dimanche 6 janvier 2013

L'épiphanie ou jour des Rois (légendes de Belgique).

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6 janvier.

- (Tortula rigida.) L'Épiphanie ou jour des Rois. Drykoningendag.


Cette fête en mémoire de la manifestation de Jésus-Christ aux gentils et de l'adoration des Mages, est une des plus anciennes de l'Église. Nous la trouvons déjà indiquée dans le premier calendrier mi-païen mi-chrétien de l'an 448 quoique sa, célébration générale ne fût arrêtée que par le quatrième concile tenu à Orléans en 541.

Les trois Mages, d'après lesquels cette fête s'appelle « le jour des Rois » ou « Drykoningendag », parce que l'on croit, sur la foi des vieilles traditions, qu'ils étaient les princes des pays d'où ils vinrent pour adorer le Seigneur, jouaient autrefois un grand rôle dans la croyance populaire, comme nous venons de le dire. Il suffisait de porter sur soi leurs noms ou les vers suivants :

Caspar fert myrrham, thus Melchior, Balthasar aurum:
Haec tria qui secum portabit nomina Regum,
Solvitur a morbo, Christi pietate, caduco.

(Gaspar porte la myrrhe, Melchior l'encens, Balthazar l'or; celui qui portera sur soi ces trois noms des Rois, sera délivré, par la grâce de Jésus-Christ, de l'épilepsie.) - pour être guéri du mal caduc [37]. En portant sur soi une image qui représentait l'adoration des mêmes rois avec cette inscription « Sancti tres Reges, Caspar, Melchior, Balthasar, orate pro nobis, nunc et in hora mortis nostrae » (saints trois Rois, Caspar, Melchior, Balthazar, priez pour nous, à présent et dans l'heure de notre mort), on ne guérissait pas seulement du mal caduc, du mal de tête et des fièvres, mais on était aussi préservé des malheurs des chemins, de la morsure des chiens enragés, de la mort subite, des sorcelleries et des maléfices. On croyait même pouvoir tirer à coup sûr, en enveloppant la balle dans un morceau de papier sur lequel étaient inscrits les noms des trois Rois, et quoique l'Église à plusieurs reprises condamnât ces pratiques comme superstitieuses, elles ont subsisté jusqu'au siècle passé, fondées, à ce qu'il paraît, sur le mot de Mage, qui dans la bouche du peuple est devenu synonyme de médecin doué de facultés surnaturelles ou de magicien.

En Flandre, comme en plusieurs parties de l'Allemagne, on nomme le jour des Rois « Groot Nieuwjaer, » grand nouvel an, ce qui explique les cérémonies analogues à celles du nouvel an qui, en Flandre, ont lieu la veille de l'Épiphanie.

A Furnes, à Ypres et en d'autres localités du pays flamand, l'Épiphanie est communément appelée « Dertiendag », ou « Dertiennacht », treizième jour ou treizième nuit, parce que c'est le jour qui suit les douze nuits et par la même raison porte aussi le nom de « heilig-licht nacht, » nuit de la sainte lumière. Car les douze nuits passées les puissances sombres et mystérieuses de la nuit ont fini leur tournée parmi les hommes, le monde souterrain se ferme, la terre appartient de nouveau aux vivants. C'est pourquoi le jour des Rois est un jour de bonheur, surtout pour ceux qui sont nés le jeudi ou le dimanche, et les mariages contractés ce jour sont heureux par excellence [38].

En Angleterre ce jour s'appelle, en opposition de la coutume flamande, « Twelfth-day », douzième jour, mais là, comme en Belgique, c'était anciennement le dernier jour de la fête de Noël, où pour la dernière fois on se livrait à la joie. Les banquets par lesquels on le célébrait trouvèrent un nouvel appui, pour continuer, dans le souvenir chrétien de la noce de Cana, dont l'Église solennisait l'anniversaire au 6 janvier. C'est pourquoi le festin du « Roi boit » se répandit avec facilité de la France dans presque tous les pays germaniques.

