Jean Markale et les megalithes
Avertissement
Cette interview de
notre ami Jean Markale par Gérard Moreau de Waldan dont nous avons
fait état de nombreuses fois dans nos travaux, date de 1989. Cependant,
malgré le temps passé, nous la pensons toujours d’actualité
et semblant ne rien avoir perdu de sa saveur. C’est donc avec plaisir
que nous l’entrons sur nos colonnes comme un témoignage de
la ‘civilisation des mégalithes’, à l’attention
de nos lecteurs.
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Lors d'un de ses passages chez nous, nous avons posé quelques
questions à M. Jean Markale au sujet des monuments Mégalithiques.
Voici donc le résultat de cet entretien :G.M.W. : Que pensez-vous de la civilisation des mégalithes ?
J.M. : Qui étaient ces constructeurs de mégalithes ? Il est difficile de répondre à cette question. Leur race est indéterminée. Leur langue est inconnue. Les fouilles archéologiques ont permis de constater que, la plupart du temps, c'étaient des semi-nomades, vivant de chasse, de cueillette, de pêche, et pratiquant une agriculture rudimentaire. Nous sommes aux environs de l'an 3000 avant notre ère.
G.M.W. : Peut-on affirmer que ces monuments mégalithiques se trouvent principalement en Bretagne ?
J.M. : Ces monuments, quoique l'imagerie d'Epinal largement diffusée ait fait de la Bretagne leur terre d'élection, ne sont absolument pas caractéristiques de la péninsule armoricaine. On en trouve partout en Europe ; on en trouve en Afrique et même en Corée. En Europe occidentale même, c'est le département de l'Aveyron, en pleine Occitanie, qui contient le plus de dolmens, et l'Irlande en a conservé un nombre impressionnant. Cependant, si l'on considère les fameux alignements de Carnac et si l'on tient compte des nombreux monuments qui ont été détruits au cours des âges, c'est quand même la Bretagne, et particulièrement la région du Morbihan, qui occupe la première place quant à ces stèles qu'on appelle des menhirs.
G.M.W. : On a souvent prétendu que les constructeurs de mégalithes avaient de très grandes connaissances astronomiques, qu'en pensez-vous ?
J.M. : Sans aucun doute, des considérations astronomiques ont présidé à l'érection de ces monuments titanesques, mais cela ne nous renseigne guère sur le but d'un tel déploiement. Religion de type céleste, avec notions astronomiques et par conséquent astrologiques ? Nous ne pouvons répondre affirmativement sans ajouter aucune suite à cette constatation.
G.M.W. : Pour certains, il est courant de rapprocher les monuments mégalithiques des pyramides d'Egypte, qu'en pensez-vous ?
J.M. : Il est certain qu'il n'y a aucun rapport entre Karnak et Carnac.
Quant à l'analogie entre les dolmens, les allées couvertes, et les pyramides d'Egypte, elle a le plus de chances de correspondre à une réalité objective. En effet, tout semble montrer un même souci de placer le défunt dans un décor qui pût rappeler les circonstances de sa vie, de l'entourer de ses objets familiers, même en réduction sous forme votive, et de lui assurer une demeure pour l'éternité.
G.M.W. : Peut-on parler de religion mégalithique ?
J.M. : Nous ne savons rien des croyances des peuples mégalithiques, sinon qu'ils adoraient une divinité féminine dispensatrice de vie et de mort, et dont la représentation est fréquente sur les supports intérieurs des dolmens. Mais la religion de ces peuples reste une énigme pour nous.
G. M.W. : Mais peut-on parler de civilisation, alors ?
J.M. : On peut dire que les peuples des mégalithes possédaient une civilisation.
