Tour du Saint-Sacrement
Avec l'aimable autorisation du Miroir Alchimique
(Article de L.A.T.)
L'Eglise Saint-Léonard de LEAU (Zoutleeuw)
Fondée au VIIème siècle par saint Remacle, Zoutleeuw (en français Léau)
est une petite ville du Brabant flamand, en Belgique. Elle se
singularise principalement par une Grand-Place dont quelques façades ne
manquent pas d’intérêt, mais surtout par son église, dédiée à saint
Léonard.
Cette église contient une série d'indices et symboles alchimiques…
Après avoir visité les lieux,
le mercredi 21 septembre 2011, je me propose de vous faire part de
quelques considérations personnelles sur le « dispositif alchimique » de
cette église, assorties d’une série de photos qui donneront, je
l’espère, un aperçu de l’ambiance générale. Je me limiterai à deux
éléments : le Marianum et la Tour du Sacrement. Il y a bien d’autres
pièces d’art et de symboles alchimiques dans cette église, dont on ne
saurait trop recommander la visite, mais une étude approfondie me
mènerait ici trop loin.
Le Marianum
Dans la tapisserie de la Dame à la Licorne, à laquelle je consacre un article dans ce blog, le « pont » qui relie alchimiquement les symboles proposés, est la Lune. Dans l’église Saint-Léonard, c’est également la Lune qui opère la jonction révélatrice dans le foisonnement des symboles, Lune qui attire l’attention dès l’entrée.
L’astre nocturne, miroir de
l’astre diurne, est l’intermédiaire-clé entre le macrocosme et le
microcosme, entre les influences célestes et ce coin du cœur humain qui
en est le réceptacle. Tout est dit, ou presque…
Suspendue à la voûte de la nef
principale, une Vierge à l’Enfant sourit aux visiteurs, majestueuse,
impressionnante. Cette sculpture en chêne polychrome datée de 1533 est
en fait une Vierge à double face, représentée dans un ensemble
symbolique que l’on appelle aussi « Marianum ». Le thème principal de
cet ensemble, que l’on voit apparaître au cours du Moyen-Age, est ce
passage de l’Apocalypse de Jean de Pathmos (Apocalypse 12) mettant en
scène une femme qui pose le pied sur un croissant de lune, alors qu’elle
est soumise à l’agression d’un dragon. Le Marianum a cependant ceci de
particulier : cette scène est agrémentée de la présence du
Christ-enfant et d’un collier de roses, ainsi que d’un nombre variable
de rayons issant de la Vierge, et de quelques symboles, également
variables, qui scandent le rosaire.
Le « Marianum » de l’église de
Zoutleeuw n’est pas une pièce unique, quoique rare; on le retrouve, dans
cette même région d’Europe, notamment dans les églises hollandaises de
Venray, Horst, Thorn et Neer, et dans les églises de Flandres à
Neeroeteren et à Zoutleeuw.
Il y aurait beaucoup à dire de
tous les éléments de cet ensemble, mais je n’en retiendrai que trois,
qui, à Zoutleeuw, signalent une « approche alchimique »…
En premier lieu, cette Vierge
pose le pied sur un satan (dont les adeptes de notre Art n’auront aucune
peine à déceler le sens), mais aussi sur un croissant de lune.
En second lieu, et en résonance
directe avec cette lune émettrice de grands bienfaits, on voit
au-dessus de cette Vierge le cœur du Christ, percé de la lance romaine.
Romaine ou lunaire ? Le cœur, dans le microcosme, dans le corps humain,
est symboliquement solidaire du soleil, dans le macrocosme. Ses rayons
se reflètent sur la lune, notre « miroir alchimique ». Après les
opérations de l’Art, le cœur macrocosmique rejoint le cœur
microcosmique…
En troisième lieu : de cette
Vierge émanent vingt-huit rayons (et ce nombre n’est pas constant d’un
Marianum à l’autre). Chiffre du cycle lunaire. Ce qui, incidemment, nous
rapproche des neuf étages de la Tour du Sacrement : neuf, autre
chiffre lunaire…
Posons un dernier regard sur
les mains et les pieds qui entourent cette scène, figuration probable du
corps humain tout entier, et passons à la Tour du Sacrement.
La Tour du Sacrement
La Tour du Sacrement
Cette tour, datée de 1552,
haute de ses neuf étages et de son socle en trois sections, c’est-à-dire
près de dix-huit mètres, évoque à travers divers épisodes bibliques,
l’évolution spirituelle de l’être humain. La perception de cette
évolution est évidemment chrétienne… Mais qu’est-ce que cela aurait à
voir avec l’alchimie ?
Le christianisme n’a jamais
lancé le moindre anathème à l’encontre de l’alchimie. Il fut même un
temps où il considérait Hermès Trismégiste comme l’un de ses prophètes,
annonciateur de la parole christique, comme on peut le voir dans la
cathédrale de Sienne. C’est que le christianisme, malgré ses dogmes et
ses diktats, n’est pas autre chose qu’une énième application de l’Art
Royal.
