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jeudi 11 juillet 2013
(suite) La fin des Templiers par Rudy Cambier.
Scène 10
***
Défilé de moines qui chantent litanies. Bon dernier, Sidoine suit à plusieurs pas, marche sur son lacet, se baisse et le renoue. Du coin de l'œil il aperçoit le Trimard et les deux jeunes qui arrivent. Il se redresse et fait semblant de prier profondément, yeux fermés, "abîmé dans la prière". Et n’oublions pas qu’Éliabel tousse de temps en temps.
Le Trimard
Frère Sidoine.
Le Trimard
Frère Sidoine.
Sidoine ne bouge pas, joue la statue, l'autre tourne autour en répétant :
Frère Sidoine, Frère Sidoine !
Hoho !
Mais qu'est-ce qu'il a ? Mais qu'est-ce qu'il a ? Jésusmariejoseph ! Mais qu'est-ce qu'il a attrapé là ? Y est comme mort debout. Y est en euhh, en calarepsie, en capaserie, … ah ! je connaissais le mot du temps que je ne buvais pas… en catapsie, c'est ça, y est en catapsie …
Sidoine laisse tomber d'une voix forte
Mais non, je ne suis pas en catalepsie. Je suis en oraison !
Le Trimard saisi
Aaaaah !
Sidoine
En oraison, parfaitement.
Le Trimard
En oraison ? On aurait pourtant dit que tu étais en … en … tu étais tout drôle.
Bon ! Je voulais seulement te …
Sidoine le coupe
Mais tu as bafoué le commandement.
Le Trimard
Bafoué le commandement ? Moi ? Bafoué quel commandement ?
Sidoine
Le moine orant ne disturberas.
Le Trimard
Hein ? Le moine en rang ne distribueras. Jésusmariejoseph ! … mais tu n'es pas en rang : on ne sait pas être en rang tout seul.
Sidoine
En rang ! Trimard, l'alcool ravage tout cerveau qu'il touche. Pas en rang, ignorant : orant, c'est-à-dire priant, comme orémus.
Le Trimard
Ah bon ! Et qu'est-ce qu'il distribuera le moine priant ?
Sidoine
Pas distribueras, ignorant. Le moine orant ne disturberas. C'est le futur de disturber.
Le Trimard
Ah bon ! Et qu'est-ce que ça veut dire disturber ?
Sidoine
Ben … je ne sais pas de trop. Y a pas assez longtemps que j’ai entendu le mot.
Mais c'est un commandement.
Le Trimard
Ah bon. Un commandement ! … C'est-y un commandement de Dieu ou de l'Église ?
Sidoine, avec un immense clin d'œil et un bon rire
C'est tout nouveau, c'est un commandement sidoinien.
Le Trimard
Jésusmariejoseph ! Quel bougre ! Il m’a encore eu.
Sidoine
Dis-moi ce que tu veux, en plus du pain.
Le Trimard
C'est pour les deux jeunes là.
Sidoine
Ah tiens ! On ne les laisse pas se marier ?
Le Trimard
Tu es déjà au courant !
Sidoine
Pas du tout. Mais à ton avis, Trimard, pourquoi un jeune homme et une jeune fille viendraient ensemble buquer au portail d'une abbaye ? Pour se faire moine et nonnette dans le même dortoir peut-être ? Approchez jeunes gens à problèmes.
ÀÉliabel puis à Julien
Ah, vous on vous connaît. Mais vous, vous êtes qui ?
Le Trimard
C'est le fils d'un homme important, Albert d'Athensis.
Sidoine
Ouioui, je vois. Un fils d'Albert et de Marie-Gertrude.
Ainsi vous voulez vous marier ?
Julien
Oui, frère.
Sidoine
Et qui s'y oppose ?
Julien
Tout le monde.
Sidoine
Oufti ! (en mettant bien l’accent tonique sur le ouf)
Ça fait beaucoup de gens.
Et du coup vous voulez encore plus vous marier.
Julien
Bien sûr.
Sidoine
Où est-ce que vous allez habiter ?
Julien
Ben, justement, on s'était dit que …
Sidoine le laisse un peu mariner, puis :
On s'est dit que, une fois qu'on sera mariés, … ils seront bien forcés d'accepter le fait accompli.
Le Trimard
Ces deux-ci ne seraient pas les premiers à avoir forcé la main.
