Or,
la verge est aussi le terme par lequel
on désignait l’anneau que portaient au doigt abbés et prieurs, en
référence à la verge de discipline. Et les
Branches ? Cambron est une abbaye cistercienne, au Moyen-Âge on ne
disait guère les Cisterciens mais l’Ordre des Cistiels, c’est-à-dire très
littéralement : de l’Ordre des roseaux ! Nous disons aujourd’hui
l’Ordre de Cîteaux. En plus, avec son original réseau d’abbayes-mères,
d’abbayes-filles, petites-filles, arrière-petites-filles, l’organigramme de
l’Ordre cistercien prenait la figure de la ramée d’un arbre et les Cisterciens
eux-mêmes représentaient et symbolisaient leur Ordre par le dessin d'un arbre. La verge en main mise au milieu de Branches
désigne donc un abbé ou un prieur cistercien.
Et
maintenant regardez ceci tiré encore du manuscrit du moine Noël (photo de Jean-Charles de La
Hamaide) :
Six
poissons nagent de part et d’autre d’un arbre planté et en feuilles. Ce sont
les armes de Cambron. De l’eau mouille le limbe, c’est-à-dire le bord de l’écu
en langage héraldique, le pied et le tronc de l’arbre. C’est encore plus
évident quand on sait qu’en ancien français, le mot pied désignait souvent
aussi le tronc d’un arbre ! Ce vers De
londe il moulle et le limbe et le piednomme
l’abbaye de Cambron en langage héraldique,exactement de la manière que le
ferait un héraut d’armes dans un tournoi.
L’homme
qui déploie un tel génie dans le maniement des mots, l’homme capable de telles
acrobaties verbales a droit à notre admiration et à notre respect. Toutes les Centuries sont déjà là dans ces
quelques mots : il y a ce qui doit être vu et ce qui est caché. Les Centuries sont un poème de douleur, y
compris, pour Yves de Lessines, la douleur d’être ce qu’il est et qui explique
au moins une partie de son génie, car les choses de l’esprit sont le refuge où
s’oublie un peu le chagrin du corps tourmenté.
Ayant
parlé de l’homme, il est temps de revenir à son histoire.
À
partir de 1284 il devient tout naturellement l'ingénieur, l'architecte et
l'astronome de l'abbaye pour le compte de laquelle il dirige plusieurs très
grands chantiers (entre autres, assèchement de polders et construction d'une
église) en même temps qu'il écrit des livres de théologie et de science. Les
moines l’élisent prieur en 1315 et l’élèvent à la dignité d’abbé en 1328. Il
décède le 9 mars 1330.
Yves
de Lessines n'est donc en aucune manière lié à l'Ordre du Temple. En revanche,
il sera un acteur majeur dans les avatars du "miracle de la Vierge de
Cambron", miracle dont il est question dans les Centuries. Voici une illustration qui tourne autour de ces
événements : le personnage mitré, vers la droite, juste sous la flèche de
l'abbatiale, est l'abbé Yves de Lessines.
Document transmis par le Professeur Jean-Philippe
Lahouste.
Passons
au deuxième homme du triumvirat. Né vers 1250, Jacques Pluquiel ou
Plusquiel, dit de Montigny ou Montignies d'après son lieu d'origine près de
Valenciennes, est un moine modèle en ce sens qu'on ne trouve rien à en dire. Il
fut cellérier (économe) de l'abbaye de Cambron avant d'être élu abbé à la fin
de 1293 : c'est un gestionnaire et pas du tout un imaginatif.
Un
seul incident, mais de taille, a marqué sa carrière : en 1308, quelques mois
après l'affaire du Temple, il fut forcé – par qui ? sous quelles pressions ? –
de démissionner de son poste d'abbé. Le fait en soi était très rare, mais fait
encore bien plus rare, réduit à l'état de simple moine il obtint de pouvoir
demeurer dans son abbaye jusqu'à sa mort en 1315, alors que, pour des raisons
évidentes, lorsqu'on dégradait un ecclésiastique, on l'envoyait toujours dans
une autre maison ! Autre fait fort peu banal, sans autre titre que simples
bourgeois forains de Condé, un bourg fortifié au bord de l'Escaut, son père et
sa mère furent inhumés côte à côte au milieu du cloître de Cambron. À la place
la plus glorieuse qui soit après le chœur de l’abbatiale !
L'inhumation
d'un Cistercien est en elle-même une cérémonie peu ordinaire : le cadavre du
moine dans son habit est cloué sur une planche et on descend le moine dans la
fosse, la face contre terre. Nul ne sait pourquoi, mais au lieu d'être mis à la
place imposée par la règle c’est-à-dire dans le cimetière des moines, Jacques
de Montigny fut enterré comme cela, la face en bas, mais sur les cercueils de
ses parents ! Du jamais vu ! Et le fait
est noté dans les Centuries !
Dans cette affaire, rien n'est normal et qu'est-ce que Nostradamus vient faire
là-dedans au milieu du 16ème
siècle, 240 ans après l'événement et à une époque où il ne pouvait pas le savoir
puisque ceci ne fut remis au jour qu'au milieu du 17èmesiècle par le moine Marc NOËL et noté dans son
cahier resté manuscrit, puis signalé par l'abbé Le Waitte en 1672 dans une
publication en latin plus que confidentielle !
Henri Pluquiel, frère cadet du
précédent, embrassa la carrière des armes en prenant du service chez le duc de
Brabant. De trop petite extraction pour seulement réussir à vivre un peu
décemment dans ce milieu-là, il s'engagea dans les rangs du Temple et arriva en
Orient en 1278 ou 1279. Il assista à l'effondrement final de l’Orient Latin et
fut un des rares rescapés de la prise d'Acre par les Musulmans (1291).
Gravement blessé (il en devint borgne et une grande cicatrice lui barrait le
côté gauche du visage), à bout, à deux doigts de trépasser, il parvint à
rejoindre Chypre où il fut soigné par une femme templière "syrienne".
Rentré en Europe, on lui assigna diverses missions, entre autres celle de
Visiteur de Flandre peu après les événements de mai 1302, les Mâtines Brugeoises.
Nul
ne sait où, quand, pourquoi et de qui il reçut le sceau de sauvegarde de
l'Ordre du Temple. Porteur d'un signe qui lui conférait le pouvoir absolu, il
ne pouvait le dire à personne et même pas le laisser deviner … La hiérarchie de
l’Ordre – c’est-à-dire le Maître Jacques de Molay – l’avait envoyé en Flandre
pour sévir contre les Templiers qui avaient incité les Brugeois à se révolter
et à massacrer les occupants français en mai 1302. Faisant litière des ordres
reçus, Henri se rangea du côté des insurgés. Avec les Templiers flamands
d'Ypres, il participa à la bataille de Courtrai, dite bataille des Éperons
d’or, et il joua un rôle déterminant dans la défaite française. Pour livrer
cette bataille, les Communiers flamands s'étaient adossés au mur du couvent de
Groeninge … dont l'abbesse était Marie Desprez, la sœur d'Yves de Lessines !
Étonnez-vous qu'on parle beaucoup de cette bataille quasi-mythique dans les Centuries …
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