dimanche 20 janvier 2013

Dans la cuisine des Pères Chartreux de Sainte Croix.

Dans la cuisine des Pères Chartreux de Ste Croix

 

Revenons, encore une fois, dans le corridor reliant les deux parties de la chartreuse de Ste Croix-en-Jarez. En allant vers l’ancien grand cloître, après avoir passé le porche de l’église, nous trouvons à notre gauche l’entrée de la cuisine des pères chartreux … C’est ici, dans ce local, que nous arrêterons nos pas.
Nous avions déjà vu, dans notre page en hommage à Raymond Graü, tout l’intérêt de cet endroit, pour lequel il s’était dépensé sans compter : « J’ai souvenir des travaux de Raymond pour remettre en état la cuisine des Pères chartreux qui à l’époque était un clapier, une ruine au-dessus d’un cloaque… J’ai souvenir de ses travaux de chaque jour… J’ai souvenir de ses efforts avec une poignée de volontaires oubliés et dont personne ne retient ni n’honore plus la mémoire… J’ai souvenir de ses travaux, de ses efforts, parfois incroyables pour aller chercher à des dizaines de kilomètres des dalles de pierres, ayant été emportées de ces lieux lors des pillages révolutionnaires et autres… pour les remettre là où elles étaient primitivement. J’ai souvenir de Raymond finançant souvent, très souvent et trop souvent de ses deniers certains travaux et achats pour redonner à ce local de la cuisine des pères une dignité oubliée…
J’ai souvenir de découvertes sous les gravats, les décombres… ces découvertes aujourd’hui offertes au tourisme sans qu’une fois soit insinué le nom de ce pionnier de l’impossible ! J’ai souvenir d’avoir eu le privilège d’assister à des moments intenses de remises à jour d’éléments, parfois pièce unique pour certains spécialistes. »
Il en reste aujourd’hui une pièce qui est, sans doute, l’un de plus beaux fleurons de la chartreuse, car quasiment intacte depuis sa construction.
Remise à sa place d'origine de l'entrée de la cuisine des Pères à Ste Croix.
Tel que nous visitons ce superbe endroit, il est difficile d’imaginer son état de délabrement à l’arrivée de Raymond Graü. Un volume quasiment obscur, partagé, dans le désordre et la saleté, par un clapier, un poulailler et un vague lieu d’habitation.
En quelques semaines, Raymond et son équipe, abattant cloisons et séparations, retrouvent l’espace primitif du local. Puis il y eut le travail de reconstitution du dallage d’origine. Ce dernier, pillé au moment de la Révolution, avait été emporté comme pavage de cour. C’est dans une ferme lointaine qu’il fut retrouvé, racheté, rapporté, et enfin remis à sa place d’origine… un travail de plusieurs mois dans des conditions épuisantes. Le perfectionnisme de Raymond ne s’arrêtait pas à ce dallage, car c’est aussi la porte d’entrée sur le corridor qu’il remit à sa place d’origine, cette dernière ayant été modifiée au fil des démolitions et réaménagements. Là encore, c’est une entreprise dont on ne peut à présent deviner l’ampleur. Certes, dans le principe, l’entrée est simplement déplacée d’un demi-mètre… mais ce déplacement prit pratiquement deux mois de travail, en raison du linteau à déplacer… Aujourd’hui, rien ne signale l’ampleur des efforts faits pour que ce local ait retrouvé toute sa dignité.
Un premier vestibule en entrant, contient maintenant des vestiges archéologiques et des maquettes, en volume, de différentes parties d’une chartreuse. C’est de celui-ci qu’on accède au fameux local …
Certes, s’il s’agit de la cuisine des Pères Chartreux, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’immense cheminée occupe tout le côté droit de la pièce. L’énorme manteau vertical, de même dimension, est supporté par deux pilastres répartissant la charge en trois parties : deux courts espaces de part et d’autre d’un plus important au centre.
Bien que ce local soit, probablement, une des plus anciennes parties du monastère, il semble que les fenêtres l’éclairant soient plus récentes, peut-être d’une époque Renaissance par exemple. Cependant, si l’ensemble, à lui seul, mérite notre admiration, nous allons trouver ici un autre sujet d’étonnement encore plus important.

Les têtes selon A. Vacher
Les têtes dans la cuisine. On distingue les vestiges de peinture sur les bandeaux
Donnons la parole à A. Vacher (‘La Chartreuse de Ste Croix’) qui nous présente l’endroit : « … Puis au-delà de cet escalier, subsiste encore, dans un parfait état de conservation, une pièce voûtée que l’on représente comme ayant été l’ancienne cuisine, dont la voûte est soutenue par de curieuses colonnes trapues, et les murs ornés de têtes grossièrement sculptées que l’on prendrait volontiers pour une œuvre antérieure au XIIIème siècle, si l’on ne connaissait d’une manière bien certaine, la date de la construction de l’ancienne chartreuse ».
Monsieur Vacher, en 1904, ne savait sans doute pas que l’on découvrirait, plus tard, qu’effectivement il y avait eu une construction bien plus ancienne, antique ou au moins du début du Moyen-Âge… Et que ces deux têtes pouvaient fort bien provenir de vestiges primitifs sur le lieu. Aujourd’hui, elles apparaissent soigneusement ‘gommées’ aux angles opposés à la cheminée. Si, en 1904, A. Vacher les voit nettement, elles disparaissent sans doute peu après, car, au moment de l’arrivée de R. Graü dans les lieux, elles sont enfouies dans les décombres.

