CHAPITRE I / DANS L’OMBRE DES TEMPLIERS
Qu'il me soit permis au seuil de cette page, de rendre un brillant
hommage aux Templiers et aux Hospitaliers qui s'installèrent au Col
Saint-Jean, assurant le libre passage des pèlerins entre les vallées de
la Blanche et de l’Ubaye, afin de les protéger contre les pillards et
les coupe-jarrets. Les guerres de religion contribuèrent à effacer la
plupart de leurs traces. Par le biais d’un roman intitulé « Dans l’ombre
des Templiers », je relate des faits historiques qui se sont déroulés à
partir du XIIe siècle jusqu’à nos jours. Ces récits sont le fruit de
huit années de recherches sur le Pays de Seyne., situé dans les Alpes de
Haute-Provence. Mon but, poursuivre une quête, celle de retrouver
l'histoire de ces moines guerriers qui vécurent dans cette Vallée de la
Blanche, sur l'un des sites les plus remarquables de cette région
alpestre.
CHAPITRE I
1) Parfois, le
temps ne se prêtait guère pour emprunter l'un des innombrables sentiers
de randonnée que compte la Vallée, car soudainement, un épais brouillard
pouvait envahir toute la région. Il faut savoir que certains chemins
étaient déjà là, bien avant que ne viennent ces religieux. Aimer les
parcourir, c'est apprendre à mieux connaître leurs tracés, ce qui peut
conforter notre jugement dans nos recherches.
Combien de fois,
me suis-je rendu jusqu'à la chapelle romane de Saint-Léger pour y
retrouver la sérénité et y rencontrer mes amis de l'ombre. Après avoir
dépassé le petit hameau du même nom, je commençai à gravir le large
chemin empierré qui allait me conduire devant l'entrée de ce très bel
oratoire érigé sur la pointe d'un mamelon.
Ce jour là,
tournant la clef dans la serrure, j'ouvris la porte laissant découvrir
l'intérieur de la chapelle. M'approchant de l'autel, je distinguais huit
croix de Malte peintes sur les murs de l'édifice.
2) C’était
bien l’empreinte des chevaliers, mais pourquoi ne les avais-je pas
remarqué plus tôt ? Mon attention se porta alors sur l’une de ces croix
d’un rouge éclatant. J’avançais lentement ma main de façon à effleurer
délicatement de mes doigts cette empreinte indélébile laissée à la
postérité.
Je pris alors quelques photos tout en m’assurant
que celles-ci étaient bonnes, mais il n’y avait rien !... Pas un seul
cliché sur ces croix ! Abandonnant alors les prises de vues pour un
instant, je décidais de m’asseoir sur un banc et de réfléchir à cette
situation. Il me vint alors l’idée de prendre une photographie du
sanctuaire. Cette dernière fut une réussite totale, mais je n’avais
toujours pas une seule croix des chevaliers de Malte sur la pellicule.
Mon regard se posa ensuite sur la statue en bois représentant
Saint-Léger qui fut évêque d’Autun (v.616-679). Après l’assassinat de
Childéric II, Ebroïn le fit torturer en lui faisant brûler les yeux et
en lui arrachant la langue. Par la suite, il sera décapité près de
Doullens, puis réhabilité, il sera solennellement reconnu comme martyr.
La chapelle Saint-Léger servira au culte paroissial dès le début de
l’année 1590.
A plusieurs reprises, provenant de chaque côté de l’autel, j’entendis murmurer une prière : C’était le Pater Noster.
« Pater noster, qui es in coelis, Sanctificetur nomen tuum, Adveniat
regnum tuum, Fiat voluntas tua, sicut in caelo et in terra.
Panem
nostrum quotidianum da nobis hodie. Et dimitte nobis debita nostra,
sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Et ne nos inducas in
tentationem. Sed libera nos a malo. »
Amen
3) Au bout d’un
moment, les chuchotements cessèrent me laissant déconcerté. Pourtant je
n’avais pas rêvé !… Il s’agissait bien de voix !... Et ces murmures qui
venaient envahir mes oreilles appartenaient très certainement aux
chevaliers de Malte. Peut-être me trompais-je dans mon raisonnement, car
à force de fréquenter des lieux Saints, on finit par s’inventer toutes
sortes de choses.
