieure se réunissaient devant une grande table chargée de gaufres et de vin [64]. Dans le pays de Limbourg, surtout au plat pays, on fait des gâteaux à l'huile (oliekoeken), des boules à la graisse (smoutbollen), des galettes de sarrasin (boekweitkoeken) et des gaufres (wafelen), et on s'évertue à manger et à boire. La meilleure tonne de bière est entamée, et l'on sert tout ce qui se trouve encore de jambons, de saucissons et de côtelettes dans la maison, valets et fermier, servantes et maîtresse de la maison, tous se mettent ensemble à table et mangent à l'envi pour se préparer aux quarante jours de jeûne [65]. Car « Vastelavondsgezellen zyn Heeren van Kortryk » dit un proverbe flamand, pour exprimer que mardi gras n'est pas de longue durée [66]. Les personnes âgées se contentent d'un repas plus frugal, et vont à l'église pour y assister aux prières de quarante heures qui commencent déjà ce jour-là. Dans quelques localités de la Campine, entre autres à Meerhout, les écoliers faisaient combattre des coqs. Quelques jours auparavant ils allaient de métairie en métairie afin d'obtenir des coqs pour le combat, ce que du reste les fermiers ne leur refusaient jamais. Quiconque prenait part au combat, payait quatre cents au maître d'école qui lui donnait en revanche autant de feuilles de papier que de fois son coq était vainqueur. Celui dont le coq comptait le plus grand nombre de victoires, devenait ri et recevait vingt-quatre feuilles de papier; celui dont le coq restait le dernier dans la lice, devenait « perkhouder » ou tenant, et recevait douze feuilles de papier. Heureux, deux fois heureux était celui qui devenait roi et tenant tout à la fois, car il recevait trente-six feuilles de papier! Les filles de leur côté achetaient une poule, la laissaient courir et la poursuivaient. Celle qui réussissait à l'attraper devenait reine, et ses compagnes la conduisaient solennellement à la maison, où l'on passait le reste de la journée en prenant du café avec du gâteau aux corinthes en dansant et en chantant. En d'autres endroits les filles décapitaient un coq. Mais tous ces jeux ont été interdits par suite de l'inspection des écoles [67]. A Thielt, le mardi gras donne lieu depuis quelques années à un concours de chevaux, ou « paerdenfeest, » qui y attire une grande foule de peuple. Un grand nombre d'idées populaires se rattachent au mardi gras ou vastenavond : Si le mardi gras le temps est beau, les pois réussiront. Si le soleil brille le mardi gras, c'est de bon augure pour le lin, pour les épis de blé et pour le froment. Ce qu'on sème le mardi gras reste longtemps vert. Si le soleil luit de bonne heure, les premières semailles réussiront. Qui boit un verre de lait le mardi gras n'a pas à craindre, pendant l'été, les rayons du soleil; il n'en souffrira nullement. Qui veut rester exempt de fièvre, ne doit pas souper le mardi-gras. Bonne entreprise se commence le mardi gras. Le mardi gras est le jour de fête du millet; il est bon d'en manger une bouillie ce jour. Si les ménagères filent en ce jour, leur récolte de lin ne réussira pas; car ce fou de carnaval ne veut pas voir le rouet [68] * * * 17 février. (Crocus susianus.) Saint Julien; saint Sylvère; saint Sylvain; saint Théodule. Le jour des Cendres s'appelle en flamand « Aschdag, Aschewoensdag ou Kruiskensdag » (jour des cendres, mercredi des cendres ou jour des croix), noms qui tous se rattachent à la cérémonie bien connue de ce jour. A l'origine, on ne distribuait des cendres qu'à ceux qui devaient faire pénitence publique et dont la pénitence commençait encore en ce jour ; car dans tous les temps on s'est servi des cendres comme emblème de la pénitence. Plus tard quelques chrétiens, par humilité et par dévotion, s'adjoignirent aux pénitents pour recevoir aussi les cendres. Enfin en 1091, il fut ordonné par le concile de Benevent, que la distribution des cendres aurait lieu pour tous, afin