Sidoine
À Trimard : Sûr que non ! Aux jeunes : Et vous vous êtes dit : "Marions-nous tout de suite, allons nous cacher à l'abbaye et avec le temps qui passe, à force d'être attablé devant le fromage fait, les parents finiront bien par le manger, même s'y n’lui trouvent pas bon goût", hein ?
Julien convaincu
C'est ça ! C'est exactement ça !
Sidoine
C'est pas une mauvaise idée.
À condition d'être sûr que la fureur retombera sans trop tarder.
Julien
Ben …
Sidoine
C'est que, voyez-vous, nous on ne peut pas vous garder indéfiniment. Donc, si vous n'avez ni maison ni métier, vous devrez errer de lieu en lieu et, croyez-moi, les pèlerinages c'est pas bon pour les femmes enceintes et encore moins pour les petits mioches.
Les deux jeunes sont désappointés
Sidoine reprend
Vot' problème n'est pas celui que vous croyez. Le problème n'est pas de vous marier. N'importe quel vicaire fera ça contre une pincée de monnaie et quatre pintes de bière. C'est tout à fait canonique, ça ne coûte pas cher et c'est indissoluble. La loi laïque exige que les pères disent oui, mais l'Église n'a jamais demandé le consentement des parents : il est même interdit au prêtre de leur poser la question. Les problèmes, ils commencent après le mariage à la sauvette. Vous regardez comme la grande affaire de votre vie de vous tenir chaud légalement en grimpant à deux dans le même lit, mais la grande affaire, c'est pas ça : la grande affaire, c'est d'échapper à la vindicte des familles, de trouver un toit et de manger presque à sa faim.
Sidoine à Julien
C'est vot' père qui ne veut pas ?
Julien
Il a insulté Éliabel.
Sidoine
Faut pas faire attention à ça : c'est qu'un coup de chaleur sans plus. Ça passera aussi vite qu’un été de la Saint-Martin. Et Madame vot' Mère ? C'est pas une facile, hein …
Julien
Son opposition est farouche.
Sidoine
Est farouche ! Voyez-vous ça ! Est farouche !
Évidemment, y aurait mieux valu l'inverse. L'homme est moins constant que la femme dans les haines familiales. L'homme est colérique mais la femme est assassine. L'homme oublie, la femme attend.
Il se tourne vers Éliabel
Faudra jamais accepter d’aller habiter chez ses parents, hein.
Éliabel
Vu la chaleur de l'accueil, c'est bien peu probable.
Sidoine
Oui, mais même si les choses s'arrangeaient et qu'on crierait mon cœur et mes amours, faut pas y aller. C'est que, voyez-vous, dans le combat de la belle-mère et de la belle-fille, c'est souvent la vieille qui gagne. C'est normal vu que la méchanceté est comme le mauvais vin : plus ça prend de l'âge et plus ça devient poison.
Bon ! C'est pas tout ça, mais y faut que j'aille vous chercher le père abbé.
Les trois ensemble (Le Trimard est présent !)
Merci Frère Sidoine.
Sidoine
Il lance un coup de cul dans la porte qui s'ouvre sur Yves de Lessines. L'abbé est là comme la statue du Commandeur, mais pieds nus, coiffé d'un bonnet de nuit et dans une main levée à hauteur d'entre hanche et épaule il tient une paire de chaussettes d'enfant vertes, d'un vert bien cru. On doit le voir dominer la scène, il doit donc y avoir derrière la porte une sorte d'escalier (rappel du fameux escalier de Cambron : "le plus bel escalier d'Europe") sur lequel Yves se tient.
Sidoine fait ici un numéro de clown, un peu à la manière de Bourvil dans La Bonne Planque. Toujours tourné vers le public, fier de son gag (ouvrir la porte d'un coup de cul) il se tord de rire, lève le pouce, etc. Les trois autres sont pétrifiés. Sidoine essaie de les dérider, sans succès. Puis Le Trimard essaye par signes d'avertir Sidoine qu'il y a quelque chose derrière son dos. Signes que Sidoine ne comprend pas et le quiproquo repart sur l'échange de signes. Le Trimard parle à la muette et Sidoine répond de même. Puis, littéralement plié en deux de rire, il se retourne et son regard tombe sur les pieds d'Yves de Lessines. Il reste cloué. Au lieu de monter, son regard descend et fuit. Toujours plié en deux, il regarde les spectateurs, recule en bafouillant.
