mardi 20 novembre 2012

Traditions et légendes de Belgique (10 à suivre).

24 février. (Osmunda regalis.) Saint Ethelbert; saint Mathias; saint Modeste. Les jours de la première semaine du carême ont presque tous des noms particuliers. Le lundi s'appelle « blauwen maendag » lundi bleu [90], dénomination que l'on attribue à la coutume de tendre ce jour les églises en bleu ou en gris, et qui, en Allemagne, désigne le lundi du carnaval. Étant le lendemain du grand carnaval ou « groote Vastelavond, » le lundi bleu est un jour d'amusement populaire par excellence et c'est de là qu'est venue l'habitude désastreuse de « la saint lundi » ou de faire le lundi bleu « de blauwen maendag houden ». Dès le douzième siècle, on essaya en Belgique, de combattre la coutume du lundi bleu, comme païenne, impie et désordonnée. Les méfaits commis ce jour-là se punissaient plus sévèrement que ceux qui étaient commis un autre jour; les moines faisaient des prêches particuliers aux compagnons de métiers pour les faire renoncer aux lundis bleus, aussi nommés « vriyenmaendagen, « lundis libres, ou « pufmaendagen, » lundis de plaisir, mais tous ces efforts n'eurent qu'un faible succès, puisque l'habitude de faire le lundi continue à subsister [91]. Le mardi s'appelle « broederlyke-tuchtiging_dinsdag » mardi du châtiment fraternel, d'après l'Évangile du jour. Les maîtres d'écoles, en plusieurs endroits, pour être d'accord avec les exigences du jour, punissaient ceux de leurs élèves qui, pendant l'année, s'étaient montrés les plus dignes de cette distinction. Le jeudi tire son nom de « cananiterin-donderdag, > jeudi de la cananéenne, également de l'Évangile. C'était autrefois une espère de fête des dames, qui avait quelque analogie avec la veille des dames, bien que les cadeaux fussent de petite valeur. Le vendredi est nommé « Wynboer-vrydag, » vendredi des vignerons, encore d'après l'Évangile du jour. C'était jadis un jour de fête pour les vignerons [92]. Au dix-septième siècle se tenait dans l'hôtel de ville de Bruxelles, pendant la première semaine du carême, une foire appelée « la folie aux verres » ou « le marché aux glaces du grand carême (« glazemerkt van den grooten vastelavond »). Elle existait déjà en 1635. On n'y allait que de nuit; les salles du palais étaient remplies de toutes sortes de marchandises, et les dames de la cour, assises dans les boutiques et parées à l'avantage, jouaient des pièces d'orfèvreries et autres bijoux à la façon qui se pratiquait à la foire de Saint-Germain » [93]. * * * 25 février. (Amygdalus persica.) Saint Mathias, en l'honneur duquel six églises sont consacrées. Cette fête est un grand jour de sort pour les hommes. Si on pose sur l'eau contenue dans un vase des deniers creux, celui dont le denier ira le premier à fond doit mourir le premier. Si, la nuit, on jette un soulier en arrière par dessus sa tête, et que la pointe se dirige vers la porte de l'appartement, on le quittera bientôt soit pour aller rejoindre ses ancêtres, soit au moins pour déloger. Si saint Mathias trouve de la glace, il la brise; s'il n'en trouve pas, il en fait [94]. S'il gèle pendant la nuit, le froid ne cessera pas avant quarante jours. C'est pourquoi en quelques localités on place la nuit dans le vestibule un pot d'eau pour voir si l'eau gèlera ou non [95]. Dans le pays de Limbourg on dit « sint Matthys werpt den eersten steen in 't ys, » saint Mathias jette la première pierre dans la glace [96], pour désigner le commencement du dégel qui, avant la réforme du calendrier, avait ordinairement lieu vers cette époque. Aussi était-il d'usage en différentes villes de transporter, le jour de saint Mathias, les neiges et les glaces hors des portes, sur des chariots conduits par des gens masqués qui faisaient mille tours aux jeunes filles [97]. Les sociétés nommées « Kalandbroers, Kalendebroeders » ou « fratres Kalendarii,» qui reconnaissaient saint Mathias pour leur principal patron, célébraient cette journée très-pompeusement. Ces confréries, connues dans les diverses contrées de la Basse-Allemagne, se composaient d'ecclésiastiques et de séculiers, mariés ou non; les femmes même n'en étaient pas exclues. Leur but était de prier en commun, de décider quels jours de fête devaient être particulièrement célébrés et avec quelles solennités (ad festa et sacra singulis mensibus ordinanda) enfin de se réunir afin de s'adonner à des amusements honnêtes. L'association, qui reconnaissait une parfaite égalité de rangs à ses membres, s'occupait de fixer la somme d'aumônes à accorder aux pauvres qu'elle jugeait dignes do pareils dons. La réception des membres, parmi lesquels se trouvaient toujours six ou douze ecclésiastiques, se faisait à la majorité des voix. Chaque confrérie avait ses doyens et camériers qui réglaient ce qui se rattachait aux affaires financières et à l'observation des réglements, approuvés ordinairement par les évêques des diocèses respectifs. Tous les membres s'assemblaient le premier de chaque mois pour régler les affaires de la société et pour assister à un repas commun. C'est ce qui a donné lieu à la dénomination de « calandgilde » ou « broederschap der kalenderbroederen. » Personne ne sait au juste quand ces associations prirent naissance. Elles se disaient très-anciennes et leurs repas communs rappellent les agapes des premiers chrétiens, qui, malgré les défenses formelles et réitérées de plusieurs conciles, continuèrent à subsister jusqu'à la fin du septième siècle. Toutefois, on a cherché à prouver qu'elles ne datent que du treizième siècle, lors de l'institution du rosaire par saint Dominique, et que le couvent d'Ottberg, sur le territoire de l'abbaye de Corvey, en Westphalie, fut leur berceau, d'où elles se seraient étendues dans les Pays-Bas et sur une grande partie de l'Europe. Ce qui est certain, c'est que différents papes et empereurs leur avaient témoigné de la bienveillance, et que les rois de France leur permirent de s'établir dans leur royaume. Au commencement du seizième siècle encore, les « Kalenderbroederen » ou « Kalandbroers » étaient bien vus partout et avaient acquis d'importantes possessions. Mais, peu de temps après, il s'éleva contre eux des accusations de tout genre. Les protestants prétendirent que les Kalandbroers s'adonnaient à la débauche. Le bras séculier ne tarda pas à sévir contre eux; leurs confréries furent dissoutes et leurs biens confisqués au profit de l'État. Même dans les pays catholiques, cet exemple trouva des imitateurs; il n'y eut que quelques associations fondées sur des principes analogues, par exemple les chapitres de sainte Marie à Tirlemont, à Léau, etc., qui ne furent pas abolies. Ces chapitres qui remontent au treizième siècle, sont les premiers, en Belgique, parmi lesquels on trouve, outre des ecclésiastiques, des frères séculiers, mariés ou non; cependant, on n'y acceptait pas de personnes mariées en secondes noces. Si l'on en croit la tradition, chaque frère devait s'engager par serment à ne pas déclarer le montant des revenus de l'association. En 1794, les dernières de ces associations semi-ecclésiastiques disparurent, mais à Tirlemont on raconte encore de nos jours des récits fabuleux qui se rattachent au chapitre de sainte Marie, dont les membres étaient appelés par le peuple « hinnen priesters. » Les phrases flamandes « hy geeft eenen grooten kaland » (il donne un grand banquet), ou « hy kalandert reeds de gansche week » (il fait déjà la vie pendant toute la semaine), que l'on entend souvent dans la bouche des classes inférieures, pourraient bien être le dernier souvenir des anciens kalandbroers [98]. *

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