de rappeler aux fidèles du commencement du temps de la pénitence et de leur enseigner l'humilité. C'est pourquoi, en donnant les cendres, le prêtre dit les paroles sacramentelles : « Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris. » (Souviens-toi, ô homme, que tu n'es que poussière et que tu retourneras en poussière). Pour indiquer avec plus d'insistance le néant du monde et surtout la fragilité des plaisirs, il est de précepte qu'on doit se servir de cendres des rameaux bénits l'année précédente et qui ont signifié par conséquent l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem [69]. En Belgique, où les pratiques de dévotion sont mieux observées qu'ailleurs, les gens vont le matin à l'église pour y recevoir sur le front la marque d'une petite croix noire d'une matière liquide, composée de cendre et d'eau bénites de la main d'un prêtre [70]. Autrefois il y avait des prix destinés aux jeunes filles qui avaient les plus belles croix, et « celle qui sait garder sa petite croix tout entière jusqu'aux Pâques,» disait-on proverbialement au pays de Limbourg, » recevra de monsieur le curé un habit neuf » (die zyn kruisken tot paeschen toe gaef weet te bewaren, zal van mynheer den pastoor een nieuw kleed krygen) [71]. Mais, au sortir de la messe, les classes inférieures, surtout les campagnards, ont coutume d'employer le jour qui devrait être voué à la pénitence, à boire dans les cabarets du genièvre et d'autres boissons spiritueuses, en vue de « noyer la petite croix » (het kruisken verdrinken), et les jeunes filles, au lieu de retourner à la maison, attendent leurs amants, à la sortie de l'église pour les accompagner au cabaret. Un usage tout particulier se pratique dans quelques localités du pays de Limbourg, entre autres à Maeseyck. C'est celui qu'on y appelle « heringbeeting, » mordre le hareng. De retour de l'église, on suspend à une certaine hauteur du plancher, au milieu d'une porte ouverte, un hareng, dont il faut arracher un morceau avec les dents en sautant à cloche-pied et les bras serrés contre le corps. Comme le jour des Cendres, à l'égal du vendredi saint, est un grand jour d'abstinence, pendant lequel il est défendu de manger du beurre, de la crème, du fromage et généralement toute sorte de laitage, les fèves blanches et les harengs composent la nourriture principale de la journée. En plusieurs endroits on fait alors de petits pains blancs tout particuliers qui à Anvers s'appellent « wekken, » à Namur « lunettes. » Dans cette dernière ville on se sert de préférence de « mélasse, » espèce d'hydromel. A Diest se tient ce jour-là un marché aux chevaux assez considérable. Cette ville avait, de temps immémorial, le droit d'un marché franc qui se tenait le mercredi de chaque semaine et auquel se rendaient bon nombre de chevaux. Mais au temps des troubles, des guerres de religion, les marchands de chevaux ne vinrent plus à Diest, choisissant d'autres endroits aux environs de la ville pour y vendre leurs chevaux. C'est pourquoi, en 1585, le magistrat de Diest adressa une requête au prince de Parme, et celui-ci renouvela à la ville, par un décret du 23 décembre de la même année, l'ancien droit de tenir comme auparavant le marché franc du mercredi aussi bien que le marché aux chevaux. Ce décret fut confirmé, le 1er mai 1608, par les archiducs Albert et Isabelle, et le 17 juin 1650 par le roi Philippe IV d'Espagne qui donna en outre, le 4 mars 1661, un édit concernant les fraudes des droits d'étape. Le poète P. François Lyftocht, augustin, natif de Diest, nous a laissé une histoire en vers de ce marché aux chevaux dans son ouvrage intitulé « Het tweede deel van den Voor-winckel van Patientie in den droeven tegenspoet » (Cologne, 1681) [72]. Un dicton populaire se rattache au jour des Cendres :» Le mercredi des Cendres le diable poursuit fillettes au bois [73]. » * * *

Traditions et légende de Belgique (5 à suivre).