Dans les provinces de Liége, de Namur et de Luxembourg, on a conservé, comme en France, l'usage de tirer la fève. Les boulangers y ont l'habitude d'envoyer ce jour-là à leurs pratiques un pain fin de forme ronde et contenant une fève noire, qui, à Huy, s'appelle « pain cadeau » et dont les morceaux sont distribués aux assistants par le plus jeune enfant de la famille. Celui dans la part duquel on trouve la fève, est roi, comme chacun le sait, et pour imiter ce qui se passe à la cour, on lui donne des officiers, toute la compagnie se soumet à ses ordres et lui marque la déférence due à sa souveraineté imaginaire, en criant lorsqu'il boit: « le roi boit! » et en punissant ceux qui manquent à ce devoir.

La croyance populaire que parmi les trois Mages qui vinrent adorer le Sauveur, il y en avait un qui était noir, fournit l'idée du châtiment dont on punissait les coupables. Ils furent condamnés à être barbouillés, et cette coutume qui s'observe encore de nos jours n'augmente pas peu la gaieté du repas. Le roi est tenu de donner à ses sujets un petit festin, le dimanche ou le lundi après le jour des Rois.

En plusieurs endroits, comme à Dinant, les gens de la maison assistent au tirage de la fève.

Dans la partie flamande de la Belgique, on tire les rois et toutes les charges de la cour improvisée par des billets dits « Koningsbrieven », lettres de roi. Selon le nombre de personnes qui assistent au festin, la cour se compose d'un conseiller (raadsheer), d'un confesseur (biechtvader), d'un échanson (schenker), d'un écuyer tranchant (voorproever), d'un fou (zot), d'un médecin (geneesheer), d'un ménestrier (speelman), d'un musicien (muzykant), d'un messager (bode), d'un cuisinier (kok), d'un suisse (zwitser), d'un secrétaire (geheimschryver), d'un valet de chambre (kamerling), d'un ou plusieurs laquais (knecht), etc. Chacun doit tâcher de soutenir pendant la soirée le caractère du rôle que lui donne son billet, et lorsque le roi, qui en signe de sa dignité porte une couronne de papier, se met à boire, tous les assistants doivent crier : « De koning drinckt! » C'est au fou de veiller sur la stricte observation de ce devoir et de marquer par une raie noire au visage ceux qui ne font pas entendre le cri de rigueur.

D'après la tradition, ce sont les Mages mêmes qui ont les premiers crié: ((Le roi boit», lorsqu'à leur visite à Bethléem ils virent l'enfant Jésus prendre le sein de sa mère. D'autres prétendent que l'évangile de la quenouille a donné naissance à cette habitude [39].

Une vieille chanson, qui est encore chantée à Anvers quand on tire le roi, fait allusion à la tradition dont je viens de parler. C'est pourquoi nous ne croyons pas hors de propos de lui assigner une place auprès d'une autre chanson de ce jour, qui est fort populaire à Anvers:

Jaspar, Melchior en Balthazar,
Kwamen by dit kindeken daer,
Zy knielden met ootmoed,
Offeranden,
Wierrook branden,

Zy knielden met ootmoed
Voor dit kindeken, Jezuken zoet.

Geheel de stad die was vol vrêe,
't Kindeken en de beestekens mée;

Dan roepen zy dat 't klinkt
Vivat, Vivat, vivat!

Dan roepen zy dat 't klinkt:
Vivat, Onze koning drinkt [40].

Quand on tire le roi:

WY zyn drie koningen, Wy zoeken geen kind,
Maer een teugsken lovensch dat ons beter dient
Kaves of Lovensch bier
En daerom komen wy hier,
Ha, sa, waerdinneken,
Spoedt u maer naer 't vat,
De mensch en kan niet zingen
Want zyn keel is om te springen
Van het lovensch nat.

Jaspar zoude van achter niet staen,
Kon hy maer geraken aen den lovenschen traen,
Want 't minste dat hy drinkt,
Dat is byna een pint;
En daerby moet hy hebben
Tabak en brandewyn.
Ja, daer eens op gebeten
En by een goed vuer gezeten
Gelyk wy vrienden zyn.