Ha ! Ha ! Ah, aaaaahhhh, ohohohohohoh, euuuuhhhhh, Monsieueuh, Monseigneueu, ... Monsieur l'Abbé Se redresse en regardant ailleurs Je veux dire Mon Père.
Yves entre en scène, fixe Sidoine qui se tient raide.
Yves
J'ai trop honte pour t'appeler mon fils.
Il tourne autour de Sidoine, tenant toujours les chaussettes.
Yves désignant les chaussettes
Qu'est-ce que c'est ?
Sidoine
Quoi ?
Yves
Ça.
Sidoine
Ça ?
Yves
Oui, ça. Qu'est-ce que c'est ?
Sidoine
Ben, des chaussettes, … évidemment.
Yves
Évidemment ! Et que j'ai trouvées où ?
Sidoine
Est-ce que je sais moi ?
Yves
Sur ma chaise. Ce matin. Pour que je les enfile.
Sidoine
Ben évidemment ! Si elles étaient sur votre chaise c’est pas pour que le portier les mette.
Yves
Ce ne sont pas mes chaussettes.
Sidoine
Siii !
Yves stupéfait
Comment ça, si ?
Sidoine
Si elles étaient sur votre chaise, c'est que je les y ai mises et si je les y ai mises, c’est que c’est les vôtres !
Yves avec bonne foi
Mais ce ne sont pas mes chaussettes.
Sidoine avec une incroyable mauvaise foi dans la voix
À qui ça serait ?
Yves
À un gamin quelconque, mais pas à moi.
Sidoine
Mais si !
Yves
Mais non ! De toute ma vie, je n'ai jamais eu de chaussettes de cette couleur. Ça fait plus de 80 ans que je n’ai que des chaussettes noires.
Sidoine
Ben c'est qu'elles ont déteint.
Yves
Le noir noir ne déteint pas en vert d'Irlande tout de même !
Sidoine
Ça peut arriver.
Yves
Mais bougre de roi des cons, elles sont beaucoup trop petites !
Sidoine
Ça s'étend quand on les met.
Yves
Pas à ce point-là !
Sidoine
Mais si !
Yves
Si ?
Sidoine
Sûr ça !
Yves
Sûr ? ah oui ! Mets-toi à quatre pattes.
Sidoine
Mais ….
Yves
Mets-toi à quatre pattes.
Sidoine
Maiaiaiais … pourquoi…
Yves criant
À quatre pattes je te dis.
Sidoine s'exécute, tourné vers le public, puis regardant Yves
Mon père, j'irai à confesse. Je vous promets que j'irai à confesse.
Yves
Mais bougre d'idiot …
Sidoine
Je le jure ! J'irai.
Yves
Ça ne te fera pas de tort.
Sidoine
Et même que je ferai la pénitence. Sans tricher. Je le jure !
Yves saisit sa jambe gauche à deux mains et la pose sur le dos de Sidoine en disant :
Comment veux-tu qu'avec mes rhumatismes, j'enfile une chaussette si je n'ai pas une chaise où poser le pied ?
Il enfile la chaussette qui lui reste sur le bout du pied. Il va mettre son pied chaussetté sous le nez de Sidoine. Yves :
Et alors, c'est à moi ?
Sidoine se redresse et regarde candidement le père Yves
Mais à qui ça serait alors ?
…
Et maintenant que vous avez votre chaussette au pied, vous devriez ôter votre bonnet de nuit vous savez.
Yves se pétrifie ; jeu d'acteur, il prend son bonnet, le regarde puis le jette avec rage sur Sidoine qui hausse les épaules et empoche l'objet. Yves montre qu'il est excédé, il se retourne pour partir et il aperçoit enfin les autres.
Yves à Éliabel, et toujours avec la chaussette où elle est.
Tiens, tu es là toi ? Et pas toute seule.
Je me doutais que j'allais vous voir apparaître au premier jour.
Éliabel
Vous êtes au courant ?
Yves
J'ai été soldat et je suis homme d'Église : je sais donc deux fois l'importance d'un bon service de renseignements.
Sidoine
Ils sont venus demander asile, aide et protection.
Yves
Vous êtes les bienvenus. Si nous pouvons rendre service à quelqu'un, que le Seigneur en soit loué !