A Courtrai on promène une géante : « Mevrow van Amazonie; » à Ath « Mme et M. Goujas » ou Goliath; à Bruxelles « Ommegan » et sa famille. A Hasselt l'ancien géant, « Lange Man, » a reparu en 1835 à l'occasion du jubilé; il était sur un char attelé de 4 chevaux, et assista à une distribution générale de soupe qui se fit en mémoire d'une disette, dont les habitants avaient été frappés en 1638. A Rupelmonde il y avait autrefois un édifice dit « Reuzenhuys » ou « Pronkhuys, » destiné à mettre à couvert les géants, chameaux, dragons qui figuraient dans la grande procession [58]. Les villes de Lille, Douai, Cassel, Hazebrouck et Dunkerque au nord de la France ont également leurs géants communaux; ceux de Cassel et de Hazebrouck paraissent chaque année, le mardi gras [59]. Le carnaval belge n'offre plus aujourd'hui que très-peu de particularités. On y voit des masques qui depuis le matin jusqu'au soir circulent par bandes plus ou moins nombreuses dans les rues, s'annonçant de loin par le son du cornet ou de la corne de bœuf; mais leur nombre va diminuant d'une année à l'autre. Et puis, les mascarades n'ont plus en Belgique ce caractère de gaieté et d'esprit sarcastique qu'il leur faut. C'est à peine si à Anvers on se lance encore les uns aux autres des croquignoles. Dans les grandes villes on arrange presque chaque année des cavalcades, représentant soit un fait historique, soit une mise en scène de quelque question politique ou sociale, et qui pendant le carnaval font quelques fois le « tour » ou « toer; » mais on le fait plutôt dans le dessein de profiter pour faire une quête pour les pauvres, de la grande affluence de curieux attirés par ce spectacle que par amour pour les folles gaîtés du carnaval. Il existe même en plusieurs villes des sociétés particulières n'ayant d'autre but que celui-là, telles que la « chambre des jeunes gens » ou « Jongmans kamer » à Hasselt, la « clique infernale » à Diest, les « royalistes » ou « konigsgezinden » à Anvers. C'est peut-être une spécialité du carnaval belge que de ne pas se passer sans utilité pour les indigents. Car les collectes que font les différentes sociétés, surtout celles de chant, pendant les jours de carnaval, en allant le soir, où tous les bals, les cafés et les estaminets regorgent de monde, d'un lieu public à l'autre, chanter et quêter, produisent chaque année des sommes assez considérables. Mais, à l'exception des bals masqués, donnés aux Variétés à Anvers, qui à bon droit jouissent d'une grande renommée, les divertissements du carnaval dans les villes belges ne se distinguent en rien de ceux qui ont lieu en toute autre ville catholique à la même époque. A la campagne les enfants vont les trois derniers jours du carnaval, de maison en maison chanter et quêter en accompagnant leur chanson de la musique peu harmonieuse, mais très-populaire du « rommelpot. » Cet instrument se compose d'un pot de terre ou de faïence, surmonté d'une peau de vessie tendue, au milieu de laquelle est introduit un tuyau de paille ou de jonc. Pour faire résonner le rommelpot, on mouille les doigts et le pouce, et on les promène le long du tuyau en le frottant, ce qui rend un son ronflant. Les peintres flamands ont souvent représenté des scènes où figure cet instrument, qui en Flandre et dans les environs de Bailleul en France est aussi bien connu qu'au nord de l'Allemagne [60]. A Maeseyck et dans les environs de cette ville les enfants chantent avec accompagnement du rommelpot la chanson suivante dont nous devons la communication à l'extrême obligeance de Mme Schoolmeester à Maeseyck: Vastenoavend die komt