Zoù 'n wy niet wenschen drie koningen te zyn
Daer we altyd hebben tabak en brandewyn;
Wy waeyen en wy zwaeyen
En wy zwaeyen altyd rond;
Daer kwam ons onder wegen
Nog een mooi meisken tegen
Wy gaven ze eenen mond [41]

Bien que dans les villes flamandes le festin du Roi boit ne soit plus en vogue autant qu'autrefois, où à Bruges même les prisonniers pauvres enfermés dans la chambre basse (Donckercamer) de la prison (het Steen) recevaient annuellement quelques livres du « Franc » pour avoir du vin le jour de leur fête de roi [42], on voit encore à présent, la veille et le jour des Rois, les rues d'Anvers remplies d'enfants, garçons et filles, des plus basses classes qui, en criant :

Koningsbrieven en kroon, en kroon!
Koningsbrieven en kroon!

(Lettres de roi et couronne, et couronne! Lettres de roi et couronne!) vont de maison en maison offrir des lettres de roi et en vendent énormément. Car dans les familles de la bourgeoisie et des classes ouvrières, cette ancienne coutume est encore religieusement observée, et tous les membres de la famille,,soit du côté du mari, soit du côté de la femme, se réunissent le soir pour souper ensemble et pour tirer le roi. De petites familles vont chez tel ou tel voisin « den koning te gaen trekken », aller tirer le roi, et partout on s'amuse à causer, à jouer, et à chanter des chansons de Jan Koes, ce célèbre chansonnier qui, au siècle passé, vivait dans les environs d'Anvers et qui est encore aujourd'hui le poète favori du peuple. Inutile de dire que « garsten, » de la bière d'orge, et « koekebakken », des crêpes, sont pour beaucoup dans les réjouissances de ces réunions, qui très-souvent commencent déjà à midi et ne finissent que rarement avant onze heures du soir. Le roi doit régaler tous les assistants. C'est pourquoi on tâche de conférer cette dignité au maître de la maison [43]. A la campagne, le régal consiste ordinairement en café et en gâteaux.

A Malines, les membres du magistrat avaient jadis l'habitude de choisir tous les ans, le jour des Rois, un roi, qui, d'après le local où se tenaient les réunions, recevait le nom de « koning van den Oirde », roi du coin, et auquel, à l'occasion de sa fête, qui chaque année avait lieu le mardi gras, la ville offrait un ou plusieurs muids de vin de Rhin. Dans une requête du 27 septembre 1557, que le propriétaire de la maison appelée « den fellen Oirdt » (au mauvais coin ou au coin décrié) présenta au magistrat, se trouve une liste complète de toutes les personnes qui depuis 1526 jusqu'en 1556 ont été rois du coin.

Les comptes de la ville de l'année 1516 font pour la première fois mention de ce nom [44], qui depuis 1557 a totalement disparu. Mais si le magistrat de Malines a cessé de choisir un roi, le métier des scieurs de bois de la même ville continue de célébrer le jour des Rois comme jour de fête patronale. Car les mots de l'Évangile : « Zy zagen de star » (ce qu'on peut traduire à la fois par : ils virent l'étoile et ils scient l'étoile) ont donné aux « houtzagers » l'idée lumineuse de considérer les Mages comme scieurs et de les honorer par conséquent comme leurs patrons.

A Ypres, où ce jour est assez régulièrement fêté dans les familles et où l'on tire le roi comme partout, on offrait autrefois au doyen un pain aux raisins de Corinthe « korentebroodjen », et en échange de ce présent le doyen donnait aux enfants, le jour de leur première communion, un déjeuner, auquel les korentebroodjens jouaient le rôle principal.

Dans le Hainaut, plus que dans les autres provinces du pays, le jour des Rois est un véritable jour de roi. C'est la fête des familles par excellence de toute l'année. Il n'est pas jusqu'aux familles les plus pauvres qui ne se réunissent pas pour fêter ce jour, et quiconque a encore des parents, eût-il plusieurs lieues à faire pour les joindre, tâche de se rendre chez eux afin de passer « les Rois » au milieu de sa famille. A Tournai, aussi bien qu'à Ath, il arrive très souvent que les servantes qui entrent en service apposent à leur contrat la condition expresse de pouvoir aller le jour des Rois voir les leurs pour manger avec eux « le lapin ». Car à l'exception d'Ath, où le lapin cède le pas à « la saucisse à compote », le lapin est le plat de rigueur de ce jour. Quand on se met à table, on l'annonce, même dans les villes, par quelques coups de fusil ou de pistolet, et après le repas on tire les « billets » pour choisir le roi, qui doit régaler les autres d'une goutte de vin ou d'un gâteau, soit le même jour, soit le lundi suivant, jour qui met une fin à son royaume et aux emplois de ses fonctionnaires. A Mons, c'est le plus jeune enfant de la famille qui doit nommer à celui qui tire les billets les personnes auxquelles chaque billet est destiné, et si le hasard fait reine ou roi la sainte Vierge ou le bon Dieu, on achète par quelques aumônes données aux pauvres le droit de mêler encore une fois les billets et de les tirer de nouveau, afin de ne pas perdre le régal que doit donner le roi.