La réalité sous les gravats
C’est donc en 1967 qu’on les retrouve, lors des travaux de dégagement, l’une dans une sorte de placard mural, et l’autre sous un épais plâtras. Leur nettoyage permet de constater que, d’expressions différentes, elles sont de même facture et ornées toutes deux d’une sorte de bandeau plat au sommet du crâne. A ce moment, il reste sur ces ‘bandeaux’ des traces de teinte, rouge pour l’une et noire pour la seconde… le reste des têtes ne comporte aucun autre vestige de peinture ou décoration colorée.
Ces couleurs deviennent très vite un sujet de polémique insidieuse. Une version des faits, avancée par quelques grincheux de service, affirme que les sculptures étaient naturelles, sans couleur, et que les bandeaux ont été badigeonnés dès après leur découverte… évidemment dans un but dénoncé comme ésotérique ! L’ennui est qu’il existe des témoignages et des clichés, pris au moment des travaux, montrant indiscutablement des traces de teintes différentes sur ces bandeaux !
Pour nous, la question irritante à poser ne serait pas : « par qui et à quel moment ont été peintes des têtes ?», mais plutôt : « que peut-il y avoir de gênant dans ce fait… pour qui et pourquoi ? ». Toujours est-il qu’aujourd’hui tout le monde dort tranquille. Ce ‘détail’ n’existe sur aucun compte-rendu, et personne n’en fait plus état. Plus de questions, donc… plus de réponses embarrassées ! Heureusement, nous disposons des clichés pris lors des remises à jour … comme bien d’autres sur quelques ‘petits détails trop vite oubliés de Ste Croix’!