Comme à l’accoutumée, continuant ma
petite visite, je détaillais du regard une dalle mortuaire qui reposait
en guise d’autel, supportée par un appareillage grossier de grès et de
lauze. Cette pierre tombale appartenait à qui ?... Voilà encore une
question à laquelle je ne pourrais peut-être jamais répondre !
Pour l’instant, Saint-Léger n’apportait aucune réponse à mes questions.
Il fallait donc continuer mes investigations sur le terrain, commençant
mes recherches chez l’habitant. Je savais que pendant les guerres de
religion, les troupes catholiques s’étaient dirigées vers le château de
Montclar, empruntant le chemin reliant Seyne-la-Grand-Tour au Col
Saint-Jean.
Après avoir traversé la Vallée de la Blanche, ils
aperçurent au loin la bannière des seigneurs de Jarente qui flottait sur
le donjon. Sans difficulté, ils arrivèrent devant la fortification que
la garnison venait d’abandonner la veille. Pénétrant dans la place sans
coup férir, ils saccagèrent le mobilier et mirent le feu aux tentures
qui s’embrasèrent aussitôt. Puis, ils s’en prirent aux maisons des
villageois, dont les toitures faites de bois et de chaume s’embrasèrent
rapidement. Le château et le village furent en peu de temps la proie des
flammes.
4) De là, les catholiques pillèrent, brûlèrent,
rasèrent tous les villages qui se trouvaient sur leur passage dans cette
belle Vallée de la Blanche. Les calvinistes et le sieur Baschi
gouverneur protestant de Seyne-la-Grand-Tour arrivèrent trop tard. Fou
de rage, il entreprit de se venger sur-le-champ en faisant saccager
l’église paroissiale et la chapelle des Dominicains de Seyne, ordonna
après avoir expulsé les religieux, de faire incendier la chapelle et
l’église paroissiale de Montclar, ainsi que tous les biens qui
appartenaient aux chevaliers de Malte, comme leur résidence, l’abbaye de
Pinaudier et la chapelle Saint-Léger qui se trouvaient au Col
Saint-Jean. Une fois les chevaliers partis, les Huguenots se partagèrent
leurs terres et leurs revenus.
Les habitants qui avaient fui
Montclar se réfugièrent dans la chapelle Saint-Léger pour empêcher les
Huguenots de commettre une folie en incendiant le sanctuaire. Les
villageois prétendirent de ce fait, que les protestants n’avaient pas le
droit de détruire ce qui appartenait aux chevaliers de Malte. Pour le
gouverneur Baschi, il fallait se venger à tout prix, et anéantir tous
ces soi-disant lieux de culte qui représentaient cette église romaine,
fondée sur l’ambition, l’intolérance et l’injustice.
En ce qui
concerne ces pauvres gens, ils durent abandonner toute résistance
et quitter définitivement leur chapelle. Certains essuyèrent quelques
larmes, puis jetèrent un dernier regard sur Saint-Léger avant de
s’éloigner dans la campagne. Les soldats du gouverneur Baschi envoyèrent
des brandons enflammés dans la nef, mais comme je le raconte, il se
passa quelque chose d’extraordinaire, car malgré la bonne volonté des
Huguenots pour alimenter le feu, l’incendie ne put ébranler la voûte en
tuf de la chapelle. Le sanctuaire était sauvé !
5) Il
m’arrivait fréquemment de me rendre à la chapelle, où je passais de
longs moments à méditer sur les affrontements fratricides entre
catholiques et protestants. Je déplorais et condamnais fermement ces
guerres de religion qui avaient fait d’innombrables victimes innocentes à
cause de la folie meurtrière des hommes pour avoir défendu leurs
propres convictions.
L’incendie provoqué par
l’incompréhension de Baschi et de ses hommes avait occasionné quelques
dégâts à cet étonnant oratoire qui dominait le hameau et le lac
Saint-Léger, situés en bordure des forêts de Costebelle, que je
connaissais bien pour les avoir traversé en toute saison.
