LE MAÎTRE DE FLANDRE ( 2 ) - Texte de Rudy Cambier
Suite du feuilleton annoncé du texte inédit de Rudy Cambier. Nous remercions de tout coeur l'auteur de nous confier son texte.
" Tout à coup, sans la moindre raison raisonnable, Arnold me demanda : "Et Nostradamus, qu'est-ce que tu en penses ?" Ce à quoi je répondis sans méditer : "C'est de la merde". Et nous parlâmes d'autre chose.
Cette question existentielle de haute volée et la réponse puissamment philosophique n'étaient même pas un coq-à-l'âne avec retour de l'âne au coq : ça n'avait ni queue, ni tête, ni sens, ni cause, ni mobile, ni excuse. Près de vingt ans après les faits, Arnold ne comprend toujours pas pourquoi il a sorti impromptu cette phrase-là à ce moment-là, et de mon côté, je suis totalement incapable de trouver un semblant de motif pour m'en être souvenu. Même le mot "Nostradamus" ne revint pas de si tôt dans nos conversations.
Ce qui aurait dû finir dans le néant qui digère nos incohérences quotidiennes déboucha en finale sur un coup de théâtre. Car, des semaines plus tard, en route pour aller chercher des lames de rabot au Brico régional, alors que je pilotais pépèrement le brave vieux clou qui me sert de voiture, je me dis brusquement et sans la moindre raison : "Pourquoi ai-je répondu ça à Arnold ? Je ne sais rien de Nostradamus. Ce dont je suis sûr, c'est d'avoir eu en main, chez deux ou trois bouquinistes, l'un ou l'autre machin dont le titre contenait le mot "Nostradamus", d'avoir ouvert la chose, d'avoir saisi une feuille dans la préface, d'avoir abandonné au bout d'une demi-page en concluant : "C'est mal écrit et l'auteur est un prétentieux crétin." Ayant songé cela sur fond sonore de moteur ronronnant, dans l'instant mon esprit l'oublia et passa à une autre songerie, autre chose de bien plus intéressant, sans doute la tache d'un champ de phacélies, ou deux vaches dans un pré, ou la couleur de la robe d'un cheval, ou le vol d'un oiseau, ou le port d'un arbre tortu.
Et voilà que plus tard, des semaines sans doute, je ne sais plus ni où ni quand, le fantasme revint rôder : "Pourquoi diable ai-je répondu ça à Arnold ? Je n'ai jamais lu les prophéties de Nostradamus". Et l'idée s'évanouit tout aussi vite. Le printemps s'alluma puis passa, l'été trépassa, l'automne s'installa, toutes saisons ponctuées par la surrection périodique de cette futilité qui affleurait sans règle ni régularité.
Et un jour de novembre, je décidai que c'en était assez. J'allais lire ces fameuses prophéties de Nostradamus. Vu qu'Arnold avait mis l'affaire sur le tapis, j'en conclus qu'il devait posséder les Prophéties, je téléphonai, tombai sur Mireille, sa femme, à qui je fis ma demande :
— Est-ce que tu pourrais me prêter ton bouquin des prophéties de Nostradamus ?
— Quel bouquin ? Nostradamus ? Je n'ai jamais vu ça chez nous. Attends, je demande à Arnold.
Un temps, puis :
— Non, on n'a jamais eu ça.
J'aurais dû m'en douter vu que le gars n'est pas à classer dans les évaporés permanents ou les acharnés de la fantaisie : directeur-adjoint d’un ministère de la Région wallonne au Royaume de Belgique, il était en charge de la sécurité des aérodromes et aéroports wallons.
En ce qui me concerne, si je ne suis pas un dépensier frimeur je n'ai pourtant rien d'un harpagon, mais acheter un de ces machins prophétiques au prix fort, pas question ! Je me serais même encore senti floué en déposant une aumône d'un quart d'euro dans la caisse d'un bouquiniste en échange de prophéties. Je décidai donc d'aller tenter ma chance à la bibliothèque d'Ath où l'emprunt, en ce temps-là, était gratuit. Gérard Demartin, un ami du temps de l’école, officiait derrière le comptoir. Il me dénicha dans la cave l'œuvre d'un certain Pichon, un livre qui s'appelait Nostradamus en clair. C'est ainsi que, refusant de débourser un quart d'euro pour faire mon achat, je dépensai trois euros d'essence pour ne pas avoir à payer un bouquin qui
m'aurait coûté le douzième de cette somme-là. Bah, les principes aussi ont leur prix !
Je rentrai dans mon Pays des Collines à mon train, celui d’un sénateur à la retraite, musant et musardant, réjoui par avance de la certitude que, sous peu, je saurais tout ce qu'il faut savoir sur Nostradamus, avec en prime la garantie de tout comprendre vu le titre du bouquin..."