L'usage qu'ont les enfants à Liége aussi bien qu'à Malines de placer des chandelles allumées en différents endroits de la rue et de danser en ronde à l'entour ou de sauter par-dessus, tombe de plus en plus en désuétude.

A Turnhout, les fabricants de chandelles envoyaient autrefois ce jour à leurs pratiques des chandelles à trois bouts, destinées à ce jeu que l'on appelle « Over 't keersken dansen », danser au-dessus de la petite chandelle. Les enfants plaçaient ces chandelles sur le plancher et sautaient pardessus en chantant:

Drie koningen, drie koningen,
Koopt my 'nen nieuwen hoed;
Myn ouden is versleten,
Moeder mag 't niet weten,
Vader heeft het geld.
Op den rooster geteld [45].

(Trois rois, trois rois, achetez-moi un nouveau chapeau; mon vieux chapeau est rapé, ma mère ne doit pas le savoir et mon père a compté l'argent sur la grilles)

Ou:

Keêrsken, keêrsken onder de been,
En al die daer niet over en kan
En weet er niet van.

Selon toute probabilité les chandelles allumées sont les restes des anciens feux de Noël qu'on allumait ce jour-là, puisqu'avant la réforme du calendrier c'était le jour de Noël. En Angleterre, où à la campagne le Twelfth-day s'appelle encore « Old-Christmas-day », des usages analogues à celui dont nous venons de parler se sont maintenus jusqu'à nos jours.

Une autre coutume qui va décroissant d'un an à l'autre, se trouve encore dans le pays de Limbourg, où des enfants représentant les Mages, s'en vont le soir, de maison en maison, chanter une chanson qui commence:

Dry koningen met eene sterre
Kwamen gerezen al van zoo verre.
Zy riepen alle gelyk : Offeranden !
Laet wierook branden !
Zy riepen alle gelyk : vivat ! etc.

(Trois rois vinrent, avec une étoile, de très-loin. Ils crièrent tous ensemble : Des offrandes! Faites brûler de l'encens! Ils crièrent tous ensemble : Vivat!)

Une cornemuse sert encore çà et là d'instrument d'accompagnement et une ficelle fait tourner de temps en temps l'étoile de carton qui est portée par l'un des rois, et qu'illumine une petite lampe attachée au centre [46].

Ce petit cortège rappelle les anciennes représentations dramatiques de mystères qui autrefois se faisaient presque partout le jour de l'Épiphanie.

Dans les autres contrées de la Belgique il ne nous en reste que les chanteurs, habillés comme tous les jours, qui pendant quelques jours parcourent de nouveau les rues comme à Noël et chantent les « Drykoningsliederen », chansons des trois Rois.

A Alost, où ces chanteurs commençaient déjà leur tournée la veille des Rois, on a aboli cette habitude depuis 1858, mais à Anvers l'usage s'est maintenu jusqu'à présent en pleine vigueur. Les « Kerstliedekens », chansonnettes de Noël, que des enfants ou des vieillards y chantent depuis l'Épiphanie jusqu'à la Chandeleur, sont en grande partie composées par le poète Jan Koes, dont j'ai déjà parlé. Quelquefois on y entend même des élégies sur la mort de Marie-Thérèse, qui finissent par ce refrain:

Onz' Keizerin is overleden,
Ja, onz Maria Theresia.
(Notre impératrice est décédée,
Oui, notre Marie-Thérèse) [47].

Dans le pays wallon les enfants vont de porte en porte chanter les Noëls, comme à Noël. A Huy, et dans les environs de Liége, ils ne chantent que jusqu'au neuvième jour après le jour des Rois.

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