J’imaginais que si j’avais été présent à cette époque, j’aurais pu
découvrir en m’introduisant dans ce haut lieu la porte entrouverte en
grande partie calcinée, tenait à peine sur ses gonds. Les murs étaient
plus ou moins noircis par les fumées de la veille. Le mobilier était
entièrement brûlé, et les quelques tableaux accrochés aux murs évoquant
des scènes de la vie du Christ avaient fini aussi dans le feu. Dans la
nef, la lourde dalle de l’autel qui reposait sur deux piliers, était
renversée et gisait sur le sol. Il ne restait plus rien des crucifix,
des bougeoirs et des candélabres qui avaient été dérobés pendant la
nuit par des gens sans vergogne. Malgré cela, les flammes et la chaleur
n’avaient pas eu raison de l’admirable édifice.
Le lendemain,
après avoir récupéré les clefs chez mon ami Georges, je remontais
jusqu’à la chapelle accompagné de Jack, un beauceron de huit ans qui
ressemblait trait pour trait à mon chien Cyrus, que j’avais laissé à
Toulouse à cause de la distance.
Arrivé sur les lieux, je
m’aperçus que la porte était entrouverte. Restant sur mes gardes, je
pénétrais à l’intérieur, marchant à tâtons, tout en m’avançant lentement
en direction de l’autel. Un halo de brume avait complètement envahi la
pièce.
6) Plus j’avançais, plus j’avais l’impression étrange
d’être épié dans mes mouvements. La chapelle paraissait beaucoup plus
vaste que d’habitude, et les bancs avaient totalement disparu. Les murs
étaient recouverts d’un crépi blanc, et le support de l’autel reposait
bien sur deux piliers. Peu à peu, le brouillard s’estompa et avant que
celui-ci ne disparaisse complètement, je devinais alors les huit croix
de Malte peintes à droite et à gauche de l’autel.
C’est alors que
des silhouettes tapies dans l’ombre s’avancèrent vers moi en poussant
leur cri de guerre : «Saint-Jean ! Saint-Jean !» Sur ces entrefaites, je
sursautais tandis qu’un silence inquiétant retomba subitement dans la
salle…
Ils étaient au nombre de huit, et portaient une cotte
de maille rouge avec une croix blanche à huit pointes sur le côté
gauche, tandis que l’un d’entre eux tenait dans sa main droite la
bannière de l’Ordre qui représentait aussi une croix blanche sur un
champ de gueules. La plupart de ces chevaliers paraissaient avoir un âge
avancé ; il est certain qu’une barbe cachait une partie de leur visage
amaigri à cause de ces guerres de religion.
Leur origine
était noble et vous pouvez me croire !... Et comme vous le savez, il y
eut d’abord les chevaliers de l’Ordre Militaire et Hospitalier de
Saint-Jean de Jérusalem, qui devinrent par la suite chevaliers de
Rhodes, puis chevaliers de Malte.
L’un d’entre eux s’adressa
à moi avec une voix pleine de douceur et des paroles de tendresse. Il
me raconta qu’ils avaient été les gardiens du Col Saint-Jean et qu’ils
étaient huit. Malheureusement, et ils n’étaient pas assez nombreux pour
se défendre contre les protestants. Evitant l’affrontement, ils durent
négocier amèrement leur liberté. Voyant qu’ils avaient à faire à des
moines dont la sagesse mérite le respect, les Huguenots les laissèrent
partir sans armes et sans bagages, juste avec leurs servants et quelques
chanoinesses, car la grandeur de l’âme, la valeur et toutes les autres
qualités pouvaient être communes aux deux sexes. Après les pourparlers,
ils abandonnèrent la commanderie et l’abbaye de Pinaudier, incluant
l’hôpital et la résidence des chevaliers, la chapelle Saint-Léger, plus
toutes les terres et les dépendances de l’Ordre. Les Huguenots mirent
alors le feu à tout ce qui représentait l’église romaine, sauf
l’hôpital.