L’énigme des deux têtes
Cependant, pour tous les antagonistes, il faut admettre que l’énigme de ces deux sculptures reste une énigme entière : quel sanctuaire pouvait orner de telles représentations, sinon un lieu de culte dont l’origine doit être lointaine et obscure. Mais surtout, on peut se demander pourquoi les chartreux, stricts dans leurs décorations religieuses, réutilisèrent dans la partie des bâtiments étant réservée à leur seul usage, ce genre de sculptures pour le moins peu ‘orthodoxes’… Peut-être les Pères Chartreux, ou les commanditaires oubliés de la chartreuse, avaient-ils des raisons précises pour maintenir ici ce genre de représentation, même au prix d’interrogations sans réponse ? Peut-être, là encore, s’agissaient-ils d’autres éléments (la croix indélébile, Madame la Mort, les gravures sur le tableau de fenêtre) d’un message réservé, une fois de plus, seulement à ‘l’initié en mesure de pouvoir le lire’ ?
Des écrits à la rescousse : Viollet le Duc et le Grotesque
Sans doute par dérision, ces deux têtes ont été souvent qualifiées de ‘grotesques’, sans songer que ce terme contient peut-être une partie de la solution. Viollet le Duc, par exemple, nous explique : « Il ne faut pas confondre le grotesque avec la caricature, cette dernière est toujours un portrait plus ou moins enlaidi, le grotesque est toujours une ‘écriture’ qui, sous une apparence plus ou moins fantastique, traite la plupart du temps de sujets complètement étrangers à ceux qui semblent être le thème de la composition choisie par l’artiste… ». Il est difficile d’être plus clair en matière de sculpture à teneur d’un élément ‘ésotérique’ laissé à la vue de tous, mais à l’usage d’initiés particuliers. Le même commentaire, s’il avait été de nous, aurait été immédiatement classé ‘sujet à caution ou vision ésotérico-magique’.
Les charges royales selon Grasset d’Orcet
Ensuite, puisqu’il semble chez lui dans le symbolisme de Ste Croix, écoutons Grasset d’Orcet peut-être nous commenter ce genre de représentation : « Tant qu’ils restèrent confinés dans les monastères carolingiens et qu’ils n’eurent, pour battre en brèche la société, d’autres armes que des chansons ou les rébus qu’ils griffonnaient sur les chapiteaux et les porches des églises, cette influence fut à peu près nulle. Mais dès qu’ils se répandirent dans les universités en partie laïques qui succédèrent aux écoles exclusivement monastiques de Charlemagne, cette influence s’élargit immédiatement dans des proportions considérables ».
Cuisine des Pères. Lors du nettoyage du local
Et cet auteur d’ajouter que le postulant à la charge royale, pour les princes mérovingiens, avant le couronnement, porte un bandeau rouge lui serrant le front pour symboliser son état devant les hommes. A l’issue de la cérémonie, le nouveau roi porte un bandeau noir qui représente son nouvel état royal d’essence divine. Les cheveux représenteraient alors le siège de la force et l’origine princière pour les races mérovingiennes. Les rois déchus, ou vaincus, voyaient leur longue chevelure coupée…
Les familles de Roussillon, Saint Abdon et Saint Sennen
Puisqu’il s’agit de ‘têtes en base de voussures’, reprenons sur le sujet cet extrait de ‘Béatrix Dame de Châteauneuf’ (1912) qui pourrait bien nous donner de précieuses informations sur les ‘habitudes’ cartusiennes dans le Pilat en matière de ‘têtes’ sculptées. « … Trêves, qui appartint à la famille de Roussillon, puis aux Chartreux, avait son auberge et sa chapelle. En effet avec sa voûte dont la clef porte 1540 et dont les nervures reposent sur des têtes de moines, rappelant les voisins de Ste croix, l’église comprend côté du vent, une chapelle autrement ancienne, dite de St Roch, mais élevée aux saints Abdon et Sennen… Ces murs pourraient bien remonter vers l’an 1000… » . Les saints Abdon et Sennen sont bien connus dans le secteur pyrénéen où l’on vénère leur mémoire, plus particulièrement à Arles sur Tech avec le culte de la Sainte tombe à l’eau miraculeuse… Secteur géographique qui ne dut pas être étranger aux familles de Roussillon… fondatrices de Ste Croix et de Vézelay?
Têtes pour l’ordre du Temple à Ste Croix ?
Cuisine des Pères. vue de la cheminée lors de son dégagement.
Enfin un dernier extrait que nous ne pouvons passer sous silence : « … La cuisine. Dans les angles opposés (à la cheminée), ressemblant à deux petits chapiteaux, deux têtes semblent jaillir du mur. Toutes les deux sont grimaçantes, une est ornée d’une coiffure noire, l’autre d’une coiffe rouge. C’est une des énigmes de la Chartreuse qui ne sera sans doute jamais trouvée. Que sont-elles censées représenter ? Ont-elles été un signe de reconnaissance pour des gens de passage ? Faut-il y voir un rapport avec l’ordre des Templiers dont une commanderie n’était pas très éloignée ? ». Tout comme le texte de Viollet le Duc, déjà vu auparavant, si celui-ci était de nous, il est à craindre que quelques qualificatifs peu élogieux nous auraient été immédiatement adressés… En effet ici, en un seul passage, nous trouvons regroupés: une affirmation des bandeaux colorés des deux têtes, le mot ‘énigme’, le terme ‘signe de reconnaissance’ et enfin le mot ‘templier’ ! Ce texte, heureusement, se trouve dans un fascicule des plus sérieux, ‘Promenons-nous dans la Chartreuse de Ste Croix-en-Jarez’, édité par le très sérieux, et officiel, Parc Naturel Régional du Pilat !!! Un organisme au-dessus de tous soupçons de dérives ésotériques!
Les veilleurs dans une étrange cuisine peut-être alchimique
A la lecture de tous ces extraits, ces deux têtes grimaçantes prennent peu à peu un tout autre aspect que celui que l’on ne veut pas aborder : celui du symbolisme ésotérique dans les murs de Ste Croix. Une fois de plus, nous ne pouvons que constater que ce genre de ‘message chiffré’ se trouve dans l’enceinte réservée aux Pères Chartreux. Evidemment, on nous dira frileusement que ces éléments se trouvent dans une cuisine… Certes oui, c’est vrai. Mais il est vrai aussi que dans une cuisine il est possible en toute quiétude d’utiliser un feu de chauffe sans éveiller le moindre soupçon, et pour d’autres usages que celui de faire une soupe de légumes ! En effet nous verrons, par ailleurs, qu’un certain Thibaut de Vassalieu (dont une fresque magnifique le représente sur son lit de mort) vint finir ses jours en exil (ce qui nous rappelle tristement la mise sous sécurité de Béatrix de Roussillon à Ste Croix) avec tout son matériel… alchimique ! Où faire fonctionner un tel outillage, sinon dans un lieu où faire du feu n’éveille la méfiance de personne ? Mais dans un autre chapitre nous verrons que ce lieu se situe sur plusieurs sous-sols… tous plus intéressants les uns que les autres. Ces têtes étranges étaient-elles là pour signaler une réalisation ? Un état ? Un dépôt ? Etait-ce une sorte de balise d’une époque peut-être mérovingienne, une étape d’un cheminement qu’aurait saisi Polycarpe de la Rivière dont le destin s’identifie parfois à celui d’un certain abbé Bérenger Saunière ? En attendant d’autres éléments, nous terminerons provisoirement par ce que nous dit le légendaire de Ste Croix à propos de ces têtes. La légende explique que ces deux faces représenteraient ‘la colère et la mort’…

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