Il y a accolé une morale qui
lui est propre, et dont on peut se départir, mais son fondement est
alchimique. Certes, les nombreux prédicateurs et autres fanatiques qu’il
compte dans ses rangs ont obscurci le message initial, mais il n’en
reste pas moins que le Christ, « au cœur percé d’une lance », représente
l’Adepte au sens fort du terme.
Fulcanelli, dans son « Mystère
des Cathédrales », ne le nie pas, tout au contraire. Si l’on veut bien
se reporter aux écrits de Julien Champagne, alias Fulcanelli, on saura
désormais que l’Eglise « sait »… ou du moins, savait.
(Une digression s’impose ici : la Franc-Maçonnerie, avec sa légende d’Hiram, répètera à sa façon le même message).
L’évolution spirituelle de
l’être humain telle que décrite dans la Tour du Sacrement, et donc dans
la Bible, est parsemée de faits plus ou moins historiques ou plus ou
moins légendaires qui ne facilitent pas la perception des éléments
alchimiques auxquels nous nous intéressons ici. Sauf à considérer,
naïvement, que chaque événement décrit dans la Bible est, presque
magiquement, une pièce du puzzle alchimique, il reste malaisé de faire
la part des choses.
C’est sur cette mise en garde
que j’entreprends la description, sommaire car discrétion oblige, de ces
neuf étages de la Tour du Sacrement :
Le 1er étage, soutien et base
des huit autres, est formé de quatre « colonnes » : Melchisédec, Moïse,
Aaron, David. Pourquoi eux ? Pourquoi pas Abraham, ou Salomon, voire,
pourquoi pas, Zorobabel ?
Melchisédec, ou Melki-Tsedeq,
c’est-à-dire « roi de justice », est sans doute, malgré son côté très
discret, et moins connu, l’homme-clé de la tradition hébraïque, et donc,
par effets successifs, de la tradition chrétienne. Quand Abram, devenu
plus tard Abraham, quitte Ur, capitale de Sumer, pour émigrer vers la
Palestine, il ne représente pas encore la tradition hébraïque. Mais
lorsqu’il rencontre Melchisédec – dont l’Ancien Testament ne nous dit
rien ou presque, mais d’autres écrits existent qui le définissent plus
clairement -, il devient le « porteur du flambeau », le premier guide
de la tradition hébraïque. Abram fait allégeance à Melchisédec, comme si
ce dernier était, en quelque sorte, un initiateur. Porteur de quelle
tradition ? Représentant de quelle « obédience » ?
Moïse, Aaron et David sont
quant à eux les « transmetteurs » et les « protecteurs » de l’Alliance,
alliance entre Yahvé et le peuple juif. Cette alliance sera concrétisée,
devenant « visible », par la fameuse Arche. Qui, de temps en d’autres,
sera « fixée » par Salomon entre les murs du temple qu’il fera bâtir à
Jérusalem, vers 950 avant l’ère chrétienne, sous la supervision d’un
personnage, Hiram, dont la Franc-Maçonnerie fera plus tard son
« prophète »… ou plutôt, son initiateur.
Au même étage, se retrouvent
les cinq scènes de la Création et de la Chute: la création d'Eve,
l'arbre de la Connaissance, le Péché originel, l'expulsion du paradis,
puis Caïn tuant Abel.
Au 2ème étage, quatre figures
symboliques évoquent la Sagesse, la Clémence, la Vigilance et la
Justice. Un lion issant des vagues l’agrémente, ainsi qu’un calice, et
un blason aux trois marteaux et trois roses. Les trois marteaux, proches
des trois clous que le bourreau romain enfonça dans les avant-bras et
les pieds du Christ, se retrouvent ailleurs, et notamment dans les
armoiries de Charles Martel, comme on peut le voir souvent à Martel, la
« ville aux sept tours », dans le Quercy français.
Au 3ème étage, les Quatre
Evangélistes avec leurs attributs ne manquent pas de rappeler
l’importance des Quatre Eléments… L’Eau, la Terre, le Feu et l’Air,
participent à la démonstration et à la réalisation alchimique,
infiniment proches des Eléments de la Magie qui œuvre sur des bases
identiques à l’Alchimie, mais souvent pour des buts différents (on en
prendra mieux conscience en consultant « Dogme et Rituel de la
Haute-Magie » d’Eliphas Lévi, ouvrage alchimique autant que magique).
Ces Quatre Evangélistes encadrent la rencontre d'Abraham et
Melchisédech (dont j’ai déjà souligné l’importance), la Dernière Cène et
la Manne du Désert.
Au 4ème étage, supportés par de
petits temples ronds, sont la Foi, l'Espérance, l'Amour et la Charité.
Ce sont les Trois Vertus Théologales, Foi, Espérance et Charité, cette
dernière se dédoublant pour mettre en avant l'Amour.
Au 5ème étage, les Pères de
l'Eglise occidentale: Augustin, Grégoire, Jérôme et Ambroise, sont
entourés d'évêques et d'autorités spirituelles qui proposent à notre
sagacité le mystère de l'Eucharistie. Mais ici, ne nous leurrons pas :
si le mystère de l’Eucharistie est bien alchimique, il n’en va pas
forcément toujours de même pour les explications qu’en donnent dans
leurs écrits nos quatre patriarches.
