dimanche 11 novembre 2012

Le dragon du befroi.

LE DRAGON DU BEFFROI. (Gand.)
Au sommet du beffroi de Gand, un énorme dragon à longue queue, à ailes étendues et à gueule ouverte tourne au gré des vents. Il est fait en pièces de métal artistement rapportées; la légende suivante s'y rattache et explique son origine: Un roi puissant et quelque peu enchanteur régnait à Jérusalem, au temps des croisades; il avait une fille d'une grande beauté qui s'appelait Blanka. Un jour qu'elle se promenait avec ses femmes au bois de cyprès et de palmiers des environs de la ville, elle s'y avança tellement que l'ayant traversé elle se trouva tout-à-coup dans une plaine qui lui était tout-à fait inconnue; grande fut sa frayeur. Elle et ses compagnes aperçurent de loin un nuage de poussière ce qui les décida à attendre un instant, car Blanka s'imagina que c'était un prince voisin qui venait visiter son père; cependant le nuage s'approchait et les femmes purent distinguer une armée étrangère dont les bannières et les armes leur étaient inconnues. Effrayées, elles voulurent fuir; mais il était trop tard. Les chefs de l'armée accoururent vers elles et leur barrèrent le passage; alors ils leur parlèrent en termes polis et respectueux, car ils voyaient bien qu'ils avaient à faire à des dames de haut parage: Pourriez-vous, dirent-ils, nous indiquer le plus court chemin pour aller à Jérusalem, la ville sainte ? Nous en sommes sans doute très-près, et vous pourriez probablement nous donner quelques renseignements. Nous sommes parties ce matin de Jérusalem, et nous nous sommes égarées dans le bois, répondit Blanka. Par conséquent -il nous serait difficile de vous satisfaire. Qui êtes-vous donc belle damoiselle, demanda Baudoin. Permettez nous de vous accompagner, puisque nous devons arriver au même but? Je suis la fille du roi, répondit Blanka, j'accepte votre offre, pourvu que vous me disiez qui vous êtes. Mon nom est Baudoin, je suis prince chrétien; cependant ne craignez rien, il ne vous arrivera aucun mal. On fit aussitôt monter Blanka et ses dames à cheval, les chevaliers l'entourèrent et le cortège se remit en marche. Blanka n'était pourtant pas sans inquiétude, elle ne pressentait rien de bon, et elle ne se trompait pas, car à peine eurent-ils aperçu de loin les murs de Jérusalem, que sur un signe de Baudoin, quatre autre chefs s'approchèrent et placèrent Blanka au milieu d'eux. Demeurez en paix auprès de ces chevaliers, belle damoiselle, dit Baudoin, ils auront pour vous et vos femmes tous les égards possibles. Les quatre chefs galopèrent vers une tour isolée au milieu des champs, et en prirent possession après en avoir chassé les habitants, et y enfermèrent Blanka et ses femmes. Une seule, grâce à la vitesse de son cheval parvint à s'échapper, elle gagna Jérusalem et instruisit le roi de la captivité de sa fille. Le monarque conçut un vif chagrin à cette nouvelle ; il alla à l'une des tours de son palais, et envoya de là un énorme dragon, afin de garder la prison de Blanka, après quoi il s'enferma dans son cabinet pour y pleurer son infortune. Enfin il convoqua son conseil où il fut décidé qu'un député serait aussitôt envoyé afin de négocier moyennant une forte somme le relâchement de Blanka et de sa suite. Quelques heures après la porte de la salle s'ouvrit et le député en sortit. Il marcha droit aux tentes des ennemis. C'étaient celles des Gantois. Lorsqu'il leur eut appris la proposition du roi, ils se mirent à rire: „Non," dirent-ils, nous gardons la fille du roi comme otage nous ne la rendons qu’à une seule condition, vous nous livrerez votre ville. « Si vous désirez ravoir la princesse à ce prix, venez la prendre, si non, demain on verra flotter notre étendard sur vos murailles." Quelques chevaliers brugeois se trouvaient par hasard aux environs; ayant tout entendu ils suivirent le messager et lui dirent: „Que le roi nous donne seulement la somme d'argent et sa fille lui sera rendue. S'il est content, apporte nous l'argent cette nuit, et demain matin la jeune fille sera dans ses bras." Satisfait du succès de son entreprise, le messager rapporta la nouvelle au roi qui le renvoya à l'heure convenue avec la somme demandée. Cependant il fut trompé dans son attente, le brugeois