Leur art nous est connu. Les supports de certains monuments comportent en effet des gravures fort mystérieuses, qui paraissent davantage relever d'une écriture hiéroglyphe que d'un art purement décoratif. En fait, si l'on voulait caractériser l'art dolménique, il faudrait parler d'une époque de transition entre la figuration et la non-figuration, une sorte d'éclatement de l'univers réel au profit d'une sacralisation des formes. Ce sont généralement des lignes évoquant les flots de la mer, la forme des barques ou des chars, les cornes d'un animal ou les phases de la lune, toutes ces images se présentant comme une sorte de surimpression où l'objet n'est plus seulement lui-même, mais aussi d'autres choses. Les figurations humaines sont très rares, encore sont-elles schématiques, comme si les peuples des mégalithes avaient craint de fixer dans la pierre l'image de l'être humain. A Gavrinis, la plupart des gravures émanent de la chevelure ou la provoquent, comme elles provoquent les mouvements de la tempête sur la mer. Un second élément caractéristique, le collier, sert de réplique à la chevelure et prolonge encore plus avant le cadre naturel de l'ouvrage. Le collier a été, lui aussi, un insigne de puissance, et les Celtes, héritiers directs de cette civilisation mégalithique, en développeront largement l'usage et le sens symbolique, surtout dans leurs célèbres torques. Un troisième élément semble avoir été à l'honneur à Gavrinis : la hache non emmanchée, symbole de force, devenue image même de la divinité. Il voisine souvent avec des signes ‘serpentiformes’. La pierre n'est plus une pierre : elle est devenue, par abandon total de la matière, le témoignage le plus éblouissant du triomphe de l'esprit créateur sur la masse inerte, le triomphe de la vie sur la mort. Et tout cela défie les siècles. Dans l'ombre des tertres, l'image de la déesse inconnue contemple encore les quelques fidèles qui se risquent dans ces sanctuaires pour tenter d'apercevoir une portion de l'infini. Malheureusement, de cette vision transcendantale de l'univers due à des peuples dont l'histoire a oublié le nom, nous ne possédons plus que les négatifs, gravés en creux dans la pierre d'un monument enfoui depuis des millénaires en un îlot battu par les vents.
G.M.W. : On a souvent fait le rapprochement entre le druidisme et la civilisation des mégalithes, qu'en pensez-vous?
J.M. : La tradition populaire a relié druidisme et mégalithes ; c'est peut-être parce qu'il y avait entre eux un certain rapport, même vague ou secondaire. Après tout, les textes mythologiques irlandais font des tertres mégalithiques les demeures des anciens dieux : cette localisation n'est peut-être pas due au hasard et, assurément, elle pose un problème qu'on ne peut esquiver en se retranchant définitivement derrière des certitudes archéologiques. Après tout, certains sanctuaires romains sont devenus des églises chrétiennes, et la plupart des chapelles chrétiennes se trouvent à l'emplacement de lieux de cultes plus anciens, aussi bien gréco-romains que celtiques ou préhistoriques. Il y a eu aussi réemploi, réutilisation de certains monuments, et les exemples ne manquent pas sur ce sujet. De plus, les religions ne meurent pas complètement : de l'ancienne, il reste toujours certains éléments, de croyances ou de rituels, des habitudes acquises en quelque sorte, dans la nouvelle qui s'installe. Il n'y aurait donc rien d'étonnant à ce que le druidisme ait recueilli un certain héritage des populations que les Celtes ont trouvées, installées dans les territoires qu'ils ont occupés et avec lesquelles ils ont, bon gré, mal gré, formé une communauté nouvelle. Ce qui resterait à déterminer, dans ce cas, c'est la part exacte de cet héritage. Et cela ne résoudrait aucunement le problème de l'origine du druidisme. Etait-ce une religion importée par les Celtes indo-européens, et d'où ceux-ci l'avaient-ils amenée avec eux ? Etait-ce au contraire une religion autochtone qui a été complètement réformée, repensée et structurée par les conquérants celtes ? La structure du druidisme paraît très nettement indo-européenne. Mais le reste, les croyances, les rituels, certaines façons de penser et de raisonner sur l'Au-Delà ?
G.M.W. : Et bien, Monsieur Jean Markale, nous vous remercions pour cet entretien exclusif, sachant que vous n'aimez pas donner d’interviews ; mais ici ce n'est pas une véritable interview, ce n'est, tout au plus, qu'une conversation entre amis qui s'apprécient et se respectent, ce qui n'est pas si souvent le cas. Nous espérons que nous pourrons refaire cette expérience un jour prochain.
Gérard Moreau de Waldan
Pour nos amis lecteurs que ces différents sujets pourraient intéresser, nous leur conseillons cette petite bibliographie :
"Carnac et l'Enigme de l'Atlantide", aux éditions Pygmalion
"Histoire secrète de la Bretagne", Editions Albin Michel
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