7) - Ils nous ont laissé la vie sauve et je les
remercie de nous avoir épargné, nous ne méritions pas de finir comme de
vulgaires coupe-jarrets. Nous avions aussi très peur pour les femmes et
les servants, pensant à toute la cruauté que pouvaient leur faire subir
les huguenots. Gloire et louange à notre Seigneur qui les a finalement
conduit sur la voie de la sagesse, afin de ne point apporter le malheur
dans notre petite communauté…
Les premiers conflits entre
protestants et catholiques éclatèrent à Seyne-la-Grand-Tour, mais
également dans plusieurs villes de province. Le parti des réformés
encouragea la haine et le fanatisme, insultant les catholiques, menaçant
même de tuer un prédicateur jésuite, car il faut dire que la ville de
Seyne appartenait aux protestants. Les calvinistes maltraitèrent aussi
les dominicains et pillèrent leur monastère. Tortures et meurtres
allèrent bon train, même jusqu’à enfermer des religieux dans des
tonneaux transpercés de clous, qu’ils précipitèrent du haut des
collines. Ces désaccords n’épargnèrent malheureusement, ni les
réformistes, ni les papistes, car chaque camp poursuivait sans relâche
son engagement afin de défendre ses propres convictions religieuses. De
nombreux clans s’affrontèrent pitoyablement dans des joutes oratoires
pour finir par s’entretuer, une façon peu orthodoxe pour certains de
régler définitivement leurs divergences. Finalement, la guerre éclata
dans toutes les provinces du royaume en l’an de grâce 1562. Ces
affrontements causèrent la mort de plus d’un million de personnes, ainsi
que de grands désastres financiers.
- Nous ne sommes jamais
revenus à Pinaudier, mes frères et moi, et cela malgré nos demandes
constantes. Honoré Quiqueran de Beaujeu, Grand Prieur à Arles envoya à
notre place dans le pays de Seyne d’autres frères pour reprendre les
biens de l’Ordre. Alexandre de Pontis, membre de Saint-Jean intenta des
procès contre les usurpateurs de façon à récupérer toutes les
possessions de la commanderie. Après avoir retrouvé leurs biens, des
chevaliers s’installèrent dans l’hôpital, seul bâtiment qui n’avait pas
subi les affres de la guerre. Ils restèrent quelques années pour porter
assistance aux malades et aux plus démunis. Malheureusement, L’hôpital
resta vide sans qu’ils puissent apporter un quelconque soutien à ces
nécessiteux. Peu à peu l’ancienne commanderie resta veuve de ses
maîtres.
Je l’écoutais en silence, évitant de faire le moindre bruit pour ne pas déranger
cet extraordinaire protecteur des pauvres et des opprimés, lorsque soudainement,
les huit croix de malte s’effacèrent en même temps que disparurent les chevaliers.
- Attendez ! m’écriai-je.
Qu'il me soit permis au seuil de cette page, de rendre un brillant hommage aux Templiers et aux Hospitaliers qui s'installèrent au Col Saint-Jean, assurant le libre passage des pèlerins entre les vallées de la Blanche et de l’Ubaye, afin de les protéger contre les pillards et les coupe-jarrets. Les guerres de religion contribuèrent à effacer la plupart de leurs traces. Par le biais d’un roman intitulé « Dans l’ombre des Templiers », je relate des faits historiques qui se sont déroulés à partir du XIIe siècle jusqu’à nos jours. Ces récits sont le fruit de huit années de recherches sur le Pays de Seyne., situé dans les Alpes de Haute-Provence. Mon but, poursuivre une quête, celle de retrouver l'histoire de ces moines guerriers qui vécurent dans cette Vallée de la Blanche, sur l'un des sites les plus remarquables de cette région alpestre.
CHAPITRE I
1) Parfois, le temps ne se prêtait guère pour emprunter l'un des innombrables sentiers de randonnée que compte la Vallée, car soudainement, un épais brouillard pouvait envahir toute la région. Il faut savoir que certains chemins étaient déjà là, bien avant que ne viennent ces religieux. Aimer les parcourir, c'est apprendre à mieux connaître leurs tracés, ce qui peut conforter notre jugement dans nos recherches.
Combien de fois, me suis-je rendu jusqu'à la chapelle romane de Saint-Léger pour y retrouver la sérénité et y rencontrer mes amis de l'ombre. Après avoir dépassé le petit hameau du même nom, je commençai à gravir le large chemin empierré qui allait me conduire devant l'entrée de ce très bel oratoire érigé sur la pointe d'un mamelon.