aen, Looit die meisjes vreug opstaen Zy keiken hier, zy keiken daer, Zy keiken romme dromme Moeder staet me mutske wel, Me lief zal dezen oavend kome. Kumt ze dezen oavend neet, Dan komt ze den hielen vastenoavend neet. Dan trouw ig met noaber Jensche. Noaber Jensche zal op de dromme sloan. De gek zal lierre danse. Hoarrtte, dievelanskette, Woa zulle we die auw wiever opzette. Op ein auw kokepan. Dit joar eine schilling, Het anger joar eine penning. Vrouw en meister blieft gezond. Zet die leyer an die wan, Sniet het spek drie elle lang Loat het metske zenke Doer die vette schenke. Loat het metske valle Doer die vette halle. Hei! vrouw eine gooye vastenoavendsbroog. Jg heb zoe lang met de rommelspot geloupe, Ig heb ge gelsch om brood te koupe. Rommelspotterie, rommelspotterie, Geuf mig ein oirtsche dan goan ig verbie [61]. Dans les environs de Turnhout on accompagne une autre chanson du rommelpot. La voici telle que M. le docteur Renier Snieders a eu l'obligeance de me l'envoyer : Vastenavond, goede gebuer, Ik heb nog geenen man. Ik heb nog een klein hoentjen, Dat moet er t'avond, aen. Als ik myn hoentjen braden wil, Dan is myn panneken vuil. Als ik myn panneken schuren wil, Dan tintelt mynen duim. Dan loop ik naer de geburen, En laet myn panneken schuren, Dan loop ik naer de pannen, En laet myn panneken dansen. Vastenavond die komt aen, Klinken op de bussen; Hier eenen stoel en daer eenen stoel, Op uwen stoel een kussen; Meisjen, houdt uw kinnebak toe, Of ik sla er een pannekoek tusschen. Dans les villages du pays de Limbourg, vers la frontière de la Prusse, les enfants munis d'un grand et d'un petit panier vont de porte en porte chanter la chanson très-ancienne: Een kluitjen en een koolken, Een vonkelhoutjen, een! Hier woont ook nog'ne ryke man, Die ons nog iet geven kan, Geeft ons iet en laet ons gaen, Laet ons niet zoo lang hier staen, Wy moeten nog zoo wyd gaen. La paysanne donne un « kluitjen, » espèce de briquette formée de terre grasse ou d'argile et de houille, ou bien une bûche et quelques œufs, afin de ne pas entendre les compliments très-peu flatteurs que les chanteurs adressent infailliblement à tous ceux qui les renvoient les mains vides. La quête faite, la troupe joyeuse se rend à la chaumière d'une pauvre veuve ou d'une autre femme indigente et lui donne le grand panier rempli de matières combustibles suffisant souvent pour le chauffage de quelques jours, à condition que le soir du mardi gras elle fasse, avec les comestibles que contient le petit panier, du « koekebak, » des crêpes, ou des « pannekoeken, » des omelettes, pour toute la compagnie. Car la bonne chère est la condition essentielle du mardi gras. Comme les Provençaux ont sanctifié ce jour de bombance sous le nom de « saint Grévaz, » les Flamands, surtout ceux du nord de la France, l'ont personnifié sous le nom de « saint Pansart » ou « Panchard, » en représentant ce saint de leur fabrique avec une a panse » énorme, fruit de ses nombreux succès dans l'art des gourmands, qui lui valut son nom et son origine [62]. D'une manière toute analogue les Wallons ont créé « saint Charalampe. » C'est surtout de « koekebak, » de pannekoeken et de gaufres que l'on fait, ce jour-là, une consommation énorme. « Zy heeft het zoo druk, als de pan te vastelavond » dit-on en flamand, en parlant d'une personne qui travaille beaucoup, surtout dans la cuisine. En beaucoup d'endroits on mangeait autrefois dans les familles une grande tarte appelée « vastenavondstaert, » tarte du carnaval, qui à l'instar du gâteau des rois contenait une fève. Celui à qui échéait la fève, devenait roi [63].