Au 6ème étage, quatre statues
couronnées figurent… des rois peut-être, des martyrs couronnés de la
Grâce, peut-on savoir…Certains ont évoqué les Quatuor Coronati… C’est en
tout cas l’un des énigmes de cette Tour. Est-ce alchimique, historique,
moral ?
Au 7ème étage, six prophètes et
légistes… Nous approchons de la « réalisation », et, forcément, le
mystère est ici à la fois dense et indirect…
Au 8ème étage, six anges
encadrent l'Enfant Jésus enseignant (tout comme six anges entourent la
Vierge du Marianum de cette église). Ce qui nous renvoie au Temple de
Jérusalem. Après une longue pérégrination dans le désert, l’Arche
d’Alliance est enfin placée en un lieu fixe : le Temple de Salomon, le
premier temple de Jérusalem, dont la légende maçonnique s’emparera pour
consolider sa présence… Ce temple est détruit, l’Arche disparaît, on le
reconstruit, sous les œuvres de Zorobabel, second temple à Jérusalem… On
en fait la réfection sous Hérode… et c’est là que Jésus enseigne. Il y
aurait trop à dire, trop longuement, pour expliquer toutes ces
interactions entre l’Alchimie et le Temple… Je me contenterai de
signaler les indices, que les chercheurs retrouveront sans peine dans
l’énorme documentation que nous offrent les medias contemporains.
Au 9ème étage, la Vierge,
toujours aussi lunaire, est couronnée… Elle est surmontée d’un pélican
qui s’ouvre la poitrine pour nourrir ses petits. Symbole du Christ
offrant son sang pour sauver l'humanité, mais aussi autre réalité, moins
immédiatement accessible.
On pourra aussi souligner que
cette tour symbolise l’athanor, le fourneau alchimique, ou, en termes
plus simples, le corps humain, tout comme d’ailleurs le fait la
Maison-Dieu du Tarot. Où se trouve le cœur de ce corps ?
Plusieurs dizaines d’autres
sculptures s’assortissent à cet ensemble. C’est à la fois beau,
historique, symbolique, légendaire… J’en termine ici avec cette
description fort sommaire, fort incomplète, mais qui comporte déjà
quelques aperçus très directs sur le mystère alchimique, et qu’il y aura
lieu de parachever dans des écrits ultérieurs.
Saint Léonard lui-même n’est pas en reste. Voici ce que nous en dit la Légende dorée de Jacques de Voragine :
Léonard veut dire odeur du
peuple, de Leos, peuple, et nardus, nard, herbe odoriférante, parce que
l’odeur d'une bonne renommée attirait le peuple à lui. Léonard peut
encore venir de Legens ardua,
qui choisit les lieux escarpés, ou bien il vient de Lion. Or, le lion
possède quatre qualités : 1° La force qui, selon Isidore, réside dans sa
poitrine et dans sa tète. De même, saint Léonard posséda la force dans
son coeur, en mettant un frein aux mauvaises pensées, et dans la tête,
par la contemplation infatigable des choses d'en haut. 2° Il possède la
sagacité en deux circonstances, savoir en dormant les yeux ouverts et en
effaçant les traces de ses pieds quand il s'enfuit. De même, Léonard
veilla par l’action du travail ; en veillant, il dormit dans le repos de
la contemplation, et il détruisit en soi les traces de toute affection
mondaine. 3° Il possède une grande puissance dans sa vois, au moyen de
laquelle il ressuscite au bout de trois jours son lionceau qui vient
mort-né, et son rugissement fait arrêter court toutes les bêtes. De
même, Léonard ressuscita une infinité de personnes mortes dans le péché,
et il fixa dans la pratique des bonnes oeuvres beaucoup de morts qui
vivaient en bêtes. 4° Il est craintif au fond du coeur, car, d'après
Isidore, il craint le bruit des roues et le feu. De même, Léonard
posséda la crainte qui lui fit éviter le bruit des tracas du monde,
c'est pour cela qu'il s'enfuit au désert; il craignit le feu de la
cupidité terrestre: voilà pourquoi il méprisa tous les trésors qu'on lui
offrit.
A propos de la tête de saint Léonard… on sait que la tête est dévolue symboliquement à la lune.
Zoutleeuw, en français Léau,
signifie, en traduction littérale, Sel-Lion. Je ne m’associerai pas
forcément aux diverses interprétations historiques que l’ont a données
de l’étymologie de ce nom. Son aspect symbolique est suffisant.
Une dernière chose encore,
avant d’en finir : le retable de saint Léonard, dans le transept sud de
l’église, nous montre, à sa gauche, la légende de Longinius, l’officier
romain qui transperça le flan du Christ avec sa lance… Le symbolisme
alchimique fonctionne « en boucle » dans cette église, si l’on veut bien
me permettre cette expression fort moderne.
http://boutic.annik.1tpe.fr
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