Ce jour là, tournant la clef dans la serrure, j'ouvris la porte laissant découvrir l'intérieur de la chapelle. M'approchant de l'autel, je distinguais huit croix de Malte peintes sur les murs de l'édifice.
2) C’était bien l’empreinte des chevaliers, mais pourquoi ne les avais-je pas remarqué plus tôt ? Mon attention se porta alors sur l’une de ces croix d’un rouge éclatant. J’avançais lentement ma main de façon à effleurer délicatement de mes doigts cette empreinte indélébile laissée à la postérité.
Je pris alors quelques photos tout en m’assurant que celles-ci étaient bonnes, mais il n’y avait rien !... Pas un seul cliché sur ces croix ! Abandonnant alors les prises de vues pour un instant, je décidais de m’asseoir sur un banc et de réfléchir à cette situation. Il me vint alors l’idée de prendre une photographie du sanctuaire. Cette dernière fut une réussite totale, mais je n’avais toujours pas une seule croix des chevaliers de Malte sur la pellicule.
Mon regard se posa ensuite sur la statue en bois représentant Saint-Léger qui fut évêque d’Autun (v.616-679). Après l’assassinat de Childéric II, Ebroïn le fit torturer en lui faisant brûler les yeux et en lui arrachant la langue. Par la suite, il sera décapité près de Doullens, puis réhabilité, il sera solennellement reconnu comme martyr. La chapelle Saint-Léger servira au culte paroissial dès le début de l’année 1590.
A plusieurs reprises, provenant de chaque côté de l’autel, j’entendis murmurer une prière : C’était le Pater Noster.
« Pater noster, qui es in coelis, Sanctificetur nomen tuum, Adveniat regnum tuum, Fiat voluntas tua, sicut in caelo et in terra.
Panem nostrum quotidianum da nobis hodie. Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Et ne nos inducas in tentationem. Sed libera nos a malo. »
Amen
3) Au bout d’un moment, les chuchotements cessèrent me laissant déconcerté. Pourtant je n’avais pas rêvé !… Il s’agissait bien de voix !... Et ces murmures qui venaient envahir mes oreilles appartenaient très certainement aux chevaliers de Malte. Peut-être me trompais-je dans mon raisonnement, car à force de fréquenter des lieux Saints, on finit par s’inventer toutes sortes de choses.
Comme à l’accoutumée, continuant ma petite visite, je détaillais du regard une dalle mortuaire qui reposait en guise d’autel, supportée par un appareillage grossier de grès et de lauze. Cette pierre tombale appartenait à qui ?... Voilà encore une question à laquelle je ne pourrais peut-être jamais répondre !
Pour l’instant, Saint-Léger n’apportait aucune réponse à mes questions. Il fallait donc continuer mes investigations sur le terrain, commençant mes recherches chez l’habitant. Je savais que pendant les guerres de religion, les troupes catholiques s’étaient dirigées vers le château de Montclar, empruntant le chemin reliant Seyne-la-Grand-Tour au Col Saint-Jean.
Après avoir traversé la Vallée de la Blanche, ils aperçurent au loin la bannière des seigneurs de Jarente qui flottait sur le donjon. Sans difficulté, ils arrivèrent devant la fortification que la garnison venait d’abandonner la veille. Pénétrant dans la place sans coup férir, ils saccagèrent le mobilier et mirent le feu aux tentures qui s’embrasèrent aussitôt. Puis, ils s’en prirent aux maisons des villageois, dont les toitures faites de bois et de chaume s’embrasèrent rapidement. Le château et le village furent en peu de temps la proie des flammes.
4) De là, les catholiques pillèrent, brûlèrent, rasèrent tous les villages qui se trouvaient sur leur passage dans cette belle Vallée de la Blanche. Les calvinistes et le sieur Baschi gouverneur protestant de Seyne-la-Grand-Tour arrivèrent trop tard. Fou de rage, il entreprit de se venger sur-le-champ en faisant saccager l’église paroissiale et la chapelle des Dominicains de Seyne, ordonna après avoir expulsé les religieux, de faire incendier la chapelle et l’église paroissiale de Montclar, ainsi que tous les biens qui appartenaient aux chevaliers de Malte, comme leur résidence, l’abbaye de Pinaudier et la chapelle Saint-Léger qui se trouvaient au Col Saint-Jean. Une fois les chevaliers partis, les Huguenots se partagèrent leurs terres et leurs revenus.