( à suivre... )
Suite du feuilleton annoncé du texte inédit de Rudy Cambier. Nous remercions de tout coeur l'auteur de nous confier son texte.
" Tout à coup, sans la moindre raison raisonnable, Arnold me demanda : "Et Nostradamus, qu'est-ce que tu en penses ?" Ce à quoi je répondis sans méditer : "C'est de la merde". Et nous parlâmes d'autre chose.
Cette question existentielle de haute volée et la réponse puissamment philosophique n'étaient même pas un coq-à-l'âne avec retour de l'âne au coq : ça n'avait ni queue, ni tête, ni sens, ni cause, ni mobile, ni excuse. Près de vingt ans après les faits, Arnold ne comprend toujours pas pourquoi il a sorti impromptu cette phrase-là à ce moment-là, et de mon côté, je suis totalement incapable de trouver un semblant de motif pour m'en être souvenu. Même le mot "Nostradamus" ne revint pas de si tôt dans nos conversations.
Ce qui aurait dû finir dans le néant qui digère nos incohérences quotidiennes déboucha en finale sur un coup de théâtre. Car, des semaines plus tard, en route pour aller chercher des lames de rabot au Brico régional, alors que je pilotais pépèrement le brave vieux clou qui me sert de voiture, je me dis brusquement et sans la moindre raison : "Pourquoi ai-je répondu ça à Arnold ? Je ne sais rien de Nostradamus. Ce dont je suis sûr, c'est d'avoir eu en main, chez deux ou trois bouquinistes, l'un ou l'autre machin dont le titre contenait le mot "Nostradamus", d'avoir ouvert la chose, d'avoir saisi une feuille dans la préface, d'avoir abandonné au bout d'une demi-page en concluant : "C'est mal écrit et l'auteur est un prétentieux crétin." Ayant songé cela sur fond sonore de moteur ronronnant, dans l'instant mon esprit l'oublia et passa à une autre songerie, autre chose de bien plus intéressant, sans doute la tache d'un champ de phacélies, ou deux vaches dans un pré, ou la couleur de la robe d'un cheval, ou le vol d'un oiseau, ou le port d'un arbre tortu.
Et voilà que plus tard, des semaines sans doute, je ne sais plus ni où ni quand, le fantasme revint rôder : "Pourquoi diable ai-je répondu ça à Arnold ? Je n'ai jamais lu les prophéties de Nostradamus". Et l'idée s'évanouit tout aussi vite. Le printemps s'alluma puis passa, l'été trépassa, l'automne s'installa, toutes saisons ponctuées par la surrection périodique de cette futilité qui affleurait sans règle ni régularité.
Et un jour de novembre, je décidai que c'en était assez. J'allais lire ces fameuses prophéties de Nostradamus. Vu qu'Arnold avait mis l'affaire sur le tapis, j'en conclus qu'il devait posséder les Prophéties, je téléphonai, tombai sur Mireille, sa femme, à qui je fis ma demande :
— Est-ce que tu pourrais me prêter ton bouquin des prophéties de Nostradamus ?
— Quel bouquin ? Nostradamus ? Je n'ai jamais vu ça chez nous. Attends, je demande à Arnold.
Un temps, puis :
— Non, on n'a jamais eu ça.
J'aurais dû m'en douter vu que le gars n'est pas à classer dans les évaporés permanents ou les acharnés de la fantaisie : directeur-adjoint d’un ministère de la Région wallonne au Royaume de Belgique, il était en charge de la sécurité des aérodromes et aéroports wallons.
En ce qui me concerne, si je ne suis pas un dépensier frimeur je n'ai pourtant rien d'un harpagon, mais acheter un de ces machins prophétiques au prix fort, pas question ! Je me serais même encore senti floué en déposant une aumône d'un quart d'euro dans la caisse d'un bouquiniste en échange de prophéties. Je décidai donc d'aller tenter ma chance à la bibliothèque d'Ath où l'emprunt, en ce temps-là, était gratuit. Gérard Demartin, un ami du temps de l’école, officiait derrière le comptoir. Il me dénicha dans la cave l'œuvre d'un certain Pichon, un livre qui s'appelait Nostradamus en clair. C'est ainsi que, refusant de débourser un quart d'euro pour faire mon achat, je dépensai trois euros d'essence pour ne pas avoir à payer un bouquin qui
m'aurait coûté le douzième de cette somme-là. Bah, les principes aussi ont leur prix !
Je rentrai dans mon Pays des Collines à mon train, celui d’un sénateur à la retraite, musant et musardant, réjoui par avance de la certitude que, sous peu, je saurais tout ce qu'il faut savoir sur Nostradamus, avec en prime la garantie de tout comprendre vu le titre du bouquin..."
( à suivre... )
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