Nous
pourrions nous représenter l'aventure des Centuries
comme une sorte de diptyque qui accolerait un panneau obscur à un panneau
lumineux. Le premier correspondrait aux 220 premières années – de 1330 à 1550 –
pendant lesquelles l'œuvre reposa quasiment inconnue et certainement incomprise
dans la bibliothèque abbatiale. Le second panneau pourrait symboliser le coup
de fortune qui a commencé avec Nostredame au milieu du 16ème siècle. Trompé par
la graphie, la syntaxe et le style du vieux poème, croyant avoir découvert des
prophéties inconnues parce que le moine avait déguisé les faits du passé en
conjuguant les verbes au futur, le médecin provençal profita des troubles du
temps et de la guerre qui ravageait la Flandre et le Hainaut, s'empara de
l'œuvre d'un inconnu, l'emporta au loin, s'en prétendit l'auteur, la publia
sous son nom et, saisi par des concours de circonstances rares, se retrouva
élevé sur le pavois des plus grands prophètes.
Compte
tenu de la nature du personnage, rien que de normal dans ces indélicatesses.
Voilà qui n'est pas facile à faire admettre par les lecteurs, et je ne parle
pas ici des thuriféraires du mage qui n'ont pas d'arguments plus solides que
l'injure, le sarcasme, la crédulité benoîte et le mensonge délibéré, mais des
lecteurs de bonne foi.
° °
° ° °
L'intrigue.
***
Introït
… avec quelques clins d'œil au théâtre
du 18ème, de Regnard à Beaumarchais en passant par Marivaux, Nivelle
de la Chaussée, et Diderot.
La
pièce démarre par le double jeu des fausses amitiés.
Nous
sommes en 1328, à Cambron, c'est l'été. Deux jeunes gens, Arsène et Julien,
croisent deux jeunes filles, éliabel
et Poupette. Arsène de Celles-Bas, traînant en remorque Julien d'Athensis, est
un nobliau amoral et immoral, sorti en goguette et guettant la bergère à
sauter. éliabel est une fière qui
a fait des études. Poupette est une populaire du niveau intellectuel de
l'apprentie coiffeuse qui croit ce que racontent les romans-photos, méprise son
milieu d’origine et rêve au-dessus de sa classe.
Dès
le départ, Arsène a décidé de s'envoyer éliabel.
Il l'entreprend par les mensonges ordinaires, mais la fille a la nausée devant
ce type avantageux et imbuvable : éliabel
n'est pas du genre à se déculotter rien que pour le regard d'un œil qui se fait
de velours.
Le
mépris d'éliabel pour les avances
d'Arsène enclenche une réaction en chaîne : les vils instincts contrariés font
sauter le crépi des camaraderies de façade et la vérité des âmes lépreuses
apparaît au jour. Arsène exprime son mépris pour Julien et Poupette laisse
sortir sa bile. Envieuse de son amie, elle cherche l'occasion d'humilier éliabel et elle recourt au moyen dont
usent les femmes quand elles sont dans ces dispositions : rafler le mâle
dominant. Elle ne comprend pas que ce qu'elle croit être sa victoire n'est
qu'une illusion de succès, le fruit véreux d'un dépit, du dépit d'Arsène de
Celles-Bas. Arsène et Poupette s'en vont croquer la pomme dans les roseaux.
éliabel la fière et Julien le laissé
pour compte doivent bien se parler : ils étaient quatre, les voilà deux, ça ne
laisse pas le choix de l'interlocuteur. Petit à petit, par des détours bien à
lui, l'amour s'installe, d'abord chez elle.
Femelle
dominante, Éliabel a choisi le dominé au détriment du mâle dominant. Elle
bouleverse donc l'Ordre Animal. C'est une conduite qui déstabilise toujours les
sociétés, quelles qu'elles soient. Arsène de Celles-Bas se fera le catalyseur
des réactions du milieu. Arsène ne disséquera pas son âme trouble en étalant
des monologues-états d'âme : on suivra le bonhomme dans ses actions.
Arsène
alerte le père de Julien, Albert d'Athensis. Celui-ci devine bien l'hypocrisie
du soi-disant ami et l'envoie paître. Arsène se tourne alors vers la mère du
jeune homme, Marie-Gertrude de Boudenghien. Chez ces deux-là, tout est artifice
et faux-semblant, la méchanceté est le fond de leur caractère, ils ont
l'instinct du mauvais. Ils se reconnaissent donc tout de suite et font alliance
pour nuire. Leur plaisir sera total.
Marie-Gertrude
asticote son mari jusqu'à ce qu'il se décide à mettre le holà à cette amourette
qu'elle proclame ridicule. Albert d'Athensis s'attaque à un premier amour, à
l'amour absolu. Sa tentative provoque évidemment la révolte de son fils,
révolte contre le père qui est le premier pas de Julien dans l'âge adulte.
Quant
au père d'éliabel, le Philosophe,
il ne croit pas à un amour vrai dans le chef de Julien, et même si cela était,
il doute de la bonne fin d'une union entre jeunes gens issus de milieux sociaux
différents. Il se refuse pourtant à interdire et même, il conseille
subrepticement les amoureux.
Les
deux jeunes décident de faire leur vie ensemble. Être deux amoureux en quête
d'une union possible malgré l'ukase social, c'est bel et bien, mais comment
faire à Cambron en 1328 ? Se pointe le Trimard.
Première comédie.
Un
personnage neutre est préférable pour faire la liaison entre le drame bourgeois
(la partie que nous venons de narrer) et la comédie (la partie qui vient) : ce
sera le Trimard.
Trimard
présente éliabel et Julien au
frère Sidoine qui lui-même les présente à l'abbé Yves : c'est tout. Nous sommes
dans la farce. Et pourquoi pas ? De tous les genres comiques, c'est celui qui,
philosophiquement, est le plus profond. Ménandre est bien moins intelligent
qu'Aristophane. Et plus un auteur comique se pique d'être raffiné et délicat,
plus sa pensée devient mince. Bref, la comédie n'a que faire des minois
jaspinants, elle veut des gueules qui jettent des mots forts. Les mignardises
susurrées par des bouches en cul de poule ne génèrent jamais le rire des yeux
mais seulement des sourires convenus sur des lèvres froides. Pour être goûtées,
les finesses doivent avoir une certaine épaisseur.
Première tragédie.
L'abbé
n'a pas le temps d'en venir aux projets matrimoniaux et d'inviter les jeunes
gens à entrer : il se rend compte qu'éliabel
est malade et d'un geste il identifie la phtisie, ou plus exactement
l'hémoptysie. La médecine du temps est impuissante devant ce mal toujours
mortel, bien plus implacable encore que la peste.
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