Les habitants qui avaient fui Montclar se réfugièrent dans la chapelle Saint-Léger pour empêcher les Huguenots de commettre une folie en incendiant le sanctuaire. Les villageois prétendirent de ce fait, que les protestants n’avaient pas le droit de détruire ce qui appartenait aux chevaliers de Malte. Pour le gouverneur Baschi, il fallait se venger à tout prix, et anéantir tous ces soi-disant lieux de culte qui représentaient cette église romaine, fondée sur l’ambition, l’intolérance et l’injustice.
En ce qui concerne ces pauvres gens, ils durent abandonner toute résistance et quitter définitivement leur chapelle. Certains essuyèrent quelques larmes, puis jetèrent un dernier regard sur Saint-Léger avant de s’éloigner dans la campagne. Les soldats du gouverneur Baschi envoyèrent des brandons enflammés dans la nef, mais comme je le raconte, il se passa quelque chose d’extraordinaire, car malgré la bonne volonté des Huguenots pour alimenter le feu, l’incendie ne put ébranler la voûte en tuf de la chapelle. Le sanctuaire était sauvé !
5) Il m’arrivait fréquemment de me rendre à la chapelle, où je passais de longs moments à méditer sur les affrontements fratricides entre catholiques et protestants. Je déplorais et condamnais fermement ces guerres de religion qui avaient fait d’innombrables victimes innocentes à cause de la folie meurtrière des hommes pour avoir défendu leurs propres convictions.
L’incendie provoqué par l’incompréhension de Baschi et de ses hommes avait occasionné quelques dégâts à cet étonnant oratoire qui dominait le hameau et le lac Saint-Léger, situés en bordure des forêts de Costebelle, que je connaissais bien pour les avoir traversé en toute saison.
J’imaginais que si j’avais été présent à cette époque, j’aurais pu découvrir en m’introduisant dans ce haut lieu la porte entrouverte en grande partie calcinée, tenait à peine sur ses gonds. Les murs étaient plus ou moins noircis par les fumées de la veille. Le mobilier était entièrement brûlé, et les quelques tableaux accrochés aux murs évoquant des scènes de la vie du Christ avaient fini aussi dans le feu. Dans la nef, la lourde dalle de l’autel qui reposait sur deux piliers, était renversée et gisait sur le sol. Il ne restait plus rien des crucifix, des bougeoirs et des candélabres qui avaient été dérobés pendant la nuit par des gens sans vergogne. Malgré cela, les flammes et la chaleur n’avaient pas eu raison de l’admirable édifice.
Le lendemain, après avoir récupéré les clefs chez mon ami Georges, je remontais jusqu’à la chapelle accompagné de Jack, un beauceron de huit ans qui ressemblait trait pour trait à mon chien Cyrus, que j’avais laissé à Toulouse à cause de la distance.
Arrivé sur les lieux, je m’aperçus que la porte était entrouverte. Restant sur mes gardes, je pénétrais à l’intérieur, marchant à tâtons, tout en m’avançant lentement en direction de l’autel. Un halo de brume avait complètement envahi la pièce.
6) Plus j’avançais, plus j’avais l’impression étrange d’être épié dans mes mouvements. La chapelle paraissait beaucoup plus vaste que d’habitude, et les bancs avaient totalement disparu. Les murs étaient recouverts d’un crépi blanc, et le support de l’autel reposait bien sur deux piliers. Peu à peu, le brouillard s’estompa et avant que celui-ci ne disparaisse complètement, je devinais alors les huit croix de Malte peintes à droite et à gauche de l’autel.
C’est alors que des silhouettes tapies dans l’ombre s’avancèrent vers moi en poussant leur cri de guerre : «Saint-Jean ! Saint-Jean !» Sur ces entrefaites, je sursautais tandis qu’un silence inquiétant retomba subitement dans la salle…
Ils étaient au nombre de huit, et portaient une cotte de maille rouge avec une croix blanche à huit pointes sur le côté gauche, tandis que l’un d’entre eux tenait dans sa main droite la bannière de l’Ordre qui représentait aussi une croix blanche sur un champ de gueules. La plupart de ces chevaliers paraissaient avoir un âge avancé ; il est certain qu’une barbe cachait une partie de leur visage amaigri à cause de ces guerres de religion.