qui était un fripon fit lâchement assassiner l'envoyé et s'appropria l'argent. Il donna ensuite un soporifique au dragon et lorsque le monstre fut plongé dans un profond sommeil, il le tua avec l'aide des autres brugeois et le chargea sur plusieurs chevaux. Ayant ensuite invité Blanka a monter à cheval, il courut au port et s'y embarqua avec elle. Baudoin n'apprit cette action déloyale que trop tard, et lorsque les Gantois indignés coururent au rivage pour rejoindre le brigand, ils n'aperçurent dans le lointain que la voile blanche de son vaisseau qui se balançant au gré des vents, semblait défier leur colère. Le chevalier eut entre temps une très-bonne traversée, et son voyage fut d'autant plus heureux qu'il sut gagner le coeur de la jeune païenne et qu'il parvint enfin à lui faire embrasser le christianisme. Ils aperçurent les côtes de la Flandre plus tôt qu'ils ne l'eussent espéré. Après être débarqués, ils se rendirent au sommet d'une dune élevée où se trouvait une petite chapelle, bâtie par Saint Eloi, où les pêcheurs avaient coutume de venir entendre la messe le dimanche. L'heureux couple n'eut pas plus tôt mis le pied sur le sol de la Flandre, que la clochette de cette chapelle fit retentir des sons purs et argentins. Où sommes nous, demanda Blanka, quel est ce village que nous apercevons au-delà des dunes? Comment on l'appela jusqu'à ce jour, je l'ignore, répondit le chevalier, mais dès ce moment s'y attache l'éternel souvenir de ton arrivée en Flandre, je le nomme Blankenberg. Ils entrèrent tous deux dans l'église, le prêtre montait à l'autel pour célébrer la messe. Cette imposante cérémonie fit tant d'impression sur l'âme de Blanka, qu'elle conjura le chevalier de ne point retarder davantage son baptême et de la faire mettre au nombre des fidèles. Rien n'était plus agréable au chevalier, et peu de jours après, Blanka reçut le sacrement du baptême; le même jour on célébra son mariage avec le chevalier. Ils partirent alors pour Bruges où ils passèrent leurs jours dans la tranquillité et le bonheur. Ils firent présent à l'église de St. Donat du dragon qui resta suspendu à la voûte par des chaînes de fer. Plus tard les iconoclastes ne le respectant pas plus que les images des saints, le brûlèrent. Les Brugeois y tenaient cependant, de sorte que sa perte leur causa un vif chagrin; afin de ne pas en perdre le souvenir, ils chargèrent un artiste d'en faire un semblable en bronze lequel fut placé sur la tour de St. Donat. A cette époque on ne pensait déjà plus aux croisades ni à Baudoin, cependant l'action honteuse du chevalier brugeois n'était pas encore effacée de la mémoire des Gantois. Cette légende passa par tradition de père en fils et nourrit toujours dans le coeur des Gantois une haine profonde contre leurs voisins les Brugeois et lorsque les premiers visitaient le monde d'or (c'est ainsi que l'on appelait alors Bruges) le dragon leur donnait dans l'oeil et leur arrachait maint jurement. Cela dura longtemps, jusqu'à ce qu'enfin leur haine éclata; cette occasion ne leur fut fournie que dans le seizième siècle par Artevelde, le célèbre et héroïque brasseur de leur ville. Son appel guerrier fut rarement reçu avec autant d'enthousiasme que lorsqu'il engagea les Gantois à aller combattre les Brugeois. Vieux et jeunes le suivirent avec joie, et en peu de jours la ville de Bruges fut serrée de si près que la famine s'y déclara avec une intensité épouvantable; un miracle seul eût pu sauver les assiégés. On se mit en prière dans toutes les églises, des processions parcouraient les rues pour implorer la protection de Saint Georges. Cela fut rapporté aux Gantois, et un jour qu'ils entendirent chanter une procession à une extrémité de la ville, ils entrèrent brusquement par le côté opposé, et ils étaient déjà sur le grand marché, quand les Brugeois eurent le temps de revenir de leur surprise. Ils coururent en vainqueurs à l'église de St. Donat et descendirent Je dragon au moyen de cordes solides jusqu'à terre, où il fut salué par les acclamations des Gantois. Le lendemain on l'emporta à Gand, et les magistrats décidèrent qu'on le placerait sur la tour de l'hôtel de ville, où l'on peut encore le voir aujourd'hui.

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