Sidoine pendant que le Philosophe approche
D’accord pour que nous louions le Seigneur, mais à bon prix, à bon prix. Faut assurer les rentrées.
Tiens ! v'la le Philosophe.
Salut fermier.
Le Philosophe
Salut sous-sous-sous-sous-abbé.
À Yves
Bonjour monsieur l'abbé. Fixant la chaussette :
Qu'est-ce que vous avez là au pied ? Vous êtes blessé ?
Yves regarde, se tourne vers Sidoine et avec colère :
Tu vois maintenant, j'ai l'air de quoi à cause de ta sottise !
Il fixe Sidoine d'un œil de feu et du doigt montre son pied.Lentement Sidoine s'agenouille, retire la chaussette et la glisse dans sa poche. Par la suite, il se mouchera plusieurs fois dans la chaussette, il la considère, ne sait qu'en faire, hausse les épaules et la remet en poche. À la deux ou troisième fois, il la lance avec rage vers le public. Plus tard il faudra le faire se moucher dans le bonnet de nuit, recommencer le même cirque puis le lui refaire jeter dans le public.
Yves à Sidoine
Va me chercher mes sandales et des chaussettes convenables. Et sans traîner !
Puis au philosophe pendant que Sidoine sort par l’escalier
Philosophe, je préférais quand tu me tutoyais.
Le Philosophe
Alors vous étiez un simple frère, aujourd'hui vous êtes un monseigneur.
Yves
Ce n'est pas une raison pour changer. À propos, il paraît que ta descendance à des problèmes.
Le Philosophe
À cause de l’ascendance d'un autre.
Yves
Avec Marie-Gertrude c’était couru d’avance.
Le Philosophe
Elle se prend vraiment pour la reine de France.
Yves
Chez les nobles aussi on peut péter plus haut que son cul.
Sidoine revenu
Mais elle, elle est tellement vaniteuse qu’elle pète en visant les étoiles.
Il s’agenouille et passe les chaussettes et les sandales pendant que la conversation continue.
Yves
On ne doit pas s’attendre à une noce tranquille.
Le Philosophe
Non, mais c’est pas ça qui m’inquiète le plus.
Yves
Non ?
Le Philosophe
Il y a deux choses qui me donnent du souci.
Yves
Lesquelles ?
Le Philosophe
La première c’est comment va tourner ce ménage ?
Yves
Ça, seul Dieu le sait. Et l’autre souci, c’est quoi ?
Le Philosophe
Ben si Marie-Gertrude l’asticote trop, le châtelain risque de me chercher noise pour avoir la paix chez lui. Et un fonctionnaire qui en veut à quelqu’un peut lui détruire sa vie.
Yves
Eh oui, mon ami. Et contre les impôts, y a personne pour te protéger.
Yves à Éliabel
Il y longtemps que tu tousses ?
Éliabel
Oui.
Yves
Combien de temps ?
Éliabel
Ooooh Fffff…
Yves sort une loque de sa poche.
Crache un peu là-dedans.
Il jette un très bref coup d'œil et enfouit le linge dans sa poche en disant :
Mmmmm. Je vois … C'est pas trop grave.
Tu dors bien la nuit ?
Éliabel
Non.
Yves
Tu as des fièvres nocturnes ?
Éliabel
Je ne sais pas.
Yves
Il arrive que tu te réveilles en sueur ?
Éliabel
Oui.
Yves
Souvent ?
Éliabel
Toutes les nuits.
Yves
Plusieurs fois ?
Éliabel
Entre vigiles et laudes, je ruisselle de sueur et je grelotte. Après, ça passe.
Faire intervenir ici Albert d’Athensis a pour but de créer sur la scène un mouvement qui isolera naturellement Yves et le Philosophe et leur permettra de tenir leur aparté sans devoir utiliser une grosse ficelle quelconque qui a toujours couleur de maladroit artifice. Albert approche.
Sidoine
Tiens ! on a de la visite. Lee Châââtelain.
Julien
Mon père !
Sidoine
Qu'est-ce qu'il vient foutre ici ?
Éliabel ferme simplement les yeux. Le Philosophe se tait.
Yves va à la rencontre d’Albert pendant que celui-ci est encore dans un coin du plateau et l'isole des cinq autres.
Albert
Monsieur l'Abbé, permettez-moi de vous présenter mes respects.