Leur origine était noble et vous pouvez me croire !... Et comme vous le savez, il y eut d’abord les chevaliers de l’Ordre Militaire et Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, qui devinrent par la suite chevaliers de Rhodes, puis chevaliers de Malte.
L’un d’entre eux s’adressa à moi avec une voix pleine de douceur et des paroles de tendresse. Il me raconta qu’ils avaient été les gardiens du Col Saint-Jean et qu’ils étaient huit. Malheureusement, et ils n’étaient pas assez nombreux pour se défendre contre les protestants. Evitant l’affrontement, ils durent négocier amèrement leur liberté. Voyant qu’ils avaient à faire à des moines dont la sagesse mérite le respect, les Huguenots les laissèrent partir sans armes et sans bagages, juste avec leurs servants et quelques chanoinesses, car la grandeur de l’âme, la valeur et toutes les autres qualités pouvaient être communes aux deux sexes. Après les pourparlers, ils abandonnèrent la commanderie et l’abbaye de Pinaudier, incluant l’hôpital et la résidence des chevaliers, la chapelle Saint-Léger, plus toutes les terres et les dépendances de l’Ordre. Les Huguenots mirent alors le feu à tout ce qui représentait l’église romaine, sauf l’hôpital.
7) - Ils nous ont laissé la vie sauve et je les remercie de nous avoir épargné, nous ne méritions pas de finir comme de vulgaires coupe-jarrets. Nous avions aussi très peur pour les femmes et les servants, pensant à toute la cruauté que pouvaient leur faire subir les huguenots. Gloire et louange à notre Seigneur qui les a finalement conduit sur la voie de la sagesse, afin de ne point apporter le malheur dans notre petite communauté…
Les premiers conflits entre protestants et catholiques éclatèrent à Seyne-la-Grand-Tour, mais également dans plusieurs villes de province. Le parti des réformés encouragea la haine et le fanatisme, insultant les catholiques, menaçant même de tuer un prédicateur jésuite, car il faut dire que la ville de Seyne appartenait aux protestants. Les calvinistes maltraitèrent aussi les dominicains et pillèrent leur monastère. Tortures et meurtres allèrent bon train, même jusqu’à enfermer des religieux dans des tonneaux transpercés de clous, qu’ils précipitèrent du haut des collines. Ces désaccords n’épargnèrent malheureusement, ni les réformistes, ni les papistes, car chaque camp poursuivait sans relâche son engagement afin de défendre ses propres convictions religieuses. De nombreux clans s’affrontèrent pitoyablement dans des joutes oratoires pour finir par s’entretuer, une façon peu orthodoxe pour certains de régler définitivement leurs divergences. Finalement, la guerre éclata dans toutes les provinces du royaume en l’an de grâce 1562. Ces affrontements causèrent la mort de plus d’un million de personnes, ainsi que de grands désastres financiers.
- Nous ne sommes jamais revenus à Pinaudier, mes frères et moi, et cela malgré nos demandes constantes. Honoré Quiqueran de Beaujeu, Grand Prieur à Arles envoya à notre place dans le pays de Seyne d’autres frères pour reprendre les biens de l’Ordre. Alexandre de Pontis, membre de Saint-Jean intenta des procès contre les usurpateurs de façon à récupérer toutes les possessions de la commanderie. Après avoir retrouvé leurs biens, des chevaliers s’installèrent dans l’hôpital, seul bâtiment qui n’avait pas subi les affres de la guerre. Ils restèrent quelques années pour porter assistance aux malades et aux plus démunis. Malheureusement, L’hôpital resta vide sans qu’ils puissent apporter un quelconque soutien à ces nécessiteux. Peu à peu l’ancienne commanderie resta veuve de ses maîtres.
Je l’écoutais en silence, évitant de faire le moindre bruit pour ne pas déranger
cet extraordinaire protecteur des pauvres et des opprimés, lorsque soudainement,
les huit croix de malte s’effacèrent en même temps que disparurent les chevaliers.
- Attendez ! m’écriai-je.
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