Yves
Bonjour Monsieur le Châtelain. Qu'est-ce qui me vaut le plaisir de …
Albert
Excusez ma venue sans doute importune, mais je dois parler à Monsieur Labrique et on m'a fait comprendre que je le trouverais ici. Avec votre permission …
Yves fait un signe au Philosophe qui s’approche et lui-même fait un pas pour s'écarter.
Albert à Yves en même temps que d’un geste il l’invite à rester
Je vous en prie Monsieur l’Abbé.
L’abbé reste donc
Le Philosophe
Mes respects Monsieur le Châtelain.
Albert
Bonjour Philosophe. Je voulais …
Le Philosophe le coupe
Monsieur d'Athensis, je connais la raison de votre démarche.
Albert
Ce qui nous facilitera les choses.
Le Philosophe
D'autant plus que j'en sais même les dessous.
Albert
Ah oui ?
Le Philosophe
Le personnel clabaude n'est-ce pas ? Le mien bien sûr, ce que vous trouvez fort commode pour savoir ce qui se passe chez moi, mais le vôtre aussi.
Albert sec
Labrique, vous devriez vous cantonner dans vos affaires.
Le Philosophe pas impressionné du tout
Je devine donc qu'on vous envoie. Vous n'êtes pas ici de votre chef.
Albert excédé
Allons au fait…
Le Philosophe
Tenez votre poulette, je tiendrai mon coquelet, c'est ce que vous êtes venu me dire.
Albert
Pas dans ces termes-là, mais en quelque sorte, oui.
Le Philosophe
Attendez-vous une réponse ?
Albert
Évidemment !
Le Philosophe
Puis-je vous demander de transmettre à Madame d'Athensis l'expression de mon très révérencieux respect bien que je sache qu'elle ne consentira pas à considérer que ma fille vaut son fils et c'est sans importance. Je sais qu'elle ne pourra jamais oublier que je ne suis qu’un jacques, un paysan, un rustre, un cultivateur mais sa mésestime est sans importance. Le mieux, mais je n'ose pas l'espérer, serait qu’elle oublie mon existence, celle de ma fille et celle de son fils.
Albert tout de même un peu éberlué
C'est tout ?
Le Philosophe
En faut-il plus ?
Albert
Après tout, dans cette affaire je ne suis qu’un porteur d’ordres et de répliques et je tiens à le rester. Je ferai la commission, mot pour mot. Au revoir, Labrique.
Le Philosophe
J'ai été très honoré, Monsieur d'Athensis.
Albert à Yves
Je vous sais gré de votre bonne obligeance, Monsieur l’Abbé, et je vous réitère mes respects.
Yves
Au revoir, Monsieur le Châtelain.
Albert part, le Philosophe et Yves restent où ils sont
Le Philosophe
Et alors ? Pour Éliabel ?
Yves
C'est grave.
Le Philosophe
Très grave ?
Yves opine
(Mot prétentieux pour signifier hoche la tête, mais comme il est inconvenant de dire d'un grand personnage qu'il fait le baudet, on dit qu'il opine).
Le Philosophe
C'est sans pardon ?
Yves opine.
C'est la tuberculose.
Le Philosophe
J'en avais peur. Je m’en doutais mais je refusais de savoir.
Aucun espoir ?
Yves
Elle crache déjà du sang.
Le Philosophe
Même pas un miracle ?
Yves
Mimique appropriée
Le Philosophe
Combien de temps ?
Yves
Pas beaucoup.
Le Philosophe
C'est une question de mois ?
Yves
Mimique appropriée
Le Philosophe
De semaines ?
Yves
Ça peut aller vite.
Le Philosophe
Très vite ?
Yves
À ce stade-là et à son âge, oui, très vite. Une hémorragie peut avoir raison d'elle en quelques heures. Mais ça peut aussi traîner.
Le Philosophe
C’est déjà si loin ?
Vois-tu, il ne peut rien arriver de pire à un homme qu'être obligé de survivre à son enfant. Non, il n'y a rien de pire que survivre à son enfant.
Yves
Courage, mon camarade. Il va te falloir beaucoup de courage.
Le Philosophe
Du courage ! fffh ! Pour faire quoi ? Qu'est-ce qu'on peut bien foutre avec le courage quand on est anéanti ? Du courage ! Le sort de ma fille, je le connais de savoir sûr depuis trois minutes et déjà tout en moi n'est que douleur, déchirures, brûlures et convulsions. Et plus tard, quand à force de tourments mon âme se paralysera, le calme qui viendra ne sera que froid, silence et ténèbre (sic).
Je ne pourrai même pas m'empêcher d'insulter Dieu.
Yves
Nul être qui a des entrailles ne peut subir épreuve pareille à la tienne sans insulter Dieu. Mais n'ajoute pas la culpabilité à ton chagrin, Notre Père du Ciel est là pour ça, pour que nous l’injuriions quand notre souffrance dépasse le supportable.
Qui va le lui dire ?
Le Philosophe
Qui va dire quoi à qui ?
Yves
Qui va parler à Éliabel ?
Le Philosophe
Comment ça, parler à Éliabel ? Personne ne va parler à Éliabel !
Yves
Il le faut pourtant.
Le Philosophe
Il ne faut justement rien du tout !
Yves
Crois-moi. Il vaut mieux …
Le Philosophe
Rien du tout, et je te défends bien de t'en mêler.
Yves
Écoute-moi…
Le Philosophe
Non !
Yves
Écoute-moi…
Le Philosophe
Yves, va te faire foutre.
Yves
Écoute-moi Philosophe…
Le Philosophe
Monsieur l'Abbé de Cambron, occupez-vous de vos oignons.
Yves
Écoute-moi Philosophe…
Le Philosophe
L’abbé tu m’emmerdes
Yves
Écoute-moi Philosophe…
Le Philosophe
Non ! Je ne t’écouterai pas !
Yves
Écoute-moi Philosophe… écoute-moi … allez, écoute-moi.
Le Philosophe
C'est bon… Je t'écoute. Mais ça ne changera rien.
Yves
Avant, je pensais comme toi qu'il faut cacher la vérité au mourant. Jusqu'à la mort de mon père. C'est la mort de mon père qui m'a ouvert les yeux. Mon père était un homme courageux, un héros, mais il avait une peur panique de la mort. Toute sa vie, il a étouffé le questionnement sur sa dernière heure. Bien entendu, de temps en temps, une pensée fugace, fuligineuse, sourde, venait soulever le lourd couvercle de sa peur, lui rappelait qu'il était mortel et le laissait tremblant, pantelant et glacé, déjà en Enfer. Il ne tolérait pas qu'on frôle même le sujet. J'ai essayé deux fois et tout ce que j'ai récolté, ce furent des tombereaux de haine sauvage. De sorte que je n'ai plus osé lui parler de l'inéluctable et que dans les longs mois de déclin qui le menèrent à sa fin, il fut obligé d'affronter tout seul la plus grande peur qui soit, la terrible peur de la mort. J'ai compris trop tard. Nous avons le devoir d'éclairer ceux que nous savons en partance. Nous devons leur offrir le dialogue. Nos mots, nos pauvres mots peuvent leur apporter un peu de soulagement et les mots qu'ils disent eux, ces pauvres mots à eux, leur apportent un peu de paix. Nul partant n'est obligé d'accepter nos mots, mais nous, les restants, nous sommes obligés de les offrir.
Le Philosophe
Et ça avance à quoi ?
Yves
À leur donner le courage de parler. Ils n’y a pas d’autre soulagement à la peur de la mort que d'en parler.
Le Philosophe
Pour dire quoi ?
Yves
Pour qu'ils rappellent aux restants tout ce qu’ils estiment être important, et pour qu'ils puissent avouer enfin ces choses que nul n’ose dire avant d’être sûr de vivre sa dernière heure.
Le Philosophe se tait, hoche la tête, médite, puis
Je ne vois pas comment je pourrais…
Yves
Ce n'est pas ton rôle. Je suis là pour ça.
Le Philosophe
Tu vas lui parler ?
Yves opine.
Le Philosophe
Quand ?
Yves
Maintenant.
Il faudrait me laisser seul avec elle.
Le Philosophe
D'accord. Je vais éloigner les trois autres.
Yves
Faisons comme ça.
Ils reviennent vers le groupe.
Le Philosophe s'adresse aux trois hommes
Dites donc, Albert est encore venu m’enquiquiner. Je dois vous demander de me donner un coup de main.
Tous
Oui, bien sûr. De quoi s'agit-il ?
Le Philosophe
Venez, je vais vous montrer.
(à suivre